Science économique marxiste en tant que programme révolutionnaire

LIAISON

L'étude attentive que notre mouvement a consacrée à l'œuvre théorique fondamentale du marxisme, Le Capital, s'est avérée particulièrement laborieuse en ce qui concerne le deuxième volume de l'œuvre, et les raisons en ont été exposées à la réunion de Casale de façon plus profonde que ce qui en avait été dit lors des réunions précédentes.

Notre travail sur l'Abaque , dit aussi formulaire économique de Marx, a été plus rapidement conçu et est plus complet en ce qui concerne le premier volume ; un tel travail doit être accompli pour le deuxième. De l'étude de ce deuxième seule est prête, comme les camarades le savent, la partie qui concerne la première section, c'est-à-dire les métamorphoses que le capital présente dans sa circulation.

Le problème principal en ce qui concerne les sections qui suivent la première section du deuxième volume est que la matière n'a pas pu en être ordonnée par Marx lui-même mais qu'elle a dû l'être, après la mort de celui-ci, par Engels qui s'interdit de faire du début à la fin une nouvelle rédaction, mais voulut absolument se servir des riches manuscrits laissés par Marx après des décennies entières de travail, et parmi ces manuscrits il n'était pas facile, même à un Engels, de distinguer entre les premières rédactions par la suite abandonnées et fondues ensemble d'une part et les quelques rares " cahiers " qui avaient atteint la forme adaptée à la publication définitive.

Engels, comme nous l'avons cité et comme nous l'exposerons, a même, certaines fois, estimé que l'utilité de certaines recherches et calculs laborieux mis en chantier par Marx, et pour cent raisons et difficultés laissés à moitié entrepris, ne se justifiait pas pour la composition de l'ensemble. Aujourd'hui encore même les communistes accomplis ne se sont pas encore libérés de la religion de la propriété intellectuelle, et les hésitations d'Engels sont bien compréhensibles, lui dont la modestie était à la mesure de sa valeur et de son savoir, comme c'est le cas chez les rares hommes non immergés dans le charlatanisme culturel caractéristique des temps bourgeois ; il hésitait donc devant le problème de savoir si, de certains écrits en désordre et embrouillés, Marx, vivant et ayant du temps disponible (vie et santé) , aurait développé clairement un chapitre ou fait une boule de papier pour la corbeille, en se mettant à affronter le problème par une autre voie et avec une présentation totalement changée. Et cela malgré la grande collaboration de travail, la proximité et la correspondance intense et toujours en cours entre les deux amis incomparables, mais cependant absorbés par des tâches plus complexes et plus étendues que la seule rédaction du Capital.

Peut-être notre étude actuelle qui n'est guidée par aucune vénération envers les contributions de " savants " qui seraient à l'extérieur des rangs de notre parti, et est guidée au contraire par la conviction absolue que les différentes parties de l'œuvre de Marx (pour des motifs historiques et non pas des motifs de valeur personnelle ou de talent exceptionnel lesquels existaient bien mais étaient secondaires) suscitent une concordance et une harmonie unitaire et totale, et que si l'on se sert des très rares apports sur le sujet d'écrivains postérieurs de la véritable école marxiste, du calibre mettons d'un Lénine, il sera important de mettre en évidence le sens dont nous avons parlé et non certes pas corriger les choix d'Engels qui seul eut la totalité de l'immense matériel à sa propre disposition.

Notre tentative pourra être développée par d'autres. Limitons-nous ici à exhorter camarades et lecteurs, et surtout ceux qui voudraient nous donner de l'aide dans la recherche et dans l'exposition, à tenir présent l'original, avec notre avertissement habituel à se méfier des traductions existant en italien et à regarder notre modeste et certes pas parfait compte rendu de la conférence de Florence dans les n° 13 et 14 de 1960 de ce périodique .

UNE " CLÉ " POUR DÉCHIFFRER ?

Notre clé, si nous voulions avoir recours à un terme qui se tiendrait éloigné des lourdeurs présomptueuses, résulte du compte rendu de Florence et fut rappelée à Casale.

Comme il en résulte d’une thèse de la gauche marxiste depuis un demi siècle et plus, l'intention de l'œuvre de Marx n'est pas la pure " description " des phénomènes que l'économie capitaliste présente sous nos yeux. Cette affirmation est l'acception des révisionnistes, des réformistes qui apparurent à cheval sur les deux siècles, c'est-à-dire des opportunistes qui au cours de ce malheureux siècle se sont propagés comme un brouillard aveuglant et asphyxiant. Celui qui accepte cette formule insidieuse ne peut pas ne pas dire : avec trois quarts de siècle de " mises à jour " sur le capitalisme, mises à jour que Marx ne connut pas, nous pouvons nous désintéresser de la version exacte de sa pensée, et tirer des faits des théories plus fondées et plus fraîches. Nous vivons l'époque où l'on va à la chasse aux théories nouvelles et " fraîches " et l'on ne découvre pas de fraîcheur qui ne pue le rance de façon nauséabonde.

Charles Marx n'écrivait pas pour les bibliothèques des économistes mais pour les arsenaux d'agitation de son parti révolutionnaire.

Ne voulant pas et ne devant pas copier les avocats et les " essayistes " du monde et de la culture de l'économie de propriété privée de ce temps, culture entrée dans une dégénérescence que seule sa théorie prévoit, il n'anticipa pas ses conclusions pour en donner ensuite une démonstration longue et élaborée, mais il partit de l'exposition des faits pour arriver aux points finals qui lui étaient absolument clairs dès le premier instant même quand, pour ainsi dire, il avait devant lui la première page blanche de son manuscrit. Comme il le dit lui-même dans la préface au premier volume, une chose est la méthode de l'investigation, autre chose est la méthode de la présentation, nous l'avons citée trop de fois déjà.

En un certain sens, le problème se présente également pour le premier Livre, mais ici la répartition a été faite de la main de l'auteur lui-même, et il est moins pénible de procéder à travers l'énorme masse de faits, de dates et d'interprétations alors originales et aujourd'hui encore non dépassées.

Pour le deuxième Livre plus difficile, notre clé est la suivante : jusque dans chaque page trois " moments " différents se rencontrent et se croisent.

Ayant déjà donné amplement la raison de ces moments nous nous contenterons ici de les rappeler.

Premier moment : description de la dynamique économique de l'entreprise capitaliste individuelle (on se réfère entièrement à ce qui concerne le capitaliste en tant qu'individu ou en tant que personne, puisque l'on s'intéresse aussi aux entreprises en propriété collective, aux sociétés simples ou anonymes, etc., coopératives et entreprises étatisées) .

Deuxième moment : dynamique économique d'une société capitaliste comme ensemble d'entreprises isolées, c'est-à-dire le mouvement du capital social total dans une société capitaliste, d'entreprises et mercantile.

Troisième moment : dynamique de l'économie communiste, d'une société qui n'a plus ni marché, ni entreprises distinctes, ni capital.

Il ne serait pas non plus juste de dire que les deux premiers moments sont descriptifs et que seul le troisième est programmatique et révolutionnaire. La totalité du travail est révolutionnaire et l'analyse originale et vibrante de l'entreprise bourgeoise et de la société bourgeoise n'a pas d'autre but que de diffuser le programme de sa destruction et de la société communiste. En d'autres termes tous les théorèmes établis à propos des lois de la société bourgeoise et qui regardent le premier et le deuxième moment sont établis à seule fin de comparaison avec le troisième moment.

Si la " science " historique avait conduit Marx à conclure à une seule éventualité : que l'économie est pour l'éternité capitaliste, mercantile et fondée sur l'entreprise, il se serait désintéressé de l'effort de sa description et de son analyse profonde. Comme nous l'avons déjà dit son sujet n'est pas comment le capitalisme vit mais comment le capitalisme meurt. Nous avons montré comment l'auteur, suprême maître de dialectique, assume audacieusement la proposition : le capitalisme est déjà mort.

Le révolutionnaire est selon nous celui pour qui la révolution est aussi certaine qu'un fait historique déjà advenu.

Cela ne signifie pas que notre volonté ou notre conviction soient des causes génératrices de la révolution mais que l'histoire passée contient la cause de la révolution future et de notre certitude de parti. Ceci à partir du moment, non fortuit mais fixé dans le cours historique, où nous lui avons arraché son secret.

