Histoire de la Gauche Communiste - Réunion may 1963 (2)

Le rapporteur déclara tout d'abord que le premier volume de la publication que l'on attend depuis de nombreuses années sur l'Histoire de la Gauche Communiste Italienne, et en un sens plus complet Internationale, est déjà en cours d'impression. Le volume se composera d'un texte qui part des premières origines du mouvement européen et du mouvement italien et qui va jusqu'au premier après-guerre en s'arrêtant à peu près en août 1919, c'est-à-dire alors que le Congrès de Bologne du P.S.I. était en préparation. Le texte, qui a déjà été publié dans ces colonnes comme compte rendu de la réunion de Gênes qui s'intéressait à peu près au même cours historique, sera suivi d'un Appendice substantiel dans lequel seront reportés de nombreuses textes d'articles, de votes, de motions, dans lesquels la position de la Gauche se manifestait, ainsi que quelques textes d'écoles étrangères quand ils peuvent servir à mettre en lumière avec efficacité le rapport historique. Le but de l'Appendice est de mettre en relief comment notre courant, pendant plus d'une cinquantaine d'années, a défendu des thèses, dans le domaine de la théorie et dans celui de la tactique, rigoureusement constantes et continues dans le temps, ce qui est mis en évidence par une documentation scrupuleuse plus encore que par une narration.

Le camarade rapporteur ajouta immédiatement qu'il n'y a pas de correspondance stricte entre les épisodes de l'Histoire tels qu'ils apparaissent dans ces colonnes et leur forme définitive en volume qui est l'objet d'une élaboration attentive laquelle, n'étant pas le travail d'un auteur personnel, profite de la collaboration collective et efficace d'un ample groupe de camarades. On entend donc que l'on doive retenir comme texte définitif (tout en ne contenant pourtant jamais de variation, ni encore moins de contradiction) celui du volume que nous comptons publier à l'automne prochain. Le rapporteur avertit qu'on a ajouté ensuite au texte du journal certains petits chapitres qui regardent le très important mouvement de la Jeunesse socialiste italienne qui se porta rapidement en bloc sur le terrain du courant de Gauche.

Un premier petit chapitre relate la vie de la Fédération de Jeunesse de sa fondation en 1907 jusqu'au déclenchement de la guerre de 1914. Le point le plus important est que, alors que le Parti hésitait encore à prendre une position nette à la fois contre le révisionnisme réformiste et contre le syndicalisme-révolutionnaire anarchoïde, le mouvement des jeunes naît justement de l'exigence de différencier le marxisme révolutionnaire de ces deux positions opportunistes. Les tentatives de la part de la droite réformiste d'influencer les jeunes ne manquèrent pas mais dans les congrès suivants les réformistes furent battus de façon décisive et le mouvement des jeunes se rangea dans sa totalité non seulement aux côtés de la tendance intransigeante et révolutionnaire qui devait peu après triompher dans le Parti, mais véritablement à son avant-garde. Les jeunes vont plus loin, c'est-à-dire qu'ils anticipent certaines positions que le Parti devra assumer, dénonçant tout rapport avec la franc-maçonnerie et les autres nombreux cercles anticléricaux, défendant l'opposition révolutionnaire à la Monarchie et à toute forme de collaboration avec la classe bourgeoise et spécialement avec les pires de ses partis : ceux qui se définissaient comme progressistes et populaires. Dans le même temps, dans les rangs des jeunes, on défend la fidélité intégrale à la doctrine marxiste complète, et quasi à la veille de la guerre, c'est-à-dire en 1912, se déroula une vive lutte entre deux courants qui prirent alors les noms respectifs de culturistes et anticulturistes. Le premier courant, sous l'influence évidente des positions de droite et réformistes, soutenait que les cercles de jeunesse ne devaient pas être des organes de lutte politique et révolutionnaire mais une espèce de petite école élémentaire qui non seulement devait dispenser une éducation culturelle pour la jeunesse, mais même une éducation technique pour rendre le jeune prolétaire mieux adapté aux exigences de la production industrielle. Le courant de Gauche, par sa critique de cette fausse position, dont les lecteurs trouveront dans le volume de parution imminente reportés des textes importants, en même temps qu'il revendiquait que le fondement du Parti et du mouvement de jeunesse dût être la défense la plus rigoureuse de la théorie et de la doctrine marxistes, rejetait avec mépris la vision d'une école bien pâle pour défendre l'entrée dans les batailles du prolétariat en tant qu'avant-garde révolutionnaire. Revoir cette polémique dont nous sommes éloignés de plus d'un demi-siècle est très intéressant par l'analogie entre la critique faite alors au culturisme stupide et celle, beaucoup plus récente, faite à l'ordinovisme centriste qui, à son tour, répétait quelques-unes de ces thèses, comme son intérêt pour la bonne qualification technique ouvrier, et d'autre part avait en 1912 pour représentant justement un des premiers défenseurs du mouvement turinois des Conseils d'usine et de sa plus crasse interprétation programmatique et tactique.

Le deuxième petit chapitre suit l'activité du mouvement des jeunes durant la guerre de 1915-18 dans laquelle il fut également à l'avant-garde du Parti et appuya totalement le courant de gauche, en maintenant leur foi en la préparation anti-militariste des années d'avant-guerre qui, en dépassant des formes inférieures, s'était toujours mieux orientée vers de saines directives marxistes. Les congrès des jeunes se déroulent dans des difficultés incroyables à cause de la mobilisation militaire de l'énorme majorité des adhérents ; cependant la Fédération met immédiatement à la