Nous les zonards voyous

"[Il faut] comprendre les raisons pour lesquelles les émeutes de Watts eurent lieu et ce qu’il faudrait faire pour empêcher que le phénomène se reproduise. Ceci est vrai car seulement si l’on étudiera et l’on assimilera la leçon de Los Angeles, en tirant les conclusions voulues, nous pourrons espérer de garder sous surveillance les composantes sociales instables actuellement en conflit aux États-Unis."

(Robert Conot, L'été de Watts, 1967)

Empêcher que le phénomène se reproduise? Garder sous surveillance? Actuellement? Aux États-Unis?

(Note de la rédaction de n+1, 2006)

Nous de Clichy-sous-bois…

Ils s’appelaient Bouna Traore et Zyed Benna, deux zonards de 15 et 17 ans. Électrocutés dans une cabine électrique où ils s’étaient cachés, poursuivis par la police de Clichy. On a mis leurs photos sur les poteaux électriques, sur les murs, les vitrines. Puis on a commencé à tout brûler, au hasard. Qu’importe qui a commencé, nous ou la police. De toute façon elle était là bien avant que ça commence, comme une armée coloniale.

On est la racaille de France, il a raison Sarko. On est même pire que ça. Pendant les premiers jours de révolte les journaux et la télé nous traitaient de sauvageons, de voyous, de criminels. Puis ils ont sorti Bin Laden. Et oui, plusieurs d’entre nous sont musulmans. Du moins de famille musulmane, ce qui est plutôt différent. Y a pas longtemps une agence israélienne (Debka File) avait écrit qu’il existe une organisation centralisée. Seulement en France Al Qaeda aurait recruté 40.000 militants. Une vraie guerre. Le Figaro a écrit qu’une intifada française commençait. Pourquoi pas européenne? La même agence a déclaré qu’en Allemagne on avait recruté 30.000 terroristes. Ils disent qu’ils ont les preuves.

Que des conneries. Et même si c’était vrai? Aucun parti français ne compte 40.000 militants, ce qui veut dire qu’il y en a qui n'en peuvent plus. Pas d’intégration possible. D'ailleurs "intégrer" mais qui au juste? Nos grands parents, immigrés après la guerre? Nos pères qui travaillaient à la Renault? Nous, on est nés à Paris, Lyon, Marseille. Nous, on est la troisième génération, les symboles de l’intégration on les a brûlés. Les supermarchés, les centres culturels, les voitures. Ils disent que ça nous appartient qu’on se donne le bâton pour nous faire battre. Si c'était vraiment à nous, on serait des idiots. Mais alors qui doit intégrer l’autre? Et comment? Une société qui se désintègre ne peut prétendre d’intégrer qui que ce soit. C'est pour ça qu'ils nous tentent avec le sarko-nazisme, et les résultats sont sous nos yeux. Pour que tu sois sage dans ton marais, pour t’aider, ils te cassent la gueule, ou bien entre eux ils disent qu’il faut être tolérants avec les minorités, avec ce petit sourire idiot de braves gens qu’ils utilisent quand ils parlent des pédés, des nègres ou des juifs. De prolos ils n’en parlent pas encore, du moins jusqu’à ce qu’ils auront d’eux une idée mystique, tirée des bouquins sur les belles luttes de classe contre les patrons. La zone c’est un mélange, pour beaucoup d'entre nous il n’y a pas l'intermédiaire du patron, il y a directement l'État. Ça fait encore plus chier. Il n’y a pas un but précis sur lequel déverser la rage. Peut-être qu’on est que des jeunes qui voient rien en face d’eux, emmerdés dans une ville de merde qui te permet pas d’écrire noir sur blanc tes belles revendications. Et bien voilà, nous on a pas de revendications. En fait c’est pas qu’on n’en veut pas, c’est juste que cette fois on peut pas vous aider à résoudre votre problème.

Au début ils ont tous écrit de tout, spécialement les bobo-sociolo-démocrates. Finalement ils ont jugé que c’était la faute, comme toujours, du manque d’intégration, en deux mots la faute du gouvernement, des mauvaises lois. En somme: la faute à personne. Quand les zones ont cessé de brûler, seulement alors ils se sont calmés. Et ils ont finalement reconnu la "dangereuse crise sociale". Ces petits bourgeois bohèmes ont enfin pondu une analyse plutôt créative. On est plus des beurs imbéciles manipulés par un mystérieux caïd. Comment ne l’ont-ils pas pensé avant ? Peut être qu’on devait leur brûler la bagnole il y a longtemps. Ils s’aperçoivent maintenant que le référendum de l’Europe n’était peut-être rien d’autre que le référendum sur les vies qu’on conduit. 60% des français habitent les banlieues. Deux millions de parisiens vivent en ville mais il y a dix millions de zonards. Tous arabes, black, turques, chinois? Ils doivent rester sages dans leur ghetto et en même temps s’intégrer à la bouillie sociale-démocrate qui parle d’eux comme si c’étaient des animaux du zoo. Dans la zone il y a de tout. Pas étonnant. Dans certains quartiers même les keufs ne rentrent pas. Pas étonnant. On est pas des p’tits anges et parmi nous il y avait beaucoup de main-d'œuvre des mafias de quartier. C’est pas un mystère. Vous êtes fermement contre la communautarisation, contre la fermeture spontanée dans la communauté famille ethnique, mais vous ne vous rendez pas compte que dans le désert urbain, ces espèces de tribus sont un refuge pour l’individu, même si elles ne lui offrent pas un salut. Et la famille qui survie dans la métropole ne peut qu’être mafia. Y a quelque chose qui va pas. En somme vous voulez une communauté mais pas la notre, ou plus précisément pas celle que vous nous obliger à avoir. En passant: on a inventé le rap de la zone; c’est urbain, international, il est connus jusqu’en Amérique, globalisé, c’est pas un produit communautariste; dans le rap, la famille, elle s’en prend plein les yeux. Mais depuis que ça se vend, alors vous l'appeler le "rap français".

Paris c’est la France, peut-être, mais les banlieues le sont encore plus

La banlieue est la vraie ville. Les centres de tourisme et des affaires où personne n’habite ne sont pas des villes. Minorités ethniques? Et de quelle étrange ethnie mondiale au juste? Si on enlève les fermiers, qui ne comptent de toute façon pas en France, la banlieue est la France. Ceux qui vont en banlieue pour voir ce qui s’y passe vraiment et ne se contentent pas de jouer les naïfs savent ce que signifie, par exemple, faire la navette avec les zones industrielles, être prof dans une école de banlieue, ou juste vendre des journaux, du kebab ou des frites. Les prétendues banlieues sont le cœur battant de la ville, elles ne sont pas son coté marginal. A la place du "Ventre de Paris" de Zola il y a maintenant, symboliquement, Le grand trou, un trou vide avec des magasins tout autour. Le ventre s’est actualisé et s’est répandu en banlieue.

A force de dire que Paris est la France, on a fini par y croire. Mais nous ne sommes plus à l’époque des jacobins. Au temps des réseaux, le centralisme pyramidal n’a plus aucun sens, le sommet névralgique d’où partent les directives et auquel arrivent les comptes rendu, où l’on croit qu’il existe un État efficace mais il n’y a en fait que bureaucratie et manque d'efficacité flicarde. Il faudrait plutôt se demander pourquoi l’Etat ne fonctionne pas comme une usine, où chacun a un devoir qui n’arrive pas du patron (qui se trouve probablement aux Iles Caraïbes en train de se déchiqueter la cervelle avec de la cocaïne) mais d’un plan de production impersonnel.

Ça fait donc des siècles que Paris n’est plus la France, la France n’est qu’une immense banlieue. Dans les usines on produit, et on le fait de façon organisée, il y a une grève et on bouge de façon organisée, mais dehors c’est l’anarchie, l'opposition entre un Etat symbole concentré et un non-Etat diffus. C’est une contradiction, ou plutôt, la contradiction: l’anarchie du marché et de la société entière contre le plan de production de chaque usine. Puis on se plaint que tout est hors de control. C’est simple: dans les usines les banlieusards font des grèves organisées; les mêmes banlieusards, à l’extérieur de l’usine, ils foutent le bazar.

C'est vrai que les émeutiers n'ont pas passé beaucoup de temps à l’usine, en tant que précaires mal payés. Mais leurs frères majeurs, et leurs pères, eux, ils y ont étés. Pas tous, mais plusieurs d’entre eux. De toute façon ce n’est pas ce qui compte. Ce qui compte c’est que les banlieusards sont les habitants du cœur de la France. Qu’on laisse les journalistes se défoulés à propos des jeunes des rues, à propos des incursions "hit-an-run" (frapper et courir), à propos des crâneries avec la police, sans peur de subir l’inévitable boucherie (nous ne saurons probablement jamais combien de blessés ils n'ont pas pus compter; ils n’ont réussi à compter que les 5.000 arrêtés et interrogés, mais pas les milliers de milliers auxquels ils ont fait monter la haine et un sentiment de vengeance). C’est vrai, ils n’y avaient pas de prolos. Mais alors après cette affirmation une question se pose spontanément: qui sont réellement ses jeunes violents et incendiaires? Que des voyous? C’est ce que dit le flic qui prend les papiers de chacun et les lit avec l’œil d’un ordinateur du Registre d'Etat Civil. Mais si on les lit avec les yeux de ceux qui ne voient pas dans la banlieue une émission télé ou un film, mais la vraie banlieue, où persistent des ensembles humains, on se rend tout de suite compte que c’est là que bat le cœur authentique du capitalisme globalisé. Non pas le capitalisme en papiers crépon dans sa représentation touristique et financière, de ses classes décadentes et parasitaires. Les prolos font partie d’un bloc qui n’apparaît pas sur les papiers du Registre d'Etat Civil; c’est ceux qui n’ont rien d’autre que leur progéniture, ou bien, comme quelqu'un disait, des "sans réserves".