RETOUR AU PREMIER LIVRE

Ce serait une grave erreur que de croire que le Premier Livre du Capital est consacré à l'étude restreinte de l'entreprise capitaliste, c'est-à-dire entièrement enfermé dans le premier moment et non pas étendu aux deux autres. Il l'est indubitablement non pas seulement dans ses parties historiques classiques mais dans chacune de ses pages et dans chacune de ses notes (Marx se cite lui même continuellement dans ses notes qui pourraient apparaître au lecteur pressé marginales ou bibliographiques) .

Nous nous permettrons de faire un pas en arrière, bien qu'il nous suffirait de renvoyer le lecteur aux " Eléments d'économie marxiste " rédigés en 1926-28 et publiés dans Prometeo et dans Programme Communiste.

Choisissons le deuxième paragraphe du chapitre XXII. Titre du chapitre : Transformation de la survaleur en capital. Titre du paragraphe : Interprétation erronée de la reproduction en proportion progressive.

Nous sommes au début de la septième section : Le procès d'accumulation du capital. Nous voulons inviter le lecteur à relire l'" introduction " à cette partie. Elle ne contient ni plus ni moins qu'un sommaire de ce que seront les deuxième et troisième livres de l'œuvre dans le but de démontrer que tout ce que l'on dit dans les limites de l'entreprise capitaliste autonome et isolée, imaginée à des fins d'exposition, est parfaitement valable même si l'on ne considère pas encore la circulation des capitaux dans la société (deuxième livre) et la répartition de la survaleur entre de vastes couches de la société bourgeoise en profit, rente et intérêt (troisième livre) .

Marx établit ainsi que le fait de supposer, puisque l'on décrit le mécanisme de la production capitaliste (il faut répéter, comme nous l'avons fait plusieurs fois, que l'on ne l'étudie pas en tant que production de marchandises mais en tant que production de survaleur, c'est-à-dire de capital) , qu'il n'y a qu'un seul capitaliste (entreprise) et que toute la survaleur produite est contrôlée par lui seul, ce fait n'enlève rien aux conclusions déjà ouvertement révolutionnaires du premier Livre (expropriation des expropriateurs et rappel formel du Manifeste politique de 1847) .

La distinction de base entre reproduction simple et reproduction progressive ou accumulation, si elle ne prend toute son ampleur que dans le domaine social et historique, s'introduit pleinement même dans le cas d'un unique patron capitaliste. Dans la reproduction simple celui-ci consacre à sa consommation personnelle toute la survaleur et repart dans chaque cycle avec le même capital que celui qui avait été avancé la première fois. Dans la reproduction élargie il ne consacre pas toute la survaleur à sa consommation mais il en consomme moins et avec le reste il forme un nouveau capital, élargissant l'entreprise et en accroissant le profit.

Mais déjà ici un contraste fondamental s'établit entre l'analyse des économistes apologistes du système bourgeois et notre analyse.

Marx donne raison aux premiers dans la mesure où ils exaltent le capitaliste abstinent contre le capitaliste jouisseur. Par là, eux aussi, jeunes révolutionnaires il y a un siècle, ne font pas de la froide description mais de l'agitation sociale, et ils opposent le nouveau dominateur, le bourgeois, au seigneur de l'ancien régime, simple parasite du produit de l'exploitation.

Mais Smith, Ricardo et les autres tombent dans une erreur très grave quand ils cherchent à établir la distinction entre les deux types de reproduction du capital. Dans le but de souligner les bénéfices de la fameuse " abstinence " du capitaliste et de la destination des profits à de nouvelles entreprises ou à un renforcement de l'ancienne, ils disent que dans le cas de la reproduction simple la survaleur est consommée par des travailleurs improductifs alors que la partie que l'on destine au nouveau capital est consommée par les travailleurs productifs. Marx critique cette conception, même s'il reconnaît que Ricardo a raison quand il dit qu'il ne suffit pas de ne pas consommer le profit, qui accumulé sous forme d'argent ou de marchandises n'est utile à personne, mais qu'il doit être consommé, mais consommé au contraire par des travailleurs productifs.

Marx clarifie la question en disant que l'erreur consiste à penser que le profit destiné au capital peut se transformer totalement en salaires, c'est-à-dire en capital variable. Pour élargir le domaine de la production et donc pour augmenter le capital il faut que le plus possible de survaleur non consommée disponible aille en partie aux salaires, mais en partie également à une augmentation du capital constant.

A la différence des physiocrates qui, avec Quesnay, avaient fait une tentative géniale (et Marx annonce que dans le deuxième Livre il le fera pour la société capitaliste) les économistes bourgeois classiques se sont montrés impuissants à donner un tableau du mouvement général de l'économie sociale. En effet Smith pensait que dans le cercle de l'entreprise on pouvait clairement distinguer entre capital constant et capital variable, mais que dans l'ensemble général de la société tout le capital se présentait comme capital variable. La valeur du capital social vaudrait la somme de tous les salaires payés, et au moyen de cette fiction l’on fait apparaître tout le capital comme travail " actuel ", l'on dissimule et l'on cache l'iniquité de la société bourgeoise.

La thèse opposée affirmerait que tout le capital est capital constant, c'est-à-dire richesse patrimoniale, comme celle du rentier qui vit de toute évidence du travail d'autrui.

Marx dans son " deuxième moment " - qui donc apparaît déjà ici, comme apparaît clairement le troisième – présentera au contraire le cycle du capital constant et celui du capital variable dans la reproduction élargie, en montrant comment et dans quelle mesure les deux s'accroissent de telle façon que la société ait une masse de travail annuel et de capital constant en augmentation.

On retrouve les mêmes concepts de travail vivant et travail objectivé qui se trouvent dans la rédaction plus ancienne des Grundrisse ou fondements du communisme.

Eh bien voilà justement une considération du troisième moment. Tant que le système de la circulation est mercantile et monétaire il est inévitable que le travail vivant des hommes entraîne avec lui dans la circulation une part toujours plus grande (grâce justement à l'augmentation de la productivité du travail) du capital constant en lequel est cristallisé le travail mort des années précédentes et des générations passées.

La critique que Marx fait ici à Smith est la critique révolutionnaire du communiste au défenseur du capitalisme. Smith semble dire que quand tous les capitalistes seront abstinents le système bourgeois sera le système rationnel et idéal de vie en commun dans une société de travailleurs.

La position de Smith se combat comme celle, bien postérieure à Marx, des staliniens russes. Supposer tous les patrons d'entreprise abstinents ou les supposer tous expropriés ou trucidés, c'est la même chose. Mais tant que le cercle de la production de survaleur se réalise dans la circulation monétaire, et que l'équipement de la société se renforce grâce au travail salarié, ce monstre du travail objectivé, du travail mort, reste sur pied. Qu'il y ait derrière lui une classe de bourgeois minoritaire et jouisseuse ou un milieu de personnes anonymes ou de cartels, ou un Etat qui accepte le capitalisme mondial et cohabite avec lui en respirant son atmosphère, c'est la même chose au niveau du troisième moment, et la révolution qui libérera l'homme de l'esclavage vis-à-vis du sinistre monstre qu'est le Capital est encore à faire.

LE CYCLE TYPIQUE DES MÉTAMORPHOSES

Reprenons, avec le secours des rappels déjà donnés dans différentes réunions et rappelés ici dans le compte rendu de la réunion de Casale, la présentation définitive et ordonnée de la première section du deuxième Livre du Capital.

Tant dans notre exposition que dans l'Abaque déjà distribué on a déjà clairement donné la raison des trois formes et des trois figures du Capital dans sa circulation. Les formes du Capital sont au nombre de trois : argent, procès de production, marchandise. Dans le cycle cet ordre se répète continuellement. Les trois figures dépendent du choix de la forme de départ. Première figure : argent, marchandise, procès de production, marchandise, argent (augmenté) . Deuxième figure : procès de production, marchandise, argent, marchandise, procès de production. Troisième figure : marchandise, argent, procès de production, marchandise.

Dans notre étude nous avons choisi la deuxième figure comme la plus expressive, celle que Marx, seul de tous les économistes, a découverte et expliquée. En effet, on distingue en elle les deux types de " reproduction " du capital. Si le procès de production de l'arrivée est identique à celui du départ, on a la reproduction simple, toute la survaleur ayant été consacrée (sur-argent dans la première figure, sur-produit dans la troisième ou, si l'on nous permet un autre néologisme : sur-marchandise) à la jouissance personnelle du capitaliste ; si au contraire le procès de production de l'arrivée est plus puissant que celui du départ (plus de travail et plus de matières travaillées et produites, et donc plus d'instruments de production en exercice : plus de consommation de ces derniers) alors on a la reproduction élargie ou progressive.

