Ne pas se faire impliquer dans les fronts bourgeois de guerre
L'Afghanistan a été occupé et ce sera probablement bientôt le tour de l'Irak. La nouvelle doctrine militaire américaine parle clair, la guerre est destinée à continuer. Comme un iceberg, la "guerre infinie" révèle seulement sa partie émergée mais, dans la partie invisible, bien plus complexe, commence à se profiler un ennemi différent désigné par la propagande.
On dit qu'il s'agit d'une "guerre pour le pétrole" mais les États-Unis sont les plus grands acheteurs de pétrole brut et possèdent les plus grandes usines qui le commercialisent et le travaillent ; comme cela était déjà arrivé dans les années 1970, ils sont en mesure de tourner à leur avantage le flux de la matière première. Plus que la question du pétrole, c'est le risque de voir toucher le nœud de leur hégémonie impérialiste, c'est-à-dire le contrôle sur le flux des capitaux et pas seulement pétroliers, qui les inquiète.
Une masse énorme de capitaux, en augmentation continue à cause du flux incessant de devises pétrolières, est en train d’être fixée dans un système nommé Islamic Banking. Ces capitaux, un temps adressés notamment vers les États-Unis et l'Angleterre et déposés là, investis en bons du trésor ou utilisés pour des investissements directs, restent maintenant dans les pays pétrolifères ou agissent dans d’autres pays – par exemple, les Saoudiens ont une activité pour 1.200 milliards de dollars aux USA et contrôlent Citigroup, la plus grande banque américaine. Ainsi la "finance islamiste" menace de devenir un puissant centre d'attraction financier apte à accumuler non seulement les pétrodollars mais aussi les euros et les yen.
Pour les États-Unis, la soudure entre les capitaux "islamistes" et ceux de l'Europe et du Japon, c'est-à-dire des pays concurrents sur le plan industriel et financier serait une catastrophe. Aujourd'hui, ces pays paient une contribution lourde à la rente pétrolière mais ne bénéficient pas de capitaux en retour comme cela est arrivé jusqu'à présent aux USA et à l'Angleterre. Le contrôle des flux pétroliers est donc une arme très puissante contre les concurrents. Les États-Unis ont dominé le monde en s'en faisant un ennemi et s'ils devaient montrer des signes de faiblesses, ils seraient balayés ailleurs. Pas par une guerre directe, que pour l'instant personne ne peut leur mener, mais par la simple situation politico-économique qui est en train de mûrir.
Les États-Unis sont donc contraints d’attaquer pour des raisons vitales. "Terrorisme" et "pays voyous" sont seulement de la propagande de croisade. Voilà pourquoi jaillissent les théories de guerre préventive globale. Les préparatifs pour la vaste campagne politico- militaire, non seulement contre l'Irak, visent à conserver l’actuel système d'équilibres, à garantir à la bourgeoisie américaine le contrôle du processus de plus en plus excessif de globalisation et à subordonner à l'intérieur de ce cadre, bon gré, malgré, les autres pays industriels.
Nous voyons, par conséquent, s’aligner les fractions bourgeoises les plus petites, qui deviennent d’utiles partisans d'un camp ou de l'autre. Leur activisme diplomatique suscite à son tour le débat dans le vaste monde pacifiste, missionnaire et anti-impérialiste démocratique. Au mot d'ordre extrême : "si tu veux la paix, prépare la guerre", se fait écho le rappel opposé du pacifisme universel. Écho dans l'écho, s'ajoute à leurs côtés la voix du milieu soi-disant révolutionnaire : "transformer la guerre impérialiste en révolution !". Mais oui, "il l'a dit Lénine", pas vrai ? Mais comment réaliser aujourd'hui le grandiose mot d'ordre ? Et avec quels instruments ?
Nous, nous disons qu'il faut refuser le débat pacifiste sur la guerre. Qu'il est erroné de se faire partisans de l'un ou l'autre alignement national. Qu'il ne sert à rien de "condamner la prévarication impérialiste" d'un point de vue moral. L'analyse de chaque guerre ne peut jamais être fondée sur des catégories juridiques et fuyantes comme "agressé" et "agresseur". Et la chose la plus stupide de toutes serait d'être indifférent devant les résultats de n'importe quelle guerre – eut-elle lieu entre des impérialismes ennemis –, qu'il faut toujours par contre évaluer par rapport aux conséquences qu’elle peut avoir non sur les dispositions nationales mais sur celles de classe.
La guerre moyen-orientale qui est, de fait, en cours depuis des années est en mesure d’impliquer, au-delà des belligérants, tout ce qui reste autour : Israël, les Palestiniens, le pétrole, le Kurdistan, les alliances au Moyen Orient, celles entre les États-Unis et le reste du monde, etc. Même le prolétariat, évidemment. Mais pour l'heure, il n'y a pas un prolétariat bien organisé et combatif sur le plan de classe. Ce serait déjà un grand résultat que d’assister au refus de combattre de la part des soldats américains et iraquiens, comme cela était arrivé sur le front intérieur américain pendant la Guerre du Vietnam et sur le champ de bataille pendant la Guerre du Golfe où les soldats iraquiens refusèrent de résister à la monstrueuse machine de guerre qui était en train de les écraser et ils préservèrent leurs vies, utiles à la future bataille, pour soi, comme classe.
En tout cas, ici la consigne est : ne pas trahir. Il faut lutter au moins contre l'implication des prolétaires dans un soutien à l'un ou l'autre front bourgeois qu'il soit américain, européen ou islamiste, et il est nécessaire de ne se pas s’illusionner sur le fait que le pacifisme puisse éviter la guerre.
n+1 Revue sur le mouvement réel qui abolit l'état des choses présent
Turin, via Massena 50/a, Italie
Imprimerie spéciale, le 13 février 2003. Supplément au n. 9 de la revue n+1, Enregistrement au Tribunal de Turin n. 5401 du 14 juin 2000