La grande révolution et ses sous-ensembles
Dans ce numéro [n+1 n. 26] le lecteur trouvera, en plus des rubriques habituelles, deux articles portants. Le premier aborde le thème de l'environnement au sein duquel les partis des révolutions se développent, au but, naturellement, d'analyser la révolution en cours; le deuxième concerne la structure invariante des révolutions et de chacun de leurs aspects internes. Les deux articles, ayant toutefois des approches méthodologiques et historiques différentes, traitent néanmoins le problème difficile du parti révolutionnaire et de sa nature.
En ce qui concerne la révolution actuelle, nous savons qu'elle n'est pas, en ce moment, dans une phase aiguë, mais qu'elle est certainement porteuse de catastrophes bien plus graves et profondes de celles que l'humanité a connu jusque-là. La catastrophe qui incombe devrait rendre plus vif le besoin d'un organisme révolutionnaire de type nouveau, notamment car les modalités du changement d'Age seront elles-mêmes de type nouveau, compatibles avec la maturité sociale. Entre autre on sait que dans le cadre bourgeois, des prévisions catastrophiques sont faites. Des experts des systèmes dynamiques, des sociologues, des évolutionnistes et même des archéologues qui étudient la dynamique des civilisations disparues, traitent l'évolution du capitalisme comme celle d'un système complexe au bord d'un collapsus. Certains d'entre eux parlent désormais de situations réalistes qui prévoient quelque milliard de morts, assassinés directement ou tués par les maladies, la faim et les privations. Sachant que les concentrations urbaines démesurées ne pourront pas avoir d'aliments et d'énergie suffisants dans le cas d'un collapsus systémique, les organismes militaires sont en train d'étudier des situations de guerre généralisée dans des contextes fortement urbanisés.
Mis à part les scenarios lugubres décrits ci-dessus, qui ne doivent toutefois être exclus a priori, nous traitons le sujet du nouvel environnement et celui du nouvel organisme révolutionnaire (parti) du point de vue d'une invariance historique, et ceci nous permet d'affirmer que l'aspect politique de la révolution même est prévisible non seulement dans son débouché mais aussi dans son parcours. En parlant d'orientation nous entendons la dynamique classique irréversible vers une nouvelle forme sociale, qui se concrétise toujours en un instrument apte à diriger le mouvement… qui l'exprime. Comme on peut le constater il y a ici une circularité qui parait vicieuse, mais nous démontrerons que ce n'est pas ainsi, que l'interaction entre parti et classe ne tourne pas sur elle-même mais qu'elle déclenche au contraire des rétroactions positives capables d'accélérer l'histoire vers la bifurcation qui mène à la forme supérieure. De cette forme future les communistes en esquissent les caractères, mais à la rigueur ce ne serait pas nécessaire, vu que le communisme n'est pas un model de société à réaliser mais le mouvement entier qui le prépare et qui, bien sur, l'englobera.
La soudure entre prolétariat et parti – car c'est cela dont il s'agit – n'arrive pas d'une manière quelconque: l'Histoire présente des invariances aussi dans cet aspect. Chaque parti révolutionnaire a émergé dans l'histoire 1) comme une communauté qui agit avec une méthode et un programme unitaires, à l'aide, donc, d'une "conscience critique" déterminée et apprise de la dynamique historique matérielle; 2) comme réalisateur de la "volonté" collective, c'est-à-dire du changement décisif qui se produit quand l'accumulation progressive des poussées physiologiques et des tensions entre les classes se mue en explosion (catastrophe) sociale; 3) comme anticipateur de la société future, sur le plan du refus de la forme existante de même que sur celui de la réalisation pratique d'un environnement qu'il y a soixante ans nous avons appeler anti-forme.
La société humaine est un système dynamique complexe. Les théories de la complexité, comme secteur de la connaissance, sont surtout caractérisées par l'étude de nombreux éléments qui interagissent. La dimension ne compte pas: une société est quelque chose de complexe, ainsi que chaque individu qui la compose et chaque cellule de l'individu même. Un tas de sable, comme dans un de nos textes de référence (Structure, 1955, nous le citons dans le deuxième article) n'est pas un système ni n'est il considéré comme complexe: les grains qui le composent, pour nombreux qu'ils soient, sont contigus mais non joints, selon une observation qui fut propre des auteurs illuministes (voir le premier article). Il représente tout simplement un ensemble non organisé. Il n'y a pas de niveaux différenciés d'organisation qui communiquent, des structures fonctionnelles ne peuvent pas faire surface, aucune histoire en dehors de celle qui se passe à l'extérieur n'est possible, comme par exemple le vent qui forme le tas et ensuite le défait.
Un système dynamique est tout autre chose. C'est une unité organisée composée de parties qui, à leur tour, se configurent comme sous-ensembles différenciés, qui interagissent de façon organique, capables d'échanger de l'énergie ou de l'information avec l'environnement même qu'ils contribuent à réaliser. Quand un ensemble pareil se modifie ou enlève une partie, on obtient une modification de l'ensemble selon un des principes d'invariance. Entre autre, le système en entier a généralement un comportement différent, plus riche, de celui de chacune de ses parties et même de leur simple addition.
Les systèmes dynamiques plus complexes sont aussi capables de mémoriser leur propre histoire et de faire face aux imprévus sur la base d'une "expérience" en quelque sorte codifiée. Les êtres vivants les plus évolués sont des systèmes du même type perfectionnés, et les sociétés des êtres vivants évolués le sont encore plus. Une termitière ou une ruche peuvent être imaginées comme des organismes composés d'autres sous-ensembles organiques, comme une bande de singes ou une société humaine; cette dernière aboutie au maximum degré de complexité ayant produit un environnement "fabriqué" qui interagi avec le vivant, ce qui n'a pas d'équivalent dans les autres espèces.
L'analyse de l'environnement révolutionnaire ainsi que celui de l'organisme-espèce avec ses sous-systèmes sociaux nous sont utiles pour disposer les expériences révolutionnaires spécifiques à l'intérieur du cours de la révolution actuelle, ou de la transition vers la société communiste. Ainsi la Commune de Paris, les trois Internationales, chacun des partis (y compris le PCd'I, le courant qui l'a fondé et auquel nous faisons référence) et les regroupements présents sur la scène à partir de la Seconde Guerre Mondiale, peuvent tous être placés dans la même dynamique, en tant qu'aspects particuliers d'un parcours unitaire. L'environnement du parti dont nous parlons est donc un sous-ensemble faisant partie d'une réalité beaucoup plus ample: il faut voir s'il s'agit de la réalité bourgeoise ou de la réalité communiste.
L'analyse historique descriptive de la dynamique révolutionnaire s'intègre avec l'analyse graphique exposée selon la subdivision en grandes époques historiques à leur tour composées de sous-époques (ou phases). A l'intérieur de celles-ci agissent des organismes comme le parti, le syndicat ou les soviets. S'ils sont capables de représenter une réalité de niveau supérieure ou bien s'ils se couchent dans les plis du présent, c'est le parcours en entier qui le décide.