Pour que ces concepts soient clairs que l'on considère un seul capitaliste et une seule entreprise – ce qui ne supprime pas le fait, comme nous l'avons montré passage après passage, que Marx fait les comparaisons avec la société capitaliste totale et avec la société communiste.

Dans ces trois figures, l’on considère la chaîne du cycle comme ininterrompue. C'est le cas le plus simple pour bien comprendre l'objet de la deuxième section qui traite de la " restauration du capital ". Cela signifie que tant que le procès de production prendra un certain temps (qui peut se réduire seulement de deux façons : accroître les heures journalières de travail ou accroître la productivité technique du travail) les autres passages – de marchandise à argent et d'argent à marchandise – adviennent de façon instantanée. Une telle hypothèse est seulement faite dans un but théorique, étant irréalisable dans la pratique : il devrait exister une banque qui, à peine élaboré tout le produit d'un cycle, mettrait à disposition tout l'argent et une autre qui en aurait déjà mis à disposition pour que l'on puisse trouver déjà prêtes les nouvelles matières premières. C'est seulement pour le capital exprimé en salaires qu'il n'y a pas de difficultés parce que, comme Marx le note de nombreuses fois, seul le " travail vivant " ne demande pas d'avance : les ouvriers sont prêts à tout moment et on les paie après huit ou quinze jours de mise en œuvre immédiate de la force de travail.

Dans ce " cas limite " totalement abstrait et en dehors de la réalité capitaliste la quantité produite de survaleur est constante dans le temps et ne rencontre aucun obstacle ; il se pose ensuite la question de savoir si le capitaliste la consomme en totalité ou s'il la transforme en partie en nouveau capital avancé dans la production capitaliste.

Mais ici Marx s'enfonce dans la recherche – pour le moment toujours consacrée au premier moment – des retards qui contraignent à différer la reprise du cycle productif par rapport à ce minimum que, pour un moment, nous avons admis comme possible.

LA PÉRIODE DE CIRCULATION

Dans l'entreprise capitaliste individuelle, étant donné que les banques imaginaires que nous avons introduites pour notre commodité n'existent pas, et que, quand elles existent (comme Marx l'expliqua plusieurs fois au sujet des effets du crédit) , elles ne travaillent pas sans contre-partie, laquelle contre-partie a justement le même effet que les obstacles qui retardent la récupération de l'argent du capitaliste quand, à des fins d'étude, nous imaginons que tout advient en paiements comptants, la période de rotation du capital avancé est toujours plus grande que la période de la production. Marx le dit déjà dans les chapitres finals de la première section, mais les concepts sont plus clairs dans les premiers chapitres de la deuxième (Engels dans sa préface explique que de tels matériaux sont dispersés dans plusieurs manuscrits, plus ou moins élaborés, et que ce fut une chose extrêmement difficile que d'en rétablir l'ordre systématique que l'auteur aurait donné s'il avait pu mettre au point lui-même l'édition finale) . Il sera donc bon de clarifier les différentes périodes temporelles que Marx utilise dans la présentation de la totalité du processus de production, de circulation et de reproduction du capital.

Il suffit pour l'instant de penser toujours au capital d'une seule entreprise.

Période de production. Ce n'est pas la même chose que le temps de travail. Supposons que l'entreprise doive produire un groupe de produits finis, par exemple cent tables, pour lesquelles on commence à la fois à découper le bois et à effectuer toutes les autres opérations. Si ces produits sont finis au bout de trois mois, les heures de travail auront été de huit heures par jour pendant tant de jours (et pour tant d'ouvriers) . Cependant, étant donné que seize heures sur 24 on ne travaille pas, la période de production est le triple de la période de travail (et l'on ne pense pas aux tours de travail continuels de différentes équipes) .

A la période de travail et à la période de repos Marx en ajoute une troisième au cours de laquelle les moyens de production (matières premières) doivent être déjà approvisionnés mais ne peuvent être encore employés dans les opérations productives : nous en donnerons une idée en imaginant que le bois avant d'être scié doit vieillir un certain temps. Clarifions : pour acheter le bois pour cent tables je dois avoir terminé de vendre les cent tables précédentes, mais je peux avoir besoin d'un mois pour qu'une fois le bois acheté, à peine le lot précédent vendu, il soit utilisable.

Nous disons : période de production égale période de travail, plus période de repos, plus période de " digestion " ou " maturation " (Marx cite la fermentation des vins et la germination du blé semé) ; en fait la période de production agricole ne peut être inférieure à quasi une année, plus donc que le temps de travail et de repos des travailleurs qui se consacrent à cette production.

Période de circulation. Revenons par la pensée à l'entreprise manufacturière. Le Cycle ne peut s'épuiser avec la seule période de production qui regarde la phase P des trois figures. En effet à la fin il y a une transformation M-A, c'est-à-dire une transformation de marchandise en argent de tout le produit, qui ne peut pas être, comme nous l'avons supposé un moment, instantanée. Les marchandises doivent être portées au marché, l’on doit trouver les acquéreurs qui peuvent se trouver en des lieux et des temps différents, nécessitant des expéditions, des transports, des tris, l'envoi et la réception de l'argent, etc. Au début du nouveau cycle l'argent ainsi trouvé doit être transformé en partie en force de travail - et ici en général, sauf cas exceptionnel, on ne perd pas de temps - et pour l'autre partie en provision de matières premières et d'outils, elle peut être destinée à la réparation d'outils. Et ceci pour réaliser l'autre passage commercial indiqué par nous comme A-M. Ces deux pertes de temps, ou attentes pour les opérations du marché en un sens et dans l'autre, une fois additionnées, donnent la période de circulation, extérieure, à ajouter à la période de production.

Durant la période, ou durant les deux demi-périodes, de circulation le capital circule également, comme dans les périodes de production, mais dans ces deux demi-périodes A-M et M-A l’on peut aussi dire qu'il s'agit de circulation générale des marchandises qui se réalise entre équivalents selon la loi de la valeur, puisque argent d'une part et marchandise de l'autre sont échangés.

Tout l'ensemble de la circulation sociale, prévient plusieurs fois Marx quand il lui plaît de passer au " deuxième moment ", est l'enchevêtrement de la circulation des marchandises et de la circulation des capitaux, et il s'agira d'en saisir le mouvement d'ensemble quand nous voudrons donner le tableau de la société capitaliste.

Que l'on note que A-M, même pour la partie qui est paiement des salaires, retombe dans le cadre de la circulation mercantile. Cette métamorphose ne donne pas lieu à une attente spéciale qui prolongerait la période de circulation du capital et qui devrait être prise en compte parce que rares sont les cas où il faille aller loin pour engager des ouvriers ; il y a des chômeurs et il en naît à foison ! Mais la nature mercantile et le respect de la loi de la valeur (si chère à Staline et à ses épigones) sont parfaits en vertu de ce qu'Engels appelle la découverte originale de Marx (en se moquant de la prétendue accusation de plagiat du banal Rodbertus) . L'ouvrier vend sa force de travail, marchandise dont le prix, et donc la vraie valeur, est le salaire. C'est lorsque, dans la sphère non plus de la circulation mercantile, mais de la production capitaliste, le capitaliste (ou toute société à économie monétaire) consomme cette marchandise très spéciale que la survaleur se forme, c'est-à-dire qu'advient la production non plus seulement de marchandises mais aussi de survaleur et de capital. Les deux extrêmes du cycle diffèrent grandement, mais la loi de la valeur, pilier de la galère capitaliste, a été sauvée dans tous les passages.

Il nous semble humblement que les chapitres finals de l'actuelle Première section devraient passer après les premiers chapitres de la Deuxième Section. Cependant nous en suivrons les données, desquelles nous avons déjà tiré de nombreuses anticipations, après avoir établi la relation finale consacrée aux périodes.

Périodes de production – Période de circulation - Période de rotation du capital. Ou bien même – période de reproduction du capital.

La deuxième section traite systématiquement de la restauration du capital d'entreprise, individuel. Ce sera la Troisième Section qui, en passant à l'ensemble social de toutes les entreprises capitalistes, traitera la Reproduction du capital social total, et établira la question classique du marxisme, c'est-à-dire le passage de la reproduction simple à la reproduction élargie ou accumulation.