L’Ile-de-France est une région où la révolte à été particulièrement dure et où se sont concentrés les épisodes le plus violents. 19% de la population française y réside, 23% des postes de travail y sont présents, on y produit le 26% du PIB national et on y trouve 50% des sièges des plus grandes industries de France (au moins 500 dépendants). Attention à la progression des chiffres: si 19% de la population produit 26% des revenues, cela veut dire que la productivité est extrêmement élevée, ce qui explique aussi la forte présence de chômage non pas due à un sous-développement mais à un excès de développement. Le rebelle du novembre français reste un irréductible fainéant islamique, black et casseur, mais il est en fait un "produit" de la crème du capitalisme, d’un environnement avec lequel il est néanmoins obligé de se confronter. Même chose pour Seine Saint-Denis: une zone industrielle et des conflits violents, un environnement où sont nées 16.000 entreprises entre 2002 et 2004, mais où la restructuration productive a fait perdre 12% des postes de travail. Le lumenproletariat, la non-classe gueuse, n’existe plus. Il n’y a désormais que des prolétaires sans adjectifs: ce prolétariat qui n’a plus de travail fixe et ne possède pas encore de règle pour le travail précaire (peut-être n’existera-t-elle jamais). Le banlieusard n’est donc pas ballotté d’un poste de salarié à l’autre mais sans arrêt engagé dans une recherche de travail ou au moins de fric pour pouvoir survivre. Il n’est désormais plus un misérable à la Victor Hugo ou à la Dickens ni fait il partie d’une classique "armée industrielle de réserve" entre crise et boom économique. Il fait, au contraire, partie d’une population sans réserves, inutile pour le Capitalisme mais qui ne souffre pas la faim grâce à l'énorme quantité de plus-value que l'État peut distribuer dans la société après l’avoir prélevé du travail productif. Cela fait une grosse différence, car le banlieusard ne peut pas remplir les paquebots et émigrer en Amérique ou autre part, il est déjà immigré ici il y a deux ou trois générations.

Banlieue centrale

L’immense banlieue nationale et planétaire, grandie il y deux siècles environ comme lieu spécifique lié à l’usine et à l’ouvrier, devient le reflet du mode de production d’un capitalisme décadent. Là-bas, la loi de production de la plus-value est toujours la même, mais les modalités de ses expressions ont beaucoup changées, comme si une époque historique entière s’était écoulée. La banlieue est le centre de triage de la valeur totale produite dans la société (v+p), mais elle ne bénéficie pas comme avant de sa partie salariale (v) à cause de la perte de postes de travail. La valeur totale pouvait être si élevée, dérivée du travail de peux, que pendant des années il y a eu des licenciements. De cette valeur il en restait encore beaucoup à distribuer dans la société, à travers les voies habituelles ou à travers milles autres voies moins traditionnelles. La bourgeoisie ne souffre jamais la faim, et la surpopulation relative non plus, elle devait être soutenue. Mais désormais la quantité de valeur à distribuer est insuffisante pour le but. Donc tout ceci ne peut qu’exploser.

Mais regardons de plus prêt ce qu’est la banlieue des grande villes. Un phénomène pouvant être généralisé au monde entier, malgré les différences de développement. L’industrie s’accroît autour du noyau le plus ancien, en y entraînant les habitations des ouvriers. Une nouvelle ville avec les usines dans le tissu urbain et les rues qui s’éloignent en éventail se redessine. Avec la concentration industrielle les usines s’agrandissent, mais les habitations doivent chercher un espace à l’extérieur, vers la campagne. C’est la première révolution industrielle, qui construit les maisons ouvrières en maçonnerie de bonne qualité et qui laisse un peut d'espace vert, par réaction aux excès de sa préhistoire londonienne décrite par Engels. Aujourd’hui cette ceinture est occupée par la petite bourgeoisie des professionnels et des commerçants, pour qui on a restauré les vieilles maisons et érigé les nouveaux blocs avec un minimum de conditions de vie.

La deuxième ceinture commence à se développer entre les deux Guerres, quand les usines laissent la première, désormais lotie, édifiée et habitée par la petite bourgeoisie. Le phénomène d’immigration interne forme les blocs de maisons ouvrières, en premier lieu liées aux usines ensuite toujours plus populaires; c'est-à-dire construites et vendues ou louées, entre autre, à la petite bourgeoisie boutiquière et artisane qui suit le développement industriel en s'installant là où existe un salaire à intercepter. Dans plusieurs cas cette ceinture détruit, et dans un certain sens englobe sous une autre forme, des bidonvilles déjà sur place. Après la dernière Guerre elle devient elle-même ville, le placenta du capitalisme, qui réglemente l’osmose entre intérieur et extérieur, en produisant un besoin d’acier, de béton, de goudron, de briques, meubles, robinets, de bibelots et de millions de bagnoles pour se déplacer entre les zones urbaines ou même pour s’enfuir pendant le week-end. L’environnement prolo des maisons ouvrières se transforme complètement et la cellule humaine se renferme dans son cocon, elle s'entasse dans de très rationnelles boites à sardines théorisées pas Le Corbusier et ensuite imitées par les géomètres du monde entier. Le progrès donne le nom de ville-jardin aux fourmiliers humains, en les réduisant très vite en villes-dortoirs. En réalité l’osmose naturelle et anarchique est garantie par le flux humain entre centre et banlieue, entre affaires et usines, toujours à travers le placenta de la banlieue. Grâce au réseau de transports et de communications il n’y a pas de solution de continuité dans l’ensemble métropolitain, qui devient un organisme vivant (un cancer avec ses métastases est vivant, même trop vivant). Les distinctions de classes restent, articulés par le déplacement des bobos-4x4 ou des métro-boulo-dodo, comme le suggère la néo-langue de la banlieue centrale (quand un langage mutant se développe et se propage comme un virus ça veut dire que quelque chose est en train d’arriver à l’espèce).

La troisième ceinture est loin du centre et n’existe que parce qu’un système de transports publics existe, parce que ceux qui y habitent ont une bagnole par crâne et ont développé une patience résignée à utiliser les deux au prix de perdre une grand partie de leurs vies dans les déplacements. On y ajoute la formation des villes-satellites de la métropole, généralement administrées par les sociolo-démocrates, capables de fournir des services comme les supermarchés, les piscines, les centres culturels. A la force économique centripète pour les délégations capitalistes correspond une force centrifuge pour les êtres humains. Les banlieusards du deuxième cercle sont pris entre les deux. Comme Jules César à l’assaut d’Alésia, ils ne peuvent gagner ou se laisser détruire. Ils ne possèdent pas l’organisation méticuleuse des Romains, au contraire, ce ne sont que des barbares, mais ils vaincront contre la civilité, ce n’est qu’une question de temps. D’une part, vers le centre, les professionnels et les boutiquiers ne peuvent pas trop s’éloigner du lieu où ils exercent leur profession, à laquelle ils consacrent douze heures par jour; de l’autre, vers l’extérieur, le reste de la petite bourgeoisie ou de l’aristo-prolo qui, chassé par les prix immobiliers trop élevés, convoite l’espace individuel, la pelouse à tondre, le barbecue, quelques joints dans un coin caché du jardin. C’est les deux ceintures des zombies, ceux qui garent leurs 4x4 sur le trottoir du centre juste pour montrer qu’ils sont vivants.

Faites un essai: prenez le plan satellite de Google sur Internet et choisissez "Paris". Puis agrandissez l’image au hasard et faites glisser. Vous verrez des maisons, des maisons et encore des maisons, mais aussi une constellation d’usines tout autour du petit centre historique que tout le monde a pu voir en carte postale. La banlieue n’est pas un lieu de relégation, comme beaucoup l’affirment: d’une certaine manière c’est réellement la proverbiale ville-dortoir, mais c’est aussi là où travaillent des millions de personnes. Ces usines sont là, et si plusieurs d’entre elles sont fermées c’est encore pire, cela veut dire que quelqu’un ne travaille plus, ni là bas ni nulle part. Puis il y a toujours les employés du transport, les employés des postes, des mairies, il y a toujours les petites activités artisanales et boutiquières.