LES PASSIFS DE LA CIRCULATION

La seule étude de la production du capital, développée dans l'hypothèse la plus commode à l’un de nos contradicteurs imaginaires qui ferait la défense apologétique du système capitaliste, c'est-à-dire dans l'hypothèse qu'il n'y aurait pas d'autres dommages causés à la société (et, comme il sera facile de le montrer, à la classe des producteurs) dans la sphère suivante de la circulation, après ceux causés dans le procès de production strictement intérieur à l'entreprise, a déjà établi son point d'arrivée dès le premier Livre ; le taux de la survaleur qui mesure la soustraction opérée par la classe capitaliste sur le produit social est le rapport de la survaleur au capital variable, indépendamment de la valeur du capital constant, circulant dans la production, et de la valeur bien plus importante du capital fixe social.

Ce taux ou rapport est fixé dans une moyenne historique sociale par Marx qui considérait l'économie de la deuxième moitié du dix-neuvième siècle dans la totalité de ses exemples classiques. Ainsi non seulement le système bourgeois est " scientifiquement décrit " mais il lui est adressé une accusation d'anti-socialité ou, pour le dire plus vulgairement, d'appropriation injuste, dont le rapport est de un pour un, c'est-à-dire la moitié du total disponible. C'est ce qu'à Casale on a proposé d'appeler le degré de gaspillage. En considérant seulement le procès de production, à l'intérieur d'une entreprise isolée, la société pour être capitaliste gaspille, détruit, dilapide elle-même et sa propre vie, son humanité, dans la mesure et dans le rapport d'un demi.

Le premier moment de la doctrine marxiste conclut ainsi cette première condamnation du monde actuel : degré de gaspillage d'un demi.

Marx en vient à considérer ensuite ce qui advient lors du temps de circulation. Il le fait en référence à l'entreprise mais, disons-le encore, il s'arrête pour jeter un regard à la totalité de l'ensemble social et à la société future qui ne sera plus capitaliste, et surtout qui ne sera plus réglée par le mécanisme monétaire. Il découvrira ainsi les abysses les plus profonds et les plus effrayants de la déshumanisation destructrice bourgeoise.

Nous nous limiterons à donner le schéma des paragraphes.

Dépenses de circulation proprement dites. Dans ce premier examen il ne s'agit pas encore des périodes de temps qui conduisent à des arrêts de la production.

Il s'agit de l'activité et de l'emploi qui doivent être mis en œuvre dans chaque acte d'échange mercantile par chacune des deux parties pour l'emporter sur la partie opposée. La concordance, clef de tout le système des économistes vulgaires, est sarcastiquement réduite par Marx au proverbe : à Normand, Normand et demi ! Le capitaliste peut bien prendre un de ces agents pour cette fonction (courtier, voyageur, représentant) , et il doit le payer, mais il s'agit là d'une fausse dépense. Elle n'ajoute pas de valeur au produit même si l'agent est un salarié, dans ce cas il se vérifie seulement une certaine diminution de cette dépense pour l'entreprise, mais ce n'est une production ni de valeur ni de survaleur.

Qu'en est-il de cette dépense " commerciale " dans les différentes " formes " ? Dans celle de la petite production une telle activité se faisait le dimanche dans les marchés, on y sacrifiait des heures libres et elle était absorbée sans grand dommage social. Dans la forme capitaliste, indiscutablement, elle est effectuée aux dépens du capitaliste, elle augmente le passif et réduit le profit de l'entreprise. Une fois admis que le salaire des " vendeurs " est inclus dans le capital variable, en ôtant aux ouvriers de la production quelques éléments, on aura moins de survaleur aux dépens du propriétaire de l'entreprise.

Et dans la société communiste ? Indubitablement dans une distribution rationnelle des tâches, une fonction d'apport des produits aux consommateurs subsistera, mais tout le travail de Normand, c'est-à-dire rouler son prochain, sera économisé par la communauté puisque l'on ne choisira pas en fonction de la concurrence des intérêts individuels mais selon le maximum d'utilité commune calculé par le centre (pensez aux dépenses de la publicité !) .

Marx donne une comparaison physique élégante pour la " fausse dépense ". Le mazout (Marx se sert du charbon) fournit une forte énergie calorifique en se combinant avec l'oxygène, et l’on a donc un actif. Mais la combinaison advient quand le mazout liquide qui arrive froid d'un injecteur est porté à l'état gazeux. La chaleur de gazéification du combustible liquide est une énergie qui doit être soustraite à la première. Mais l’on n'aurait pas la première si l'on ne dépensait pas la seconde, de telle façon que l'actif du procès est seulement dans la différence.

Comptabilité. Il faut avoir quelques agents salariés qui font les comptes du mouvement des dépenses et des entrées de l'entreprise. Le petit producteur les faisait tout seul, le grand capitaliste aura des salariés (employés) . Ces derniers sont aussi exploités que les travailleurs de la production (parmi lesquels on trouve aussi quelques intellectuels) . Nous avons discuté la falsification de la thèse marxiste qui consiste à dire que cette dépense existera dans toutes les formes. Marx dit qu'il y a une certaine différence entre la dépense pour l'achat et la vente qui est en totalité une fausse dépense, aujourd'hui dans la mesure où c'est l'entreprise qui l'assume et demain dans la mesure où la production communiste, en abolissant les échanges marchands, l'ignorera. Une certaine dépense de comptabilité y existera toujours dans le sens d'une activité dédiée à une telle fonction. Dans le développement du capitalisme il est clair que le poids social de la comptabilité est d'autant plus petit que le nombre des entreprises est moins nombreux, c'est-à-dire que ce poids social est en rapport inverse de la concentration du capital social. Entre cent entreprises il y a cinquante mille comptes en partie double à tenir, entre dix seulement quarante-cinq.

Quand la société sera une seule entreprise il n'y aura plus de comptes monétaires, mais seulement des enregistrements et des calculs en quantités numériques physiques, comme les durées, les distances, les poids, les volumes, les forces, les énergies, etc.

Il n'y aura plus de distinction entre les activités qui produisent de la survaleur et les activités qui n'en produisent pas, parce que cette distinction n'a de sens que dans le premier moment (bilan de l'entreprise) et dans le second (société capitaliste globale) . Dans le troisième moment (société communiste) on ne produit pas de survaleur parce que l’on ne produit pas de valeurs d'échange mais seulement, de la façon la meilleure pour l'ensemble, des valeurs d'usage.

D'AUTRES PASSIFS MINEURS

Monnaie : L'utilisation de la monnaie indispensable dans la société d'entreprise (et aussi entre coopératives d'entreprise) comporte d'autres pertes purement passives par destruction d'argent et semblables choses. La fabrication de la monnaie est une production d'une marchandise spéciale, mais elle est un faux passif. Les crédits bancaires contre de l'argent déplacent seulement la question puisque le service bancaire coûte et emploie des forces de travail nécessaires seulement pour perpétuer l'autonomie entre entreprises et tenir les comptes stupides des capitaux, des crédits et des dettes de toutes ces entreprises. Cette dépense disparaît dans le troisième moment. Un socialisme avec de l'argent est aussi absurde et blasphématoire qu'un socialisme avec des banques.

" L'or et l'argent comme marchandises monétaires constituent pour la société des dépenses de circulation qui dépendent uniquement de la forme sociale de la production. Ce sont des fausses dépenses de la production des marchandises qui augmentent avec le développement de cette production capitaliste. C'est une fraction de la richesse sociale qui doit être sacrifiée au procès de circulation. " (Cha. VI, 1°, III) . Qu'il y ait un passif, Marx le prouve avec une citation du conformiste Economist. Mais ce que Marx est seul à dire c'est que tout ce passif social (plus de tourments de travail, moins de disponibilité de valeur d'usage) a disparu dans le troisième moment, dans la société socialiste.

Dépenses de conservation. L'entreprise doit conserver un certain temps " en magasin " tant les marchandises achetées que celles qui ont été produites et qui sont à vendre. Il faut des constructions adaptées et quelques gardiens. De plus tout capital qui est arrêté est un capital qui n'engendre pas de survaleur. Dans certains cas il y a inévitablement une détérioration quantitative et qualitative des marchandises. Pour l'entreprise ce sont toutes de fausses dépenses. Ici Marx met clairement en lumière la question que nous avons baptisée la question des trois moments. " Il nous reste à chercher jusqu'à quel point ces dépenses proviennent du caractère particulier de la production de marchandises en général, et de la production de marchandises dans sa forme générale et absolue, c'est-à-dire la production capitaliste ; jusqu'à quel point elles sont d'autre part communes à toute production sociale et ne prennent qu'une forme d'existence spéciale dans la production capitaliste. " .

Les prédécesseurs de Marx ont exprimé des opinions contradictoires sur l'importance des provisions avant le capitalisme et aujourd'hui. Ils ont confondu la provision de marchandises et la provision d'objets de consommation. Dans les anciennes productions naturelles les choses coïncidaient puisque le producteur pouvait consommer en puisant dans la réserve de ses propres produits non écoulés. La production moderne crée des réserves de marchandises qui peuvent être utilisées seulement si elles s'échangent et ceci est son caractère nouveau. Au moyen âge les pouvoirs étatiques accumulaient du blé que, en cas de famine, on distribuait gratuitement au peuple. L'économie bourgeoise est la moins sûre (voir les études sur l'Angleterre) pour les travailleurs pauvres alors qu'elle est celle qui a accumulé des richesses énormes comme masses de marchandises et moyens de production. Marx montre cependant qu'avec une technique meilleure, surtout dans les transports (leur plus grande vitesse notamment) , la nécessité de grands stocks et la dépense à eux relative diminuent même dans la société marchande et bourgeoise. Cependant la diminution relative peut se concilier avec une augmentation absolue par l'augmentation incessante du volume de marchandises que le capitalisme produit. Dans tous les cas plus la concentration des entreprises avance et moins de telles dépenses sont pesantes.

Dans toute forme sociale, et donc également dans le communisme, existe la nécessité d'avoir une certaine provision totale d'objets de consommation et de matières premières, c'est-à-dire d'objets pour la consommation productive. Les activités nécessaires sont rationnelles, ce ne sont pas des activités de gaspillage. Mais puisque les entreprises capitalistes font des provisions de marchandises pour des manœuvres de marché (Marx ici, anticipant la théorie des crises, montre que ces manœuvres sont des armes à double tranchant) il s'agit d'un stockage anarchique, irrationnel et destructeur, qui disparaît dans la forme non mercantile, le communisme.

L'analyse, d'une extrême délicatesse, se complète seulement avec les données de la section suivante.

Dépenses de transport. Même ces dernières ne sont pas, comme les dépenses d'échange, toutes fausses, mais jusqu'à une certaine limite elles sont utiles et seront également des fonctions de la société non capitaliste même si alors le terme de dépenses ne devra plus être utilisé. Mais la distinction, parfois ardue, est dans un premier moment étudiée par Marx quand il examine si de telles dépenses aujourd'hui augmentent ou non la valeur du produit. Un système rationnel de transports peut l'augmenter dans la mesure où l'échange international diminue l'effort total de production, mais à cela se superposent mille manœuvres concurrentielles et spéculatives pour agir sur les courbes des prix avec pour effet le vol de valeur à des entreprises ou des groupes d’entreprises par d’autres entreprises ou groupes. Cette deuxième partie de mouvements, qui sont souvent fictifs dans la mesure où ils se composent d'échanges sur le papier sans transport réel, constituent une masse de gaspillage que la société postcapitaliste évitera parce qu'elle ne déplacera ni valeurs d'échange, ni crédits ou dettes d'entreprises mais seulement des valeurs d'usage, c'est-à-dire des objets physiques, doués d'un potentiel d'utilité déterminé non par les appétits individuels mais par le plan social humain.

LA DEUXIÈME SECTION

Le contenu central de la deuxième section est la démonstration que la division de la production par entreprises conduit à devoir faire à l'intérieur de chacun d'elles un " plan d'entreprise " qui se fonde sur l'estimation de la période de rotation ou de la reproduction totale du capital monétaire de l'entreprise à chaque cycle, incluant le temps de production et celui de circulation. Puisque, en apparence, toute entreprise travaille toujours, elle est contrainte, à égalité de capital, à travailler moins, avec moins de travailleurs. C'est la paralysie de tout le complexe social global qui disparaîtra avec le système de l'entreprise.

Donc, à notre avis, le contenu de la démonstration de la deuxième section est que la division entre entreprises, par rapport à un modèle abstrait de société dans lequel il y aurait une entreprise unique, constitue une perte sociale macroscopique. Cela ne veut pas dire qu'en passant au troisième moment l'échange et l'argent subsistent et qu'un ultérieur et gros " groupe de gaspillages " leur serait dû, mais cela sert à démontrer les grandes dimensions du gaspillage qui est fonction de l'anarchie de la production, c'est-à-dire de son fonctionnement fondé sur l'initiative privée, ou, ce qui signifie la même chose, sur les entreprises indépendantes.

De même que le premier moment ne suffit pas à établir la " proposition socialiste " puisque dans ce moment, l'entreprise restant autonome, les travailleurs prendraient possession de la survaleur (idée anarchiste et petite-bourgeoise) , de même le deuxième moment dans lequel les entreprises seraient réunies en une seule dont la gestion serait planifiée (comme nous le verrons dans la troisième section il y aurait deux entreprises imaginaires, celle qui produit des instruments et celle qui produit des objets de consommation) est insuffisant pour nous donner une économie socialiste puisque dans cette société supposée les échanges se font avec de l'argent. La proposition socialiste est d'abolir l'échange et la monnaie.

Cependant comme dans la proposition naïve de conquérir l'entreprise il semble que l'on reconquerrait la première phase de gaspillage (profit d'entreprise) mais nous disons il semble parce qu'il n'en serait ainsi que si l'on sortait de la reproduction simple qui est antisociale (Marx : Gotha) ; dans la proposition (que nous pourrions appeler stalinienne quoique la Russie n'y soit jamais parvenue dans l'agriculture et qu'aujourd'hui elle en recule à grande vitesse dans l'industrie) d'abolir l'économie d'entreprises, on élimine un deuxième " groupe de gaspillage ".

Marx dans le deuxième Livre en cherche la mesure en calculant le capital argent avancé qui correspond à la production d'entreprises éparpillées et celui, moins important, qui correspondrait à la gestion centrale. Le plus grand besoin d'argent comptant, qui, comme le démontre Marx, n'est pas contradictoire avec le recours au crédit et à des mesures analogues, sert à mesurer une plus grande charge pour la " société ", c'est-à-dire pour la classe qui travaille. Même le grand Engels ne semble pas convaincu, non du contenu de la condamnation du système bourgeois, mais de la méthode de calcul que Marx a choisie en utilisant la mesure de l'argent comptant avancé.

Nous pouvons anticiper ainsi la conclusion de la démonstration géniale de Marx : dans la société socialiste (communiste) il n'y aura pas de capital ; dans la société capitaliste la mesure sociale de ce dernier est la production annuelle de marchandises, mais dans la société capitaliste fragmentée en entreprises il faut que le capital avancé en argent dans l'année soit SUPÉRIEUR AU CAPITAL SOCIAL. La conséquence d'un tel fait n'est pas symbolique, mais elle est un degré de l’exploitation de la classe ouvrière du même ordre de grandeur que celle qui existe déjà à l'intérieur de chacune des entreprises, qui donc le double, et qui survit dans une société " coopérativiste " alors que le socialisme l'abolit, en passant du premier au troisième échelon, avec le dépassement de la forme marché et de la forme monnaie, en plus de celui de la forme entreprise.

Ce n'est pas une entreprise facile que de rapporter ce modèle au texte de Marx tel qu'il nous est parvenu.

RECHERCHE À TRAVERS LES DURÉES

L'économie vulgaire calcule la perte et les fausses dépenses en argent comme une quote-part de l'actif, en considérant en général comme actif le capital patrimonial qui englobe la valeur de toutes les installations fixes et de la propriété immobilière de l'entreprise. Dans notre économie le capital actif est le seul capital circulant c'est-à-dire celui capable d'apparaître à un moment donné comme marchandises produites. Notre grandeur active étant moins grande, les pertes ont un poids plus grand et il est probable qu'elles l'égalent ou le dépassent. Pour l'entreprise bourgeoise cela s'appelle faillite, pour la totalité de la société bourgeoise cela la conduit à la condamnation révolutionnaire que nous en faisons. La faillite a pour conséquence la vente de tout : les marchandises en magasin, l'argent comptant restant en caisse, les machines et les constructions.

Marx, qui a déjà fait allusion au poids de nombreux passifs de la circulation, s'en tient dans sa démonstration au calcul en unités de temps. Il en a absolument le droit depuis que ses contradicteurs ont admis que dans le milieu capitaliste le temps de travail est valeur et est la seule source de richesse.