Tout ceci est mobil, dynamique. On ne pourrait rien comprendre si la description des trois ceintures coïncidait avec la réalité, avec les frontières entre elles parfaitement visibles, et parmi elles le centre. Bien sur tout se pénètre. Les hommes, les transports et les informations bougent. Il y en a qui n’ont jamais perdu leur boulot et d’autre qui n’en ont jamais trouvé; on s’en fout si leurs fils fréquentent une école bourrée d’islamiques ou s’ils vont se baigner dans une piscine bourrée de nègres et il y en a certains qui souffrent; il y en a qui se triment pour deux sous et d’autre qui vivent aux crochets des autres. Ça regarde chacun, d’accord, mais les dynamismes se somment et d’un coup ça se généralise; et alors, comme par hasard, un conflit explose, un conflit qui a tous les caractères de classe, qu'ils y aient des blancs, des noirs, des café-au-lait, des islamiques ou des pauvres-chrétiens. Le melting pot, on a vu ce que ça a donné à Chicago et Los Angeles (deux fois), et en Europe aussi le mélange ethnique marche sur la corde raide. Mais ici en Europe depuis toujours il y a quelque chose d’autre qui diffère des Etats-Unis: il y a une tradition de classe très ancienne qui, au de là de tout le bla-bla des bobos sociolo-démocrates, peut s'élever, comme toujours jusqu’ici, au moment où un programme se rend nécessaire pour dépasser la simple révolte. Contrairement à ce qu’affirmèrent les opportunistes qui trahirent la dernière révolution, et comme déclara contre eux notre courant, les révolutions et le partis ne se font pas, ils se dirigent.

Nous d'Aulnay, Evry, Corbeil-Essonnes…

Et de trois cents autres villes. On a pas brûlé nos bagnoles à nous, on en à même pas, mais celles des ceintures intérieure et extérieure. Á Aulnay on a brûlé un bâtiment de concessionnaire Renault avec toutes les voitures neuves à l’intérieur. On a pas brûlé nos écoles à nous mais celles de la République (comme les deux à Evry), en sortant desquelles notre perspective de boulot est pratiquement nulle. On a pas brûlé nos magasins, mais les supermarchés et les Macdo’ (à Corbeil). Vous pouvez dire que c’est la faute des voyous, de Bin Laden, de qui vous voulez mais si cette année on a brulé 30.000 voitures (ça fait environ quatre-vingts par nuit, les gars!) on en prévoit 40.000 pour l’année prochaine, parce qu’avec la révolte on à fait cabrer la courbe statistique.

On a trouvé très amusant et symbolique que la police ait découvert une "usine de cocktails Molotov" (BBC), avec des bidons d’essence et des centaines d'engins explosifs tout prêts, juste dans une station de police hors d'usage (à Evry). Et puis: expliquez nous pourquoi ils y auraient 300 villes qui brûlent au même moment, 250 écoles maternelles et crèches, 233 bâtiments publics, dans toute la France et même dans certains autres Pays. Casseurs mondiaux? Vous dites que c’est la faute de la micro-délinquance, mais vous savez très bien qu’ici, si d’une part on tire suffisamment, de l’autre on vise pas souvent une cible. Il y a quelques vols, la drogue circule, bien sur, mais surtout des trucs de pauvres: tout le monde sait que le gros trafic il est pas dans les ghettos du marais mais dans les deux ceintures à coté, où la drogue on la sniffe par tonnes, tout autre genre et tout autre prix. Le tout géré par quelques bureaux de luxe à L’Etoile ou à La Défense. Ici, au pire, il y a un peu de main d'œuvre.

La sublime perspective, les trois piliers de la vie: famille, école et travail, à cause desquels le gouvernement et la télé nous cassent les pieds, pour nous ce sont des cauchemars. Nos familles ont été importées il y a quarante ans de la campagne et surtout des ex-colonies comme force de travail à demi forcée, leur vie est un massacre à épisodes. Il y a 30.000 familles polygamiques, certaines avec 25 femmes; les épouses sont parvenues de façon clandestine car la polygamie est fortement punie en France. C’était inévitable que, face à un environnement hostile, les familles se renferment en elles en reproduisant dans les zones des sortes de mini-sociétés. Et que nous, leurs enfants et neveux, nous engendrions des bandes.

Personne ne sait pourquoi les familles de polonais ou d’italiens, arrivées dans les années 30, ne sont pas passées à l’histoire comme un problème (on ne se souvient d’elles que quand on retrouve un survécu de silicose attrapée dans les minières françaises). N’est-ce peut-être pas parce qu’il y a avait alors un capitalisme en croissance qui maintenant se trouve être un déclin? Dites la vérité, la couverture est étroite et il y a bien quelqu’un qui doit restez les pieds au froid. On sait de qui il s’agit. Alors commencez à préparer un couvre feu permanent, à dessiner de nouveaux commissariats de police, à inventer de nouvelles figures de gendarmes de quartier du nom de Ahmed. Et cloîtrez-vous dans vos ghettos avec les gendarmes et les engins électroniques contre les étrangers.

L’école est l’institution que nous détestons le plus tout de suite après la police. Le chef républicain, aidé par les syndicats les plus corporatifs qu’il y ait, nous a servi une soupe gauloise universelle, en imaginant de pouvoir éliminer par décret les soi-disant problèmes d'intégration. Pour nous le mot "intégré" est une insulte, imaginez donc comment nous percevons une école pensée exprès pour l’intégration. Une école qui répand parmi nous un concept élitaire selon lequel les meilleurs passeront, selon lequel dix zéppards auront la permission de l’Etat d’accéder, par exemple, à Sciences-Po ou à l’Essec. Une école pensée comme un superbe exemple di démocratie pour offrir à tout le monde la même opportunité de succès, qui c’est révélée, comme prévu, un lieu de discrimination, vue que les habitants de la ceinture extérieure et de celle intérieure ne la fréquentent même pas. Vue que les enseignants ont le devoir de niveler la connaissance de la révolution d’autrui – passée, désormais réduite à un lieu commun par les descendants de ceux qui la vécurent – au lieu de cultiver et améliorer les différences positives (oh oui, maintenant que vous vous en êtes rendu compte vous avez inventé cette horreur de discrimination positive à la française, ce qui veut dire d’un coté les gentils, de l’autre les méchants, mais c’est trop tard). Pour l’instant on a brûlé des bâtiments et surtout des voitures. Imaginez-vous si on commençait à brûler de l’intérieur, dans l’âme, si au lieu de tout casser contre quelque chose on commençait à vouloir quelque chose. Si au lieu du passé, le futur commençait à agir, comme un démon duquel on ne pourra se libérer qu'en s'y soumettant. Ou bien peut- être que c’est le futur qui agit de cette manière? Il nous semble clair que vous avez un besoin désespéré de trouver un ennemi externe, immigré, étranger, pour faire retomber sur lui l’aliénation universelle. Pour ne pas voir l’évidence des dix millions de la zone qui s'égorgent peut-être bien entre eux mais qui assiègent en fait les deux millions du centre. Et là il ne s’agit pas de Paris, chers bobos qui vous faites une idée de révolte en répondant simplement au communiqués ministériels en vous mettant sur le même terrain: il s’agit du monde entier.

Toute de suite après la famille et l’école on trouve le troisième pilier, le travail. Imaginez-vous ce que nous pourrions dire à propos du travail quand sur ce thème tous les prétextes de différence peuvent aller au diable. Nous les zonards on est dans la même situation de tous les autres jeunes, si ce n’est que pour nous il n’y a pas de matelas pour amortir la chute: pas de famille capable de te soutenir à outrance, pas d’études jusqu’à la moitié de ta vie, mais qu’une réalité dure et crue. La même qui appartiendra très vite a tout le monde. On n’en est pas au dessert, on en est juste à l’entrée. Vous n’avez encore rien vu.

N’oublie pas de sanctifier le travail

"Dans les banlieues déshéritées règne une terreur molle. Quand trop de jeunes ne voient poindre que le chômage ou des petits stages au terme d'études incertaines, ils finissent par se révolter. Pour l'heure, l'État s'efforce de maintenir l'ordre et le traitement social du chômage évite le pire. Mais jusqu'à quand? "

Cette Cassandre n’est pas la première qui passe, la phrase est du président français Jacques Chirac, écrite en janvier 1995, avant qu’il soit élu en mai. Maintenant que le pire est arrivé beaucoup reconnaissent que la cause de la révolte se trouve exactement dans le manque de perspective et non pas dans un générique vandalisme qui dériverait de la composition statistique des casseurs. Le magazine The Economist a en premier souligné que la cause des incendies français est surtout le chômage, en le démontrant avec des chiffres. Le Monde et Le Figaro l’ont aussi souligné. Mais ils sont tous retomber dans le moralisme en affirmant que c’est le manque d’intégration qui produit le chômage, donc la rage des "immigrés" et pour finir la révolte. Il est vrai qu’aujourd’hui si quelqu’un se présente à une interview de travail avec la peau pas tout à fait blanche, et déclare de s'appeler Ahmed et d’habiter à Clichy-sous-Bois, il n’a certainement aucune possibilité d’être embauché. Mais cela n’arrivait pas à son père ou à son grand-père, qu’on avait au contraire fait parvenir de l’Afrique du Nord pour travailler dans peut-être les mêmes usines.

Selon The Economist les postes de travail seraient réduits car ils se partagent encore entre marché libre et marché régulé (poste garanti), les capitalistes n'engageraient donc pas à cause de peu de flexibilité. Il cite comme preuve le chef du gouvernement, de Villepin, qui admet que le 70% des nouvelles assomptions de chaque année est à temps déterminé. Par conséquent nous en tirons que, selon The Economist, si le marché du travail était complètement sauvage il n’y aurait pas de chômage, ni de rage à défouler. Nous n’allons pas critiquer ces fondamentalistes du marché, nous nous contenterons de rappeler qu’il y a une différence substantielle entre le modèle idéologique bourgeois et le modèle effectif fondé sur la théorie de la valeur.