La forme sociale, dont avec lui nous dénonçons la faillite, est contrainte d'agrandir son bilan négatif (passif supérieur à l'actif) tant en valeur argent qu'en valeur marchandises, tant en valeur des machineries qu'en valeur des possessions immobilières parce qu'elle fait faillite dans le bilan du temps et du bien-être humain.

On commence avec le chapitre sept sur le temps de rotation dont nous avons déjà rappelé le concept : somme de la période de production et de la période de circulation du capital d'entreprise. La période de rotation est ce temps après lequel tout le capital avancé au début en tant qu'argent se retrouvera entre les mains du capitaliste, pour repartir dans le nouveau cycle.

Le temps de base est l'année. Si sa mesure en mois, semaines et jours est R, comme nous l'avons déjà dit, et si r indique la période de rotation, le capital monétaire avancé tourne en un an n fois, n étant évidemment égal à R divisé par r. On verra que r peut être plus grand que R et donc n plus petit qu'une rotation à l'année. Il adviendra alors que le capital à avancer est plus grand que le capital de l'entreprise.

Notons que l'édition française Costes utilise dans le sens de rotation le mot restauration. L'expression n'est pas mal choisie parce qu'il s'agit de reconstituer intégralement le capital argent de départ, cependant dans l'original allemand le mot est unique : Umschlag qui signifie changement, bouleversement. Sur son sens il n'y a pas de doute.

Le chapitre huit, afin de bien établir le calcul du temps de récupération de l'argent déboursé par le capitaliste, s'arrête sur la distinction entre capital fixe et capital circulant, en relation au concept de capital constant. Marx a justement à cœur de mettre en évidence combien ses prédécesseurs n'avaient pas sur le sujet des idées claires.

Les chapitres X et XI se réfèrent à ce thème d'importance essentielle et sur lequel même de fidèles marxistes se sont presque toujours mépris.

Engels nous assure avoir fait attention à ne pas répéter ici ce qui était du matériel destiné au Quatrième Livre, L'histoire des doctrines de la survaleur, dans lequel il revient en fait très souvent sur ce point. Quant à nous, il nous semble non pas qu'il y ait des répétitions (qui sont toujours intéressantes parce qu'un écrivain à la puissance créatrice audacieuse comme celle de Marx chaque fois qu'il répète ce qui a déjà été écrit apporte des matériaux vraiment précieux dans leur substance et dans leur formulation toujours vivante et vibrante) mais plutôt que les chapitres de ce deuxième Livre n'ont pas été ordonnés au mieux. Nous avons expliqué les raisons pour lesquelles Engels ne pouvait faire autrement qu'il ne l'a fait.

CAPITAL FIXE ET CIRCULANT

Le capital circulant est chez Marx toute la valeur passée dans le produit, c'est-à-dire l'habituel c + v + p. Le capital salaires est entièrement circulant et avancé, la survaleur n'est pas anticipée mais produite dans le procès de production en question, et elle peut être reversée dans la circulation ultérieure du capital. De même tout le capital constant passe dans le produit, il est donc entièrement circulant et donc il n'est pas capital fixe. Donc la distinction entre capital fixe et capital circulant n'est pas la distinction entre deux parties du capital constant.

L'expression juste est la suivante : le capital constant se compose de deux parties mais qui passent toutes les deux dans la valeur produite et sont du capital circulant. De plus il est juste de dire que, de même que v, tout le capital constant est du capital avancé, et cependant la réciproque selon laquelle l'avance se réduit à c + v est fausse.

La première avance est aussi importante dans une société capitaliste à entreprises parce qu'ici le capital fixe est en jeu.

Les deux parties du capital constant se distinguent ainsi : une partie (matières premières et auxiliaires) se consomme entièrement dans le procès de production et l'on devra la racheter dans le cycle suivant ; donc dans notre théorie elle passe toute entière dans la valeur du produit, en partie matériellement, en partie indirectement (combustibles, etc.) L'autre partie " qui circule encore " n'est pas le capital fixe (machines et installations) mais c'est seulement la partie usée, dégradée de ce capital. Elle réside entièrement dans notre c et donc dans le c + v + p, mais à la différence de la première partie de c on ne doit pas la racheter immédiatement après le premier cycle. Mais l’on doit la mettre de côté et mettre en réserve pendant tout le cycle (souvent de plusieurs années) à la fin duquel toute l'installation des machines, des usines, etc. devenues inutilisables par leur entière dégradation devra être renouvelée.

Donc les ventes des produits des différents cycles suffiront à conserver en vie la reproduction du capital et l'activité de l'entreprise, mais toute la valeur du capital fixe doit être anticipée au départ, à l'ouverture de la nouvelle entreprise (investissement) . A partir de ce moment les moyens monétaires seront prêts pour reconstruire l'installation sans autres avances d'argent pour l'accumulation de la partie usée, partie de c.

Cependant la première avance devra être de volume supérieur à la totalité du capital mis en circulation. Ou bien le capital mis en circulation (c'est de telle circulation que la société vit, même si elle vit mal) est plus petit que la somme que le capitaliste initial, qui l’a volée, investit.

RECHERCHE SUR LA ROTATION DU CAPITAL

Dans la deuxième section du deuxième livre du Capital que nous sommes en train d'exposer après avoir souligné les difficultés qui s'opposent à sa reconstruction totale, Marx établit que le temps de rotation du capital résulte de la somme du temps de production de ce capital (plus grand que le temps de travail) avec le temps de circulation très variable.

Il arrive à la distinction fondamentale entre capital fixe et capital circulant dans le chapitre VIII, et il consacre donc divers chapitres à l'histoire de cette question. Enfin dans les trois chapitres XII, XIII et XIV, il insiste sur les caractères des trois périodes suivantes : travail, production, circulation, telle que la deuxième englobe la première, et, réunie à la troisième, donne la période totale de rotation.

On a ensuite le chapitre XV, " Influence du temps de rotation sur le montant du capital avancé ", celui qui embarrassa Engels qui y vit une recherche embrouillée et absolument pas utile, comme il le dit dans une longue note mise à la fin du quatrième paragraphe et dans laquelle il exprima la grande fatigue qu'il avait eue à déchiffrer les brouillons volumineux.

Alors que le chapitre XV abandonne pour un moment le capital fixe et sa reconstitution, le chapitre XVI abandonne pour ainsi dire également la partie circulant immédiatement du capital constant, et traite seulement de la " Rotation du Capital Variable " avec des conclusions d'une très grande importance au sujet de la rotation du capital variable individuel (d'entreprise) et social.

Le chapitre XVII, dernier de la section, traite de la circulation de la plus-value, négligée pour des raisons de présentation dans la partie précédente et en indique les effets sociaux dans les deux cas de la reproduction simple et de la reproduction élargie.

Nous serons ainsi sur le seuil de la troisième section qui traite de la reproduction et de la circulation du capital social total.

C'est dans ces textes, discutés aux réunions de La Spezia, de Milan et de Florence, que nous avons appliqué ce que nous avons appelé la " clef " des " trois moments ". Et c'est en l'appliquant à ces trois moments que nous en avons le plus grand effet, à la recherche des " groupes de gaspillage " successifs de l'économie capitaliste : dans l'entreprise isolée, dans la société bourgeoise, et dans le passage à la société communiste.

Une présentation moins difficile peut naître d'un ordre d'exposition différent, c'est-à-dire en donnant des tableaux et des listes dans lesquels figurent toutes les grandeurs en jeu que Marx appelle souvent philosophiquement " catégories " et que mathématiquement l'on appelle " variables ". Ce n'est pas que la méthode de Marx, qui consiste à supposer au départ certaines quantités égales à zéro pour rendre plus simple le jeu des autres, ait quelque chose d'arbitraire. A l'opposé, c'est la véritable méthode employée dans les sciences auxquelles la mathématique s'applique et la seule qui résolve les problèmes classiques, désignée comme réduction au cas limite. Dans un exemple facile, si nous voulons définir comme uniforme la vitesse d'un train, prenons les temps à trois passages à un certain nombre de kilomètres, soient les temps t0, t1 et t2 aux kilomètres k0, k1 et k2. La vérification est longue à écrire : (k2 – k0) / (t2 – t0) = (k1 – k0) / (t1 – t0) = v. Mais si je suppose être parti du kilomètre zéro avec l'horloge des temps sur zéro, la même chose s'écrit : k/t = v constante ; distance divisée par temps égal vitesse. En pratique et en théorie rien n'est changé.