Du point de vue pratique il est vrai que si les salaires étaient au niveau chinois le taux de profit augmenterait, même si ça ne regardait que les secteurs où la main-d’œuvre est utilisée de façon intense, et l’utilisation de la force de travail en ajout, à bas coût comme dans le 70% du marché précaire, serait stimulé. A la limite, s’y il n’y avait pas de salaire mais que des esclaves non payés, tout le produit gagné se traduirait exclusivement en profit. Mais les relations de travail actuelles diffèrent totalement des plus anciennes fondées sur l’esclavage. Aujourd’hui il y a le Capital et les classes qui ne sont rien d’autre que ses agents, il doit donc y avoir un certain équilibre entre profit et salaire pour que le model de croissance du Capital puissent marcher. Brutalement dit, la société entière doit verser sa part au Capital, les capitalistes qui produisent, les prolétaires qui consomment, l’Etat qui dirige le trafic de la plus-value répartie socialement. Chaque capitaliste tire un avantage d’un bas salaire, mais ça n'avantage pas le système dans son ensemble qu’il soit trop bas, car le mécanisme productif-distributif se coincerait. Le problème est qu’il n’y a pas de limite théorique à la production industrielle, quand d’autre par il y a plus d’une limite à la consommation.

Selon l’idéologie bourgeoise le travail est une idée, il serait même saint. C’est la lymphe de la vie morale. C’est le carburant de la patrie et du travail. Il fait monter les consommations, donc le Produit Intérieur Brut. Il travaille comme l’ouvrier le capitaliste, le prêtre comme le gendarme. Mais il se trouve malheureusement que dans la société capitaliste, s’appuyant sue la valeur, le "travail" en tant que valeur n’existe pas. C'est-à-dire que seule l’application de la "force de travail" aux moyens de production avec comme seul but la production de plus-value a une valeur (Marx : "Valeur du travail est une expression imaginaire", Le Capital, Livre I, chap.XVII). On devrait appeler travail laver les assiette chez soi, le bricolage ou la jardinage dans le but d'une consommation personnel. Mais pas l’activité spécifique ayant pour but d’obtenir des marchandises, ce que nous appelons plus exactement production. Certes, le travail comme on le considère généralement a toujours existé et nous continuons de définir ainsi chaque activité humaine, y compris l’activité productive. Mais il faudrait préciser que le terme n’est parfaitement correct que quand il veut dire dissipation d’énergie pour obtenir quelque chose. Quand on fabrique de la marchandise, la capacité humaine d’appliquer de l’énergie au cycle de production est vendue en échange de salaire, c’est la force de travail finalisée à la "production pour la production" (ceci est le but, le produit en soi qui pourrait être une chose quelconque ne l’est pas). On pouvait sanctifier le travail de Saint Joseph, mais nous ne pouvons pas le faire avec le travail de l’ouvrier.

La force de travail équivaut à tout ce qui est nécessaire pour la reproduire: aliments, maison, vêtements, école et repos régénérant. Si on introduit par exemple une machine qui remplace 100 ouvriers l’équivalence s'annule, la force de travail de ces 100 ne "vaut" plus rien. Mais tout ce qui sert à reproduire la force de travail est à son tour marchandise, produite par les autres ouvriers. L’équilibre ne serait rétabli que si les 100 ouvriers au chômage étaient réemployés dans la construction de la machine qui les a réduits à l'indigence. Mais ce n’est pas ainsi que ça arrive. On construit des machines à l’aide de machines, on rationalise les procès de travail, on introduit toujours plus de marchandises qui on toujours moins besoin d’établissements pour la production matérielle (ces marchandises que l’on paie par tarif, comme la Télé, le cinéma, le téléphone, l’eau potable, l’électricité, le gaz etc.). En plus de ça la population mondiale s’accroît, en introduisant sur le marché une nouvelle force de travail inutilisable, jeune, pleine d’énergie frustrée. En somme, la thèse de The Economist, est complètement absurde. Ainsi que sont absurdes toutes les thèses fondées sur la croyance métaphysique selon laquelle une réduction du prix de la force de travail pourrait réellement améliorer le résultat économique. Elle peut le faire pour un seul capitaliste, mais pas pour une société. Si on ne parle pas de prix, mais de valeur, il est peut-être plus simple de comprendre que: 1) si on baisse la valeur de toute la force de travail, alors toutes les valeurs des marchandises qui servent à sa reproduction doivent baisser, sinon c’est la révolte; 2) si on laisse une partie de la population sans travail, c'est-à-dire sans salaire, il faut extraire une quantité de plus valeur majeur de la partie occupée et en détourner une partie au soutient de celle qui reste inoccupée, en l’employant dans des activités fausses, inutiles, stériles et presque nuisibles. Pas besoin des super-modèles universitaires ou ministériels, il suffit d’une feuille à carreaux et d’un crayon, ou bien, si on veut vraiment être sophistiqués, de la feuille électronique qu’on nous offre avec le système opératif à l’achat d’un quelconque ordinateur.

L’autoréférence destructive d’un système comme celui-ci est très complexe, mais ce qui a été dis jusqu’ici suffit à établir que l’on produit les conditions ambiantes pour que quelqu’un – blanc ou noir, banlieusard ou autre – trouve l’existence même toujours plus insupportable; pour que la haine envers tout ce qui représente la conservation de l’ordre existant grandisse. Pour la France les chiffres parlent clair: le chômage général est déjà à un niveau inquiétant avec son 10%; l’inoccupation chez les jeunes monte à 23%; dans les zones "sensibles" repérées dans les banlieues on arrive à 40%; dans certains quartiers même à 60%. Et le procès est irréversible, vue qu’en Asie, pour faire un exemple, il y a déjà aujourd’hui la capacité de produire tout les biens consommables, en plus de plusieurs moyens de production, non seulement pour ce continent mais pour le reste du monde.

Nous de Bobigny, Aubervilliers, Matignon…

Y en a qui disent qu’on est que des gueux sans organisation et sans un but précis et y en a qui disent qu’on est des prolos du nouveau type, précaires maudits. Dans tous les cas, on rencontre ceux qui se mettent en queue pour voir ce qui arrive et pouvoir ensuite décréter. A chaque fois après, quand ils écoutent les infos à la télé, jamais avant. Au contraire il faut le savoir avant, que toujours plus on conduit une vie sans aucun sens et que quelque chose doit exploser. Que ce soit dans un stade, ou dans la statistique des suicides, ou des massacres en famille. Maintenant ceux qui voulaient que ça bouge en première page des journaux avec des incendies photogéniques peuvent se relaxer, ils ont de quoi théoriser et écrire en suivant ce qui leur passe par le cerveau. Mais ce serait comme lire une poésie sur le feu écrite par un pompier. La casserole est sans cesse sous pression, pas seulement quand la valve siffle. La révolution c’est comme une femme enceinte, tu peux pas dire "maintenant, pas maintenant, maintenant, pas maintenant…".

Ecoutez: les CRS ont ratissé les quartiers comme des troupes d’occupation en arrêtant dans les rues et dans les maisons. Certains députés ont invoqué l’armée. A Bobigny un tribunal a fait le procès aux casseurs de la révolte postmoderne et télégénique. Pendant les jours de la révolte il a travaillé 24 sur 24 dans trois salles d'audiences en même temps, en condamnant avec un procès rapide. Juges blancs, avocats blancs, accusés tous colorés. Maintenant même certains qui croient être des nôtres nous invitent à garder notre calme. C’est plus possible. Déjà on rie de la bouillie servit par les parlementaires (si bien ceux de la paix que ceux de l’armée), contre laquelle on a justement brûlé les symboles des vagues prétextes d’intégration, y compris les maternelles, où ils nous abrutissent déjà gamins. Imaginez la haine furieuse qui nous prend quand on voit que la soupe de l’intégration sert à certains zonards qui se mettent au service de l’Etat. Nous les émeutiers incendiaires et vrais zonards, on est complètement indifférent envers la sociologie d'emprunt bobo qui nous étudie comme des cobayes. Et on fait pas la différence entre crétinisme parlementaire et extra-parlementaire. Au fond c’est comme s’il y avait une sainte alliance pour inventer les revendications que nous on a même pas pensé. Il y a un front tout prêt pour des opérations genre ONG, pour faire marcher les Bureaux d’intégration Souple, un peu comme les patronats de CGT. Nous, on a pas et on veut pas d’interlocuteurs. Répondez si ça vous chante à l’appelle de Chirac, nous on y sera pas.

En passant, à Aubervilliers et à Matignon il y a eu deux réunions de citoyens très inquiets a cause de notre violence "je-m'en-fichiste et insolente". D'un coté ils disent qu'on arrivera nulle part comme ça, de l'autre ils ont peur des possibles évolutions. Ils se donnent du mal pour la paix sociale, pour nous aider. Ils font la grimace les bien-pensants, ils invoquent la cohabitation, mais nous on est les "nouveaux" prolos, sans réserves, sans travaille, sous payés, réduits en esclavage et pour l'instant on connaît que la haine. Ça sert à rien de revendiquer ce qu'avaient déjà revendiqué nos pères, les vieux prolos d'il y a une ou deux générations. Les négociations ont déjà étés faites. Le résultat on nous l'a pas "enlevé", on l'a jamais "eu". Les lois établissent ce qui c'est déjà produit, elles ne le provoquent pas. Ce qui nous arrive (et arrive à tout le monde) c'est que votre monde tombe en miettes. Le mythe d'un capitalisme bâtisseur et intégrateur est mourant, ce même capitalisme qui a édifié les zones avec l'orgueil des diagrammes en ascension, celui qui a rasé le bidonville de Nanterre pour y construire l'université du peuple. Maintenant les courbes montrent une société asphyxiée, les unités d'habitation copiée des cages à lapins de Corbu sont le paysage d'une vie de bêtes, si vrai que vous les détruisez par honte en les réédifiant par milliers dans une tentative de sauver une goutte de crédibilité auprès de vos assistants intégrés. Vous voulez qu'on remercie?