EXEMPLE DU PREMIER VOLUME DU CAPITAL

Quand Marx veut prouver (premier moment) que la survaleur dérive du capital variable (travail salarié) , il a recours, dans le premier livre, au simple moyen de poser le capital constant égal à zéro. Dans l'entreprise il ne l'est jamais, mais si nous ne pensons qu'au deuxième moment (société capitaliste) nous pouvons déjà noter que chaque capital constant est une marchandise née de capital variable (valeur de travail) . Ce n'est donc pas un mensonge mais une négation de la négation dialectique. Formellement nous avons écrit (voir Abaque) k = c + v (avancé) et puis k' = c + v + p ; d'où k' = k + p. Une fois posé maintenant c = 0, les formules sont plus simples, k = v, k' = v + p. Donc le taux de survaleur résulte de p/v et non de p/(v + c) les bourgeois comme le voudraient.

On peut voir dans l'Abaque la démonstration de la justesse du procédé dans les formules un peu longues sur la réunion " verticale " de deux entreprises industrielles. Dans tous les cas, le procédé de Marx est bien connu et valide.

Eh bien, une fois la distinction entre capital circulant et capital fixe faite, rien n'est changé dans la formule de base c + v + p = k' dans laquelle on décompose la valeur du produit marchandise k', ou capital d'arrivée.

Il est important de dire au début du chapitre XV que tout k' dans ses trois parties additionnées est du " capital circulant ". Puis nous poserons la question de Marx, sur le temps de rotation et sur le nombre de rotations accomplies en une année.

Le capital fixe dans sa totalité est en dehors de la formule. Mais l’une de ses parties entre périodiquement dans la circulation pour pouvoir se reconstituer après un certain nombre d'années une fois totalement usée et elle entre dans la valeur de la marchandise.

Or le texte du début du chapitre XV établit qu'il faut négliger cette partie du capital constant et suivre seulement la rotation de l'autre (matières premières et auxiliaires) et du capital variable. De plus il abandonne à son destin également la survaleur p ; pour cette raison nous avons déjà dit que nous la retrouverons utilement à la fin du chapitre XVI. Il ne reste en jeu pour circuler que c (partie provisoirement assimilée au tout) , et v.

Marx, pour le moment, veut voir quel effet a la prolongation de la période de rotation pour une " circulation retardée " et il veut l'étudier dans ses effets sur la quantité de capital argent que le capitaliste d'entreprise doit avancer pour produire sa marchandise. Il est donc juste de ne pas calculer p, parce que nous sommes dans l'hypothèse de la reproduction simple (nous avons déjà dit qu'à la fin du chapitre XVII nous en sortirons en traitant également de la reproduction élargie) et donc la partie p du produit circule seulement comme vente mais l'équivalent argent en est retiré par le capitaliste pour sa consommation et non pour des opérations d'achat de biens-capital.

Quant à la partie de c, capital constant, qui correspond à l'usure de l'installation fixe, ce n'est pas non plus une erreur que de la négliger attendu qu'en général elle est petite, et qu’ensuite si elle ne figure pas dans c (fictivement) elle ne reparaît pas non plus dans le produit vendu, et donc on peut l'imaginer mise de côté en entrée et en sortie sans rien changer.

Etant donné que le fait de faire disparaître et réapparaître des grandeurs peut fatiguer les lecteurs prolétaires et faire le jeu des ennemis qui jacassent à propos de la sorcellerie de Charles Marx, et étant donné qu'il est plus difficile d'éliminer les deux dangers si, comme Marx se plaît à le faire, l'on donne des chiffres de valeurs monétaires et non des symboles littéraux et algébriques, il sera bon d'écrire tous les chiffres, en n'annulant rien, et puis de prier ceux qui ne servent à rien pour le moment de s'abstenir un peu.

Il est bon de prendre les mêmes chiffres que ceux adoptés par Marx, et les mêmes rapports entre les différentes quantités sans se soucier de savoir s'ils correspondaient aux moyennes de l'économie bourgeoise d'il y a quatre-vingts ans, et aujourd'hui il faudrait les changer mais sans préjuger de la déduction.

Avant tout notons que Marx adopte comme unité de temps une semaine de travail productif et comme rotation totale un certain nombre de semaines. Puis il considère le nombre de rotations en une année, et il prend pour référence l'année pour la mesure du volume de la production et la grandeur du capital, d'entreprise et social (celui de toute la société bourgeoise) .

Avant les chiffres, donnons un autre fait important : même dans la troisième section qui traite de l'ensemble du capital social, Marx, s'il remet en place la survaleur (déjà revenue sur scène à la fin de la deuxième section) conserve l'hypothèse que dans le chiffre du capital constant la partie de l'usure du capital fixe n'est pas encore contenue. On la verra cependant revenir au paragraphe XI du chapitre XX, et l’on en parlera en son temps.

Entre parenthèses, le jeu de cette partie de capital devra être rappelé également dans les fameux calculs sur les schémas de la reproduction élargie ; c'est en effet dans celle-ci que l'augmentation et le renouvellement des installations fixes absorbent le maximum d'énergie économique. Nous serons alors au chapitre XXI.

CHIFFRES DE BASE DE DÉPART

Adoptons donc comme temps de calcul des " bilans ", avec le texte, la semaine, la rotation et l'année. La marchandise élaborée en une semaine est indiquée par 100 (sterling si vous voulez) . Mais ceci est fait en excluant la survaleur que nous voulons mettre en évidence. Il est facile de voir que la survaleur sera 20. Dans les tableaux de Marx le taux de survaleur est toujours 100 %, et le capital variable sera également 20. Toujours dans l'exemple de Marx, le capital constant est le quadruple du capital variable, ce qui signifie que l'on suppose que le degré de productivité du travail, ou de composition organique du capital, est égal à quatre. Donc le capital constant sera 80. Nous aurons alors en une semaine le produit 80 + 20 + 20 = 120. Mais nous avons le droit de dire que le capital à avancer est 100 pour chaque semaine.

Une recherche un peu plus approfondie sert à expliquer où s'en est allée la partie correspondant à l'usure du capital fixe que nous ne voulons pas tenir en dehors de k', c'est-à-dire des 120 (sterling) .

Nous supposerons que toute l'installation fixe (machinerie, bâtiments) coûte lors de l'installation 10 000 (dix mille sterling) et qu'elle dure dix ans. Pour son remplacement il faudra mettre de côté chaque année la somme de 1 000 en argent déduite de la somme de la vente du produit. En nous référant à la semaine, nous ferons avec Marx une autre hypothèse commode : une année de 50 semaines. Il suffira de mettre de côté chaque semaine 20 que nous imputons aux 80 de capital constant. C'est seulement de cette façon que nous respectons les conditions du chapitre XV selon lesquelles la survaleur est entièrement retirée par le patron et l'avance est en tout 100 unités, c'est-à-dire 20 + 60 + 20.

En effet la partie usée est une partie circulante quant à sa récupération, même si elle a une rotation spéciale de dix ans et si elle est dépensée seulement à la fin de la dixième année. Il est connu que Marx, ici, fait abstraction de tout crédit dont jouit le capitaliste et de tout intérêt qu'il paie pour ce crédit. Mais il ne nous importe pas de savoir si les 20 de la partie usée circulent en 10 ans : en effet ils entrent dans la circulation à chaque vente de marchandise (cela veut dire à chaque rotation : nous le verrons immédiatement mais Marx avait raison parce qu'il n'avait pas encore calculé la rotation) .

Anticipons en disant que la rotation est de cinq semaines. Nous aurons dans l'année dix rotations. Il s'agira de faire de simples multiplications pour avoir tout le tableau. Pour l'usure, à chaque rotation, 100 entrent dans le cycle, ces 100 parcourent le cycle M-A avec tout le produit de la rotation mais ne parcourront le cycle A-M qu'à la fin des dix années. Mais c'est la même chose que si ces 100 le parcourraient immédiatement ; ce serait comme si l'on acquérait les morceaux de la future machine de remplacement une roue à la fois !

Avant de donner le tableau complet, indiquons qu'aujourd'hui, en Amérique, on assiste à la diffusion du type de gestion dans lequel le capitaliste n'est pas le propriétaire des installations mais paie un loyer annuel. Il lui suffira d'avoir le capital d'exercice (celui que, comme Marx, nous cherchons ici) dans lequel il inclura le besoin d'un loyer de 1000 par an, et même son correspondant par trimestre, par mois, etc. qui sera placé graduellement en sortie comme en entrée, et que donc nous avons déjà mis dans le jeu de la circulation. Nous verrons dans l'étude du troisième livre si l'on doit considérer le propriétaire de l'établissement comme un propriétaire foncier et si l'on doit transposer sa rente en une fraction de la survaleur ou calculer le loyer de l'immeuble comme rente et compter celui des machines comme capital.

Le rapprochement des deux rapports économiques n'est pas privé de portée au sens historique. Sol, immeubles et capital fixe ont le caractère commun de res nullius, chose de personne. Considérons le troisième mouvement, dans une société communiste, il n'y a pas de propriété du sol ni de propriété du travail mort, non seulement dans le sens où il s'agirait du travail des morts et où donc la transmission héréditaire n'aurait plus de valeur pour les vivants, mais dans le sens plus vaste où il s'agit de " travail objectivé ". Après la rotation productive immédiate (non plus contre valeur, monnaie et salaire) tout résultat du travail n'appartient à personne mais est social, il doit seulement être destiné dans le plan à un cycle de consommation ou de travail opportun. Il appert donc que c = 0 n'était pas une petite chose !

TABLEAU DES CHIFFRES COMPLETS

Soient les symboles : c1 partie usée du capital fixe ; c2 matières premières et auxiliaires ; c = c1 + c2 capital constant ; v capital variable ; c + v = k capital avancé circulant ; p survaleur ; k + p= k' capital produit.

Valeurs numériques pour une semaine :

c1 vaut 20 ; c2 vaut 60 ; c vaut 80 ; v vaut 20 ; p vaut 20 ; k' vaut 120 ; k vaut 100.

Valeurs pour une rotation de 5 semaines :

c1 vaut 100 ; c2 vaut 300 ; v vaut 100 ; p vaut 100 ; k' vaut 600 ; k vaut 500.

Valeurs pour une année de 10 rotations, 50 semaines :

c1 vaut 1000 ; c2 vaut 3000 ; c vaut 4000 ; v vaut 1000 ; p vaut 1000 ! k' vaut 6000.

Capital fixe égal à 10 c1 ; il vaut 10 000.

UNE COMPARAISON FINALE

Arrivé à un tel point on peut relire le fameux chapitre XV qui tend à établir le temps de rotation et donc le nombre de rotations annuelles une fois donnés le temps de production et le temps de circulation. Marx, comme d'habitude, commence en supposant que le temps de circulation est zéro ; c'était l'hypothèse du premier livre dans lequel on étudiait seulement la production du capital. Dans le premier cas de Marx le temps de production est de 9 semaines et après avoir, selon les chiffres donnés, avancé 900, on dispose pour 900 de marchandises vendables. Si la vente est immédiate une deuxième période de production recommence et toute la rotation s'intensifie au cours des neuf nouvelles semaines. Mais si pour réaliser l'argent (et aussi par celui-ci la matière première) il faut 3 autres semaines de temps de circulation, la rotation devient neuf plus trois c'est-à-dire douze semaines et le capital à anticiper grimpe de 900 à 1200, avec l'intervention d'un capital supplémentaire de 300. Marx discute trois cas dans lesquels la période de circulation est égale à celle de la période de production, plus petite ou enfin plus grande que cette même période ; il discute également le mouvement des deux capitaux. Tout particulièrement quand les deux durées ne sont pas des multiples arithmétiques on a un enchevêtrement compliqué des deux capitaux, et un certain capital reste inactif, sans fonction productive. Engels trouve que ceci est la norme, mais justement Marx en cherche les conséquences, alors que l'on a dans l'économie du premier stade l'égalité : travail gaspillé = capital inactif.

Survolons pour le moment cette analyse et revenons au tableau de base dans lequel le capital est de 6000, les rotations sont au nombre de 10 par an, le capital variable annuel est de 1000 et la survaleur est de 1000.

Marx se pose la question suivante : à combien s'élève le capital variable avancé en laissant comme d'habitude le capital fixe et le capital constant à leur destin. Evidemment il est seulement 100, ce qui est arrivé pour la première rotation, puis ce capital a tourné dix fois.

Or il est juste de dire que le taux de survaleur est 100 pour 100 parce que p et v sont toujours égaux, durant la semaine, durant les cinq semaines, et durant l'année.

Mais ce que Marx appelle maintenant le taux annuel de la survaleur s'élève à 1000 pour cent, étant donné que le seul capital variable 100 sorti une seule fois pour toutes a engendré 1000 de survaleur dans l'année.

Donc le " taux annuel " de la survaleur est d'autant plus grand que le taux brut de la survaleur (que l'on obtient même pour un seul jour par le rapport entre heures non payées et heures payées, premier volume, Abaque) que les rotations sont plus nombreuses en un an.

Soit A ce capital. Marx présente un capital B. Il est aussi de 6000 et se décompose dans les mêmes proportions. Avec la différence que pour la longueur de la période de travail (que l'on pense, mais seulement pour fixer les idées, à l'agriculture) on a une seule rotation en une année, et non pas dix comme dans le cas A.

Il est clair que le taux brut, immédiat, de la survaleur, est toujours de 100 pour cent. Mais le " taux annuel " dérive cette fois de 1000 de survaleur contre 1000 de capital variable lequel a dû être avancé entièrement et a tourné dix fois comme auparavant celui de 100 mais une seule fois.

Qu'en conclut-on ? Que le temps de rotation n'était pas une bagatelle, mais qu'il aura une influence énorme dans la construction du " degré de gaspillage " C'est-à-dire en comparaison avec une société du troisième moment qui apprêtera ses plans, sans avoir peur que les durées des cycles soient différents de secteur à secteur, comme le dira Marx.

Pour l'instant tenons-nous en aux chiffres et à leurs rapports.

Capital A. Taux de la survaleur 100 %. Taux annuel du profit : 1000/capital d'exercice avancé, c'est-à-dire 1000/500 = 200 pour cent.

Capital B. Taux de la survaleur 100 %. Taux annuel du profit (étant donné que l'avance totale a dû être 4000 plus 1000) 1000/5000 = 20 %.

Donc le capital qui fait de nombreuses rotations est très avantageux pour le capitaliste, à égalité de travail payé aux ouvriers (1000 dans les deux cas) .

Un ricardien vient alors et crie : mais, un moment, et le capital fixe ?

Nous l'avons déjà calculé quand nous avons fait circuler c1 de 20 en 50 semaines ou à 1000 en une année. Après dix années le capitaliste l'aura à nouveau pur et vierge. Le ricardien hurle qu'il a avancé en A 10.000 plus 500 et en B 10.000 plus 5 000 et donc que ses taux de profit annuels sont honnêtes : 9,5 pour cent en A et 6,66 % en B.

Marx dit que le taux du profit se réfère au capital marchandise, au chiffre d'affaires, et il est dans les deux cas de 1000/6000, c'est-à-dire 16,6 pour cent, comme pour n'importe quel cycle plus bref.

Dans la première indication de 200 et 20 pour cent nous avons divisé la masse annuelle du profit, 1000 dans les deux cas, par l'avance effective et pratique de capital circulant qui a été en A de 500 et en B de 5000.

Les 10 mille de capital fixe (dix mille de travail mort, objectivé) n'engendrent ni survaleur ni profit parce que seul le travail vivant a une telle puissance.

Les 10 mille, une fois donnés au début, se contentent de se reconstituer éternellement, sans rien ôter à la survaleur, il suffit que dans l'un et l'autre cas 1000 de travail salarié soient appelés à féconder la matière.

Non seulement après 10 ans mais pour toute l'éternité (en faisant abstraction pour le moment du changement technique) il ne faut rien pour faire tenir debout les 10 mille dont la rénovation (" amortissement ") a entièrement été portée au compte circulant de l'avance de 500, ou de 5000, entre capital constant et variable.

Le mort est toujours debout ; et la société bourgeoise tombe de sommeil.

In principium erat verbum, et in sempiternum erit . Le Verbe qui était et sera toujours est, pour l'économiste bourgeois, le Capital, l'Argent, la Valeur.

Pour le communisme révolutionnaire tout ceci n'est qu'un cadavre qui marche sur le corps des vivants. Ces derniers n'ont rien à construire ou à perfectionner ; ils doivent seulement, en se levant, jeter de leur dos le fardeau mort.

Traduction par (Dis) continuité

Source Il programma comunista, nn.19, 20 et 21 / 1960.
Author Amadeo Bordiga
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