On disait: Aubervilliers et Matignon. Un collectif de 155 associations de banlieues s'est autoconvoqué deux fois à la suite d'un appel à la paix dans le respect des lois. Il s'est auto nommé Banlieue respect et il a promus des manifestations. Deux de ces associations, Citoyenneté et démocratie (Hauts-de-Seine) et Débarquement jeunes (Rouen), porte-paroles du mouvement pompier, ont déclaré, par l'intermédiaire d'un de leurs représentant: "Nous croyons sincèrement que le Premier Ministre et son gouvernement ont l'intention de faire face aux vrais problèmes de ces zones sensibles". Nous on croit sincèrement à rien. Aucun ministre ne pourra éviter que les villes françaises brûlent à nouveau. Même si c'était tout le gouvernement qui le voulait.

Pendant ce temps quelqu'un a fait circuler la voie selon laquelle il fallait arrêter la révolte car il s'agissait d'un piège de l'État, une provocation autoritaire, voir même un coup de main de la part de Sarko.

"Nous vous demandons de cesser vos violences pour empêcher M. Sarkozy de mettre en œuvre son projet totalitaire et dictatorial contre la France, dont vous serez les premières victimes, à un niveau de violences bien pires encore que celles d’aujourd’hui.",

écrivent de façon très direct deux journalistes ( Smaïn Bedrouni et Christian Cotten) dans une lettre ouverte. En demandant à Monsieur le Ministre de Villepin de s'excuser au nom de la République pour l'attaque à la mosquée de Clichy-sous-bois. A ce pompiérage, qui provoque du terrorisme en misant sur une prétendue provocation gouvernemental, se sont même ajoutés des groupes anarchiques. Mais n'étaient-ce pas eux les incendiaires maudits, la terreur des bourgeois? Même certains anarchiques italiens, historiquement plus proches à Malatesta ou à Sacco e Vanzetti plutôt qu'à la Bande Bonnot, se sont laissés aller à ces conneries.

L'automobile n'est pas qu'un objet inflammable

Les voitures ont irrésistiblement attiré le casseur du novembre français. En réalité, il s'agit d'un phénomène permanent s’il est vrai, comme il le semble, que dans tout le Pays on en brûle environ quatre vingt par nuit, 30.000 par ans. Une flamme perpétuelle pour l'Inconnu Marginalisé, en émulation de celle de l’Arc de Triomphe. S’agit-il de manie incendiaire ou d’autre chose? S’il ne s’agissait que d’une pulsion vers l’incendie, nous serions donc témoins d’une forme nouvelle et plus aggravée: la pyromanie sélective, spécialisée en véhicules automobiles (comme dans la récente vague à Rome).

On a dit que ça arrive parce qu’il y en a beaucoup abandonnés le long des rues pendant la nuit, pleins de carburant hautement inflammable, cibles faciles pour la canaille qui incendie et s’enfuie sans rien risquer. Mais cette thèse n’est pas convaincante. A Chicago et Los Angeles furent incendiés des bâtiments plutôt que des véhicules. En revanche il y eu plusieurs pillages de magasins et de supermarchés. Pendant le '68 parisien les voitures servirent plutôt pour construire des improbables barrages, et si quelques une brûlèrent, ce ne fut qu’à cause des étincelles sur le pavé imprégné d’essence sortie des réservoirs, non pas à cause des cocktails Molotov. Même les grenades lacrymogènes des policiers peuvent incendier l’essence. Dans l’après '68, pendant les "expropriations prolétaires" qui accompagnèrent quelques manifestations, brûler des voitures ne représentait qu’une perte de temps. Pendant les protestations contre le G8 à Gènes beaucoup de bidons furent incendiés et quelques voitures, mais ce fut un fait absolument secondaire.

Au contraire en France les incendies ont eu un rôle central notamment car ils ne sont pas arrivés dans un contexte de destruction, caractéristiques des autres révoltes. Les pillages, par exemple ont étés pratiquement absents dans les 300 villes atteintes par la vague de rage, même si celle-ci a impliqué des dizaines de millier de personnes.

Les 8.500 voitures brûlées pendant les trois semaines n’ont fait que quintupler, dans cette période, la moyenne journalière totale. Pendant chaque nuit de l’année, dans toute la France, des feus d’essence, plastique et caoutchouc, brûlent sans qu’il y ait de clameur médiatique, dans la normalité quotidienne. Une fureur "aveugle" qui se manifeste depuis des années contre l’un des symboles de la consommation de masse qu’une grande partie des habitants des banlieues ne peut pas se permettre. Un phénomène qui a inverti à un certain moment la praxis des pathologies sociales, en devenant de chronique à aigue, quand l’inverse est beaucoup plus commun. Peut-être que la raison individuelle nous échappe, ainsi que le déclic qui incite la pyromanie de chaque incendiaire, le seuil mystérieux de l’émulation, mais on ne peut nier que systématiquement c’est la marchandises par excellence qui a été incendiée, la locomotive du PIB, le produit de l’ouvrier traditionnel avec poste fixe, ainsi que le tueur en série mécanique, quatrième cause de décès après la cardiopathie, le cancer et le disfonctionnement de la santé publique.

La sociologie n’a pas grand chose à voir avec cette némésis sociale: quand les sans-culottes, les déshérités, méprisés, assaillirent et démolirent la Bastille, ils ne pensèrent pas une seconde à la révolution Bourgeoise dont ils faisaient partie, ils agirent simplement. Quand les pétroleuses de la Commune en 1871, ensuite fusillées par dizaines par la flicaille de Versailles, incendièrent les palais du pouvoir bourgeois, elles ne pensèrent pas du tout à la "société future ", elles agirent tout simplement. Pas la peine d’essayer de comprendre le mobile de chacun, comme si on lisait un roman policier. Pas la peine de faire la somme de ce que dit chacun, pour en tirer des indications "pour que ça ne se reproduise pas". Les voitures ont brûlé car elles sont un attrait symbolique, comme les supermarchés, les écoles, les maternelles, les sièges municipaux, les commissariats de police. Il y a assez de symboles pour penser à autre chose qu'à des vandales qui agissent comme des lâches pendant la nuit, surs de s'en tirer, comme récitent les Fonky, rappeurs parisiens:

…L'Etat nous baise
Et tu le sais, on va se défendre
Cherche pas à comprendre…

La désorganisation organisée

Les amants des recours historiques ont remarqué que le ministre de la police française a appelé les émeutiers avec le même terme utilisé par le Code Théodosien à propos de la criminalité plébéienne du IVème-Vème siècle: "racaille". Déjà pendant le IIème siècle à Rome on avait l’habitude de diviser la plèbe en trois catégories: la catégorie des corruptibles avec du froment gratuit et des jeux de cirque (pars populi integra); celle des misérables turbulents que ne faisaient partie d’aucun jeux politique (plebs sordida); et celle qui, à l’intérieure de la partie des misérables, "se laissait aller au crime comme forme de son propre affranchissement" (plebs infima, faex= racaille). Aucun historien n’inculperait la racaille pour sa rage et pour les désordres qui en suivaient régulièrement, mais la légion romaine, elle, le faisait, car elle n’étudiait pas le problème à postérieur, elle le vivait, et par conséquent elle ne se perdait pas en subtilités, surtout vers la fin de l’Empire. A Thessalonique elle trucida, pour tout dire, 7.000 émeutiers plébéiens en une seule journée, en 390 ap. J.-C. ( voir Tardo Antico e attualità)

La police française, tout comme la légion romaine, représente l’Etat et a le devoir, comme dans l’antiquité, de définir ladrones (voleurs) les adversaires politiques, pour pouvoir mieux légitimer la répression. Elle a ont donc communiqué que 15.000 personnes avaient participé à la révolte, qu’on en avait arrêtés 5.000, dont 3.300 "en flagrance de crime", qui représentaient à leur tour 80% des personnes "connues par la police" (ce qui diffèrent pas mal du terme "repris de Justice" employé par la presse). Sur 60 millions de français et en comptant 300 villes en révolte, les ladrones ne sont pas si nombreux. Ce sont des chiffres qui renforcent plutôt l’idée centrale à la base du théorème officiel de Sarkozy: répression impitoyable d'un vandalisme pratiqué par la racaille sociale, constituée de délinquants communs et de quelques fous furieux isolés (à ce propos, après un grand fracas sur l’intégration des "immigrés", Sarkozy a communiqué que parmi les 5.000 arrêtés, il n’a réussi à dénicher que 130 vrais immigrés, les autres étaient tous français, fils ou neveux d’immigrés!)

Mettons de coté pour l’instant le fait que le détestable Ministre, chef des keufs, ait parlé au Parlement de quelque chose de plus que de simple vandalisme, et arrêtons-nous sur les données officielles. Selon ces chiffres, il y aurait eu un arrêt sur 3 manifestants. Tout ceci dans l’immense banlieue de France, où la seule "technique" des émeutiers est celle du "hit-and-run" (frapper et courir), pendant la nuit, à l’intérieur de quartiers qu’il connaissent par cœur et que les policiers ne connaissent pas du tout. Nous optons donc pour un double faux: premièrement la légende bâtie sur la racaille vandale (qui existe, bien sur, mais dont la présence convient trop bien pour cacher le reste); deuxièmement, une blague du ministère au bénéfice de l’opinion publique, ou pour mieux dire des classes qu’il faut rassurer.

Mais le Ministre des Affaires Intérieures, le chef du gouvernement et le président de la République, avec tous leurs représentants de la bourgeoisie, sont obligés de dire des idioties dans ce genre même s’ils savent très bien que la situation n’est pas comme ils la décrivent. Ils savent très bien qu’il n’y a pas 15.000 vandales mais 60% de la population française qui habite les banlieues et qui a exprimé, comme la pointe d’un iceberg très dangereux, le pur symptôme d’une maladie profonde. Même les banlieusards qui ont un travail et qui, selon les sondages, appuient la répression et le couvre-feu (75%), se la coulent pas douce. Ils sont nombreux à avoir payé 3.000 euros par mètre carré leur maison et maintenant ils ont un crédit mutuel, ou bien ils paient des loyers correspondants. Ils passent des heures à voyager pour aller au travail. Ils sont stressés par la société entière, non seulement par la banlieue, qui est tout de même un "lieu banni" pour tout le monde, comme le dit son propre nom. Personne ne peut prétendre que la police fasse le médecin social, mais tout le monde sait qu’en réprimant le symptôme on aggrave la maladie. 40% des arrêtés est mineur et dans la banlieue on grandit très vite, mais la maladie est très contagieuse. Si il y a dix ans Chirac pu prévoir ce qui est arrivé aujourd’hui (et les gouvernements ne firent rien), il est facile aujourd’hui de prévoir la situation d’ici dix ans.

Sarkozy a pourtant dit quelque chose de vraiment étrange et important à la fois: les vandales mineurs, qui devraient agir d’instinct et de façon spontanée, étaient au contraire organisés. C’était sous les yeux de la police, ainsi que des journalistes, c’est pourquoi il était facile de faire la somme et d’attribuer la direction de la révolte à la délinquance organisée, aux mosquées fondamentalistes, au gouvernement provocateur ou directement à Al Qaeda. Ou mieux, pour Sarkozy il s’agissait d’une révolte directe de la délinquance et de l’extrémisme contre une offensive de l’état qui dure depuis au moins 3 ans :

"Cette restauration de la sécurité, nous l'avons engagée sur tout le territoire national, y compris dans les cités qualifiées de "zones de non droit". En ces lieux, nous avons bousculé les habitudes les plus discutables, traqué les trafics, contesté la logique des rapports de force… Le retour de l'autorité républicaine n'est pas indifférent à l'agitation de certaines cités, dont une minorité d'individus se pensaient être les seuls maîtres. Entre le monde de la violence et celui de la paix publique, entre les codes qui régissent l'univers de certains quartiers et les règles qui orchestrent la République, l'heure de vérité a sonné ! Et l'enjeu est considérable. Car si ce n'est pas l'ordre de la République qui règne dans ces quartiers, ce sera celui des bandes ou des extrémistes."

(Intervention du 15 Novembre 2005 à l'Assemblée Nationale).

Ce qui suit est un déploiement de forces impressionnant qui représente une véritable réponse militaire à la révolte, avec tout ce qu’il faut, l'occupation du territoire et l’instauration d’un régime de terreur.

La première considération que nous faisons est la suivante: après trois années d’une très dure activité "pacificatrice" sur le territoire, à la place de la paix, c’est une révolte qui a explosée. Mais ceci reste tout à fait secondaire vu qu’alimenter des conflits, au lieu de les aplanir, fait partie de la tradition policière. La seconde, plus importante, est que le control du territoire est donc resté dans les mains des bandes et des extrémistes si après trois semaines de conflits et d’incendies, seuls le couvre feu et l’occupation militaire (conduite avec tout ce qu’on avait  (CRS, gendarmes mobiles, BAC, RG) ont pu mettre fin aux "désordres". Il y avait une organisation, c’est sure, ma peut-être pas comme l’entend le ministre activiste, habitué comme tous les politiciens à inculper quelqu’un au lieu de quelque chose. Dans les révoltes une organisation immédiate n’est pas nécessaire, elle émerge quand elle devient nécessaire, surtout dans une société qui organise complètement la vie des hommes d’affaires et qui offre elle-même une solution (en passant, c’est le concept de spontanéité prolétaire organisée de Lénine). Pas besoin de convenables théories sur des prétendus faits cachés - Al Qaeda ou autres extrémismes non spécifiés - pour expliquer l'émergence des banlieues. À partir des interviews aux émeutiers jusqu’au tam tam sur Internet on comprend très bien qu’ils n’étaient pas conscients du réseau spontané effectif, beaucoup mieux relevé par ceux qui observaient les choses de l’extérieur plutôt que de l’intérieur. Il suffit qu’une convergence d’intentions se crée et que l’information coule à travers les moyens de communications communs pour qu'un réseau spontané s’organise, en semblant énorme, capable de coordonner ceux qui mettent le feu dans 300 villes. C’est ce que The Economist a écrit en citant, sans en comprendre la portée effective, les portables et Internet (voir paragraphe "Nous de Bobigny… ")

Peu ont observé que la révolte française a les même racines que celles de Chicago et Los Angeles, et même eux ont plutôt observé un parallélisme entre les colorés d’hier et ceux d’aujourd’hui. Mais en Amérique, tout comme en France, la couleur n’avait rien à voir. Ce serait comme dire qu’en Afrique du Sud la majorité de la population, qui travaille dans les usines et les minières, aurait lutté à cause de sa peau noire. Mise à part la manie de sortir des connotations ethniques, personne n’a réfléchi au fait que la révolte des banlieues a quelque chose en commun, dans un certains sens, avec la grève des super précaires de UPS aux Etats-Unis. Ce sont deux situations complètement différentes, mais il y a des analogies importantes. La mobilité par exemple. Ou bien la communication par Internet et les portables, comme a bien remarqué The Economist. Bouger dans un environnement favorable ou du moins non hostile. Désormais dire ouvrier équivaut à dire déshérite précaire. On peut voir une analogie dans les revendications mêmes: les banlieusards n’en avaient pas, mais celles des précaires d’UPS n’étaient pas au fond des "revendications" classiques: tout était en fait centré sur la vie précaire. En ce qui concerne le salaire et les normes, les requêtes étaient réduites et n’ont étés satisfaites qu’en partie, mais sur l'emploi temporaire, tout est exactement comme avant et même pire. Dans les deux cas, ce qui a caractérisé les évènements a été une rage irrépressible et surtout une organisation spontanée qui a étonné tout le monde.

Il faudrait comprendre pourquoi les révoltes, mis à part les justifications flicardes, semblent toujours organisées même si elles ne le sont pas. Pourquoi quelque fois elles finissent par l'être pour de vrai. Pourquoi, enfin, elles changent en une vague irrésistible, elles subissent une métamorphose, elles deviennent susceptibles de direction et donc de mouvement révolutionnaire. D'Eunus à Spartacus, depuis les Ciompi aux Sans-culottes, de Stenka Razin à Octobre. Les experts de réseaux savent que l’anatomie du passe parole (c’est entre autre le titre d’un livre sur les réseaux) mène à la découverte d’un système complexe de relations dans lequel inévitablement certains éléments deviennent connecteurs et certains autre des hub (concentrateur), c'est-à-dire des centres de triage des informations. En France pendant les trois semaines de révolte il ne fut pas vraiment nécessaire d’avoir des mystérieux marionnettistes dans les coulisses: la rage, le passe parole, et bien sur un peu de technique qui aide toujours, comme quelque portable et des accès Internet, suffisaient.

C’est pour cela que l’organisation territoriale ouverte est plus puissante de l’organisation locale en cellules fermées. C’est un concept sur lequel notre courant insiste depuis les années 20, quand elle s’opposa à l’organisation du parti en cellules d’entreprise, voulue par l’Internationale, quand déjà on avait expérimenté le désastre de l’occupation des usines, avec les ouvriers renfermés à l’intérieur, et à l’extérieure l’armée, la police et les fascistes, patrons complets du territoire.

Intervention de M. Nicolas Sarkozy, ministre de l'Intérieur

[Nous avons extrait quelques paragraphes de l’intervention de Sarkozy au Parlement le 15 Novembre 2005. L’ordre que nous avons utilisé pour réaliser le collage est légèrement différent par rapport à la transcription publiée par le Ministère, que nous avons rendu dans sa forme quasi originaire. Nous ne sommes pas d’accord avec ceux qui définissent "sarkonazisme" son contenu: ceci est la démocratie, pas de pièges. Prétendre qu’un Etat ne fasse pas son métier "pour le bien du peuple" a depuis toujours été une sottise].

Monsieur le Président,
Mesdames et messieurs les députés,

A quinze minutes du centre de Paris et parfois au cœur de nos grandes métropoles régionales, des Français baissent le regard dans la rue, verrouillent leur porte à triple tours dès qu'ils rentrent chez eux, vivent, en définitive, avec la peur au ventre. La violence engendre l'angoisse, la désillusion et l'amertume. Cette situation n'est pas conforme à l'idée que nous nous faisons de la République.

Partis de Seine-Saint-Denis, les évènements ont, vous le savez, gagné plusieurs départements de l'Ile-de-France et se sont étendus à plus de 300 communes. Des fonctionnaires de la police, des militaires de la gendarmerie nationale, des pompiers et des médecins en mission ont subi des jets de pierre et ont été blessés, quand ils n'étaient pas visés intentionnellement par des tirs d'armes à feu. Plus de 8 000 véhicules, privés ou affectés aux services publics, ont été incendiés. Des édifices publics – dont des crèches, des écoles, des hôpitaux, des gymnases, des commissariats de police – ont été détruits par le feu.

Pourquoi, cette révolte urbaine? Cette lucidité partagée doit nous conduire à aborder l'épreuve avec le sens de l'intérêt général et de l'unité nationale, car aucun gouvernement ne peut éluder leurs responsabilités. Celle d'avoir construit des cités dortoirs. De ne pas avoir dénoncé avec force tous ceux qui minaient la vie de nos concitoyens sous prétexte que l'intégration exigeait la complaisance. D'avoir longtemps prétendu que l'insécurité était un sentiment et non une réalité. D'avoir, par facilité, esquivé la question de l'immigration. De ne pas avoir réglé celle de la discrimination raciale qui touche les plus méritants des jeunes des banlieues. D'avoir laissé les valeurs nationales et républicaines être moquées.

Oui, chacun doit regarder les faits en face et balayer devant sa porte.

Les quartiers en difficulté ne sont que l'expression exacerbée d'un pays qui, dans sa grande majorité, doute, craint le déclassement et désespère de l'avenir. Comment proposer plus de justice pour les quartiers sensibles lorsque le sentiment d'injustice traverse toutes les couches sociales ? Comment promouvoir une politique d'égalité des chances alors que le mérite lui-même est insuffisamment récompensé ? Comment instaurer des valeurs communes lorsque c'est la société toute entière qui semble déboussolée, et, dès lors, tentée par l'individualisme, le communautarisme et le corporatisme? Comment trouver des marges de manœuvre alors même que notre pays vit depuis tant d'années avec un taux de croissance moyen inférieur à 2%?

C'est en réalité une nouvelle société de progrès et de justice qu'il nous faut bâtir, une nouvelle politique républicaine qui nous amène à rompre avec les mensonges que trop souvent nous nous fîmes à nous-mêmes et derrière lesquels les conservatismes prospèrent. Plusieurs facteurs, expliquent les révoltes des quartiers. Outre la volonté de résister à l'ambition de la République de réinstaller son ordre. Depuis trois ans, nous avons fait de la lutte contre les violences une priorité politique comme aucun autre gouvernement ne l'avait fait auparavant. Par le passé, la police et la gendarmerie n'ont jamais eu pour consigne claire et résolue d'agir en profondeur sur le terrain des banlieues. Dois-je rappeler qu'entre 1997 et 2002, il y eut 25 journées d'émeutes, 25 journées de casses, et guère d'interpellations. Cette conception accommodante de l'action publique n'est pas la nôtre, c'est pour ceci que nous avons renforcé notre action contre les bandes pour lesquels les quartiers sensibles sont des bases de repli.

Mesdames et messieurs les Députés,

Depuis trois ans, nous avons fait 600 enquêtes, 12.000 interpellations, 3205 incarcérations, saisie de 27 millions d'euros, 1500 armes, 100 Kg de cocaïne, 1300 voitures. Nous avons démantelé un trafic de contrefaçons. Plusieurs comptes bancaires, patrimoines immobiliers et enseignes commerciales au nom de la famille des principaux organisateurs, sont découverts. A ce jour, dix opérations lourdes sont programmées dans les cités sensibles, fruit d'une stratégie offensive qui va se prolonger et se structurer par le maintien durable sur le terrain d'une vingtaine de compagnies républicaines de sécurité et d'escadrons de gendarmerie. Ces unités ont reçu une formation spécifique axée sur la mobilité, la capillarité et l'interpellation. De façon permanente, elles se trouvent déchargées de la mission de maintien de l'ordre au profit de la sécurité quotidienne de nos concitoyens. Une activité de police judiciaire déterminée a été conduite, avec le concours du Garde des sceaux, ministre de la justice. Ainsi, 3.300 personnes ont étés arrêtées.

Mercredi 9 novembre, à zéro heure, l'état d'urgence a été déclaré sur l'ensemble du territoire métropolitain de la République, en conséquence de ce décret, les préfets peuvent prendre celles des mesures adaptées aux nécessités du maintien de l'ordre public – notamment les mesures dites de "couvre-feu".Le même jour, un décret du Premier ministre a défini les zones dans lesquelles des mesures complémentaires peuvent être mises en œuvre si la situation l'exige ; il s'agit, en particulier, de la possibilité pour les préfets d'ordonner des perquisitions. Ces zones ont été déterminées, dans vingt-cinq départements, au vu des circonstances locales. Conformément aux instructions que j'ai données aux préfets, il a été fait un usage mesuré et responsable des pouvoirs de police administrative étendus qui leurs sont confiés, un usage proportionné aux nécessités du rétablissement de l'ordre. Nombre de préfets ont interdit la vente de carburant au détail.

La logique de la déclaration d'état d'urgence est, en effet, une logique de précaution et de prudence, une logique qui nous permet de maîtriser et d'encadrer les initiatives nécessaires. Nous l'appliquons partout où c'est nécessaire, mais seulement là où c'est nécessaire. Entre les exigences de l'ordre public et celles du respect des libertés individuelles, il faut un juste équilibre. D'ores et déjà, nos efforts produisent des effets et on observe que le nombre de communes touchées par les violences régresse : elles sont désormais 102. C'est naturellement encore beaucoup trop mais il semble y avoir un progressif retour au calme, même si rien n'est encore définitivement acquis. C'est tout de même un raison suffisante pour envisager la prorogation de l'état d'urgence qui selon la loi devrait prendre fin douze jours après son entrée en vigueur. Il faut envisager une loi. Il est sage et raisonnable d'envisager la prorogation de l'état d'urgence pour une période de trois mois au plus à compter de délai de douze jours. J'ajoute que s'agissant des perquisitions, le gouvernement a décidé qu'elles respecteront toutes les formalités des perquisitions judiciaire.

"Faire la part du feu"

Il est évident que la bourgeoisie a les idées claires sur comment accorder le bavardage démo-populistes avec la répression armée. Par contre les idées semblent moins claires pour ceux qui s’auto définissent révolutionnaires à propos du sort et des devoirs du prolétariat et de son Parti.

"Faire la part du feu" signifie sauvez ce qu’on peut, ou plus précisément sacrifier ce qui ne peut pas être sauvé pour préserver le reste. Ou bien, en inversant la praxis: incendier de façon consciente le chaotique et buissonneux sous-bois pour préserver le bois et ses grands arbres séculaires. La bourgeoisie fait ainsi à l’intérieur de la société, poussée par un féroce instinct de conservation; c’est ainsi donc que devrait agir le prolétariat pour éliminer de ses rangs la nullité bourgeoise qui lui empêche de regarder à l'avenir. Certes, l'usage de provoquer des incendies pour pouvoir mieux les réprimer est plutôt habituelle parmi les ministères de la police, nous les avons vus à l’œuvre en France ainsi qu’ailleurs. Et c’est exactement cette activité qui a mené les anarchiques naïfs (nous l’espérons) à soupçonner d’un grain de provocation et à ne pas voir la montagne de centaines de millions de banlieusards qui vivent dans le monde leur non-vie.

Nous devons donc ici parler de polissure, plutôt que de police, dans le sous-bois du prétendu révolutionnaire. Il y en aurait des tas de « buissons » à « incendier », ou pour mieux dire à ranger définitivement à l’intérieur de la bourgeoisie en abandonnant les feintes, les ambiguïtés, les accuses de traîtrise, les justifications et ainsi de suite. Il y a des gens qui ne trahissent plus, il ne se trouve pas sur la berge prolétaire pour se vendre ensuite à celle des bourgeois: ils sont certainement sur la berge bourgeoise et c’est tout. Quand on entend insister de façon suspecte sur le fait que la révolte des banlieusards est dépourvue de toute les belles et saines caractéristiques propre d’une conscience de classe comme on lit sur les livres; que les incendiaires ne sont que des casseurs étrangers au prolétariat classique, que donc les révolutionnaires n’ont rien à voir avec ces mouvements; c’est alors qu’il faut se mettre en garde, car nous sommes en face de quelqu’un qui a fait propre la thèse sarkozienne de la volonté criminelle. En somme nous sommes en face de quelqu’un qui au lieu de souhaiter une rupture totale, bien plus profonde que celle-ci, contemple une révolution sans pétards, incendies et verres brisés.

Comment ce peut-il qu’au début du IIIème il y a des petits enfants de Turati, Tasca et Gramsci qui croient encore à la religion d’Hegel et Croce selon laquelle "en principe il y avait la conscience, c'est-à-dire l’idée, et puis ce fut l’action"? Nous les avons connus les ouvriéristes qui théorisaient les belles et conscientes luttes de classe et puis, quand par exemple en 1962 à Turin une vraie lutte éclata, une lutte magnifique, étendue, puissante contre tout le monde, alors ils la désavouèrent lâchement, en adhérant à la thèse des stalinistes et de la Préfecture, qui ne voyaient que des jeunes casseurs du Sud qui tiraient des pierres et incendiaient les camionnettes des CRS italiens (Celere). (voir Viva i teppisti della lotta di classe, et notre L'operaismo italiano e il suo sessantotto).

Ainsi il y a des gens qui prétendent être révolutionnaires et qui font remarquer avec amertume comment le gouvernement ait préféré "envoyer ponctuellement une armée de CRS en amenant la guerre… pendant que dans les quartiers, soi-disant sensibles, les policiers de proximité ou les postes permanents n’ont pas augmentés" (Arlette Laguiller, Lutte Ouvrière). Et dans le même article on invoque une politique différente pour les masses populaires de la part du gouvernement, avec un langage et une attitude tout à fait intérieurs aux logiques de gouvernement. Pas très loin de l’ex "théoricien de l’illégalité de masse" Toni Negri: "Il faudrait mettre en acte une vraie ouverture des procès de participation, ce sont des choses sérieuses. La participation est la mise en question des rapports de pouvoir, les écoles qui fonctionnent, les caisses d’épargne qui baisse les taux d’intérêt. " (Interview à La Stampa). Caisses d’épargne! Il n’y a aucun doute: tous médecins au chevet du cadavre capitaliste, anxieux de le guérir et de le faire marcher au mieux.

Mais ça suffit, cette poubelle réformiste ne mérite pas tant d’espace. Laissons plutôt l’arme de la critique au banlieusard.

"Oh, les anars, les cocos! Ni dieu ni patrons. Trop fort. On a pas de conscience, c’est vrai. Ça a pas été une rébellion comme il faut, c’est vrai. Mais c’est vraiment dur de faire quoique ce soit pendant qu’on te jette sous le réflecteur à cause de c’que tu es et pendant qu’tout le monde t’invite au calme, de l’Imam au syndicaliste. Pendant que la Gauche se met à la recherche de crédits parce que pour une fois, les incendies, c’est pas sa faute. Et la Droite qui fermerait bien le ghetto en jetant la clef aux serviteurs qui se prêtent volontaires pour le travail. Ça, c’est pas très catho les gars. Donc cette fois je dirai quelque chose de vraiment réac, un truc de zonard petit bourgeois sans conscience: j’préfère les p’tits voyous qui imitent les rappeurs et qui placent des cocktails Molotov sous les bagnoles comme vous qui postez des CV pour vous inscrire à Sciences-Po. J’préfère les p’tits voyous qui corrompent la langue en vous faisant plaisir ou chier selon que vous soyez des intello-bobo ou des académiques normaux. Si vous laisserez assez d’espace sur les trottoirs avec vos gros 4x4, j’irai m’balader avec d’autres réacs comme moi, qui s’en foutent des avenirs républicains, de la flicaille de Sarko et de la charité de de Villepin. Ahmed, tiens le coup. Ni dieu ni patrons, trop fort. "

Le message du banlieusard – encore un collage, pour donner l’idée – nous semble plus clair des nombreuses "prises de position" intellectuelles : faire la part du feu, brûler (métaphoriquement, bien sur) les gauchers pas possible à sauver pour sauver ce qui a un avenir. Ce n’est pas forcément vrai que le révoltes, parce qu’elles sont muettes, n’on rien à dire. Et ça ne sert à rien de les faire parler avec des mots qui ne leurs appartiennent pas, comme si on mettait des sous-titres au hasard à un film dont on ne comprend pas le langage.

LECTURES CONSEILLEES

  • Robert Conot, L'estate di Watts, Rizzoli, 1967.
  • Jean Baudrillard, Fuck your Mother! Libération, 18 Novembre 2005.
  • Debka File, France’s Ramadan Uprising, Special Report, 7 novembre 2005.
  • Associated Press, Des associations de banlieue appellent à manifester sur les Champs-Elysées, 9 novembre 2005.
  • Dictionnaire de la zone (avec les définitions du langage banlieusard et quelques enregistrements intéressants), http://cobra.le.cynique.free.fr/dictionnaire/index.php?index=lexique.
  • The Economist, An underclass rebellion, 12 novembre 2005 et numéros successifs.
  • Arlette Laguiller, La violence dans les quartiers populaires et ses responsables, Lutte Ouvrière, 4 novembre 2005.
  • Elaine Sciolino, Immigrant Polygamy Is a Factor in French Unrest, New York Times, 18 novembre 2005.
  • Nicolas Sarkozy, Assemblée nationale, Intervention du Mardi 15 novembre 2005, publié par le Ministère de l'Intérieur et de l'Aménagement du territoire.
  • Smaïn Bedrouni et Christian Cotten, Jeunes émeutiers de banlieue: jusqu'à quand jouerez-vous les marionnes? (appel lancé sur Internet et répandu à l'aide d'un prospectus).
  • Azouz Begag, Trafic de mots en banlieue: du "nique ta mère" au "plaît-il?", Migrants -formation, n° 108, mars 1997.
  • Ministère de l'Intérieur et de l'Aménagement du territoire, Un défi républicain: la discrimination positive à la française, 26 octobre 2005.
  • Andrea del Ponte, Tardo Antico e attualità, da Teodosio a Sarkozy (article reçu comme newsletter en rédaction).
  • Toni Negri, "Ma per la rivoluzione c'è tempo", interview à La Stampa, 12 nov. 2005.
  • Jean Chesnaux, C'è un muro tra Parigi e la banlieue, interview faite par Anna Merlo (reçu comme newsletter en rédaction).
  • Il programma comunista, "Evviva i teppisti della lotta di classe! Abbasso gli adoratori dell'ordine costituito!", n. 14 de 1962.
  • Revue n+1, "L'operaismo italiano e il suo sessantotto", n. 14 année 2004.

Glossaire des termes apparus dans l’article

Anar: Anarchique.

BAC: Brigade Anti Criminalité.

Bagnole: Automobile.

Beur: Arabo, dépréciatif.

Bobo: Acronyme de Bourgeois-Bohème, terme forgé par le journaliste David Brooks du New York Times pour indiquer le bourgeois gaucher plein de manies sur la santé, écologiste et un peu new age, qui se ballade par contre avec un énorme 4x4 qui fait très campagne mais qui pollue comme un camion. Le Bobo-sociolo-démocrate est le petit bourgeois qui n’est pas seulement sociale-démocrate (socialo-démocrat) mais aussi sociologue, spécialiste du zoo-banlieue.

Bobo4x4: Bobo sur sa grosse jeep.

Banlieusard: habitant de la banlieue (signifie aussi "migrant, qui fait la navette").

Caïd: boss.

Casseur: celui qui casse quelque chose. En argot aussi "crocheteur".

Catho: Catholique. Le terme n’est pas toujours utilisé en référence à la religion ("c'est pas très catho", dit par un beur à un blanc: "Tu n’est pas cohérent, se que tu dis n’est pas correcte").

Coco: Communiste.

Communautarisation: Formation spontanée d’une communauté, éthnicisation.

Corbu: Le Corbusier, architecte et urbaniste.

CRS: Compagnie Républicaine de Sécurité (en Italie "Celere")

Émeutier: qui participe à une révolte, mais aussi "bordélique".

ESSEC/E.S.S.E.C.: Ecole Supérieure des Sciences Economiques et Commerciales, Ecole de Commerce, institut privé (certains cours sont en commun avec l’Ecole de Commerce italienne Bocconi).

Gamin: enfant

Gendarmerie Mobile: Troupes anti-terrorisme choisies.

Keuf: flic.

Lieu de relégation: Lieu de résidence forcée.

Macdo’ : McDonalds

Marais: marécage, synonyme de zone dans le sens de ghetto.

Métro-boulo-dodo: Terme absolument péjoratif pour indiquer les personnes occupées et intégrées, donc ceux qui prennent le Métro pour aller au travail (boulot) et puis se mettent au lit (dodo).

Pédé: pédéraste, homosexuel. Le terme est utilisé de même sans une spécifique signification sexuelle.

Prolo: Prolétaire.

Réac: Réactionnaire.

RG: Renseignements Généraux (Service d’information du Ministre des Affaires Intérieures).

Sciences-Po: Sciences Politiques, Institut d'étude Politiques de Paris (fondation privée).

Soupe gauloise à prétention universelle: Soupe typique à la française avec des prétentions universelles; phrase revient dans les textes de sociologie zonarde écrite par des zonards.

Zeppard: Da ZEP, Zones d'Éducation Prioritaires, une loi du ‘81.

Zone: "Auparavant zone militaire qui s’étendait à l’extérieure des fortifications de Paris, où construire des bâtiments était interdit, mais qui était occupée illégalement par des constructions légères et misérables; aujourd’hui le mot "zone" indique un espace à l’extérieure de la ville caractérisée par la pauvreté de ses habitants" (Larousse). Ici nous utiliserons "zone" et "zonard" dans les paragraphes écrits en première personne et les synonymes "banlieue" et "banlieusard" dans les autres.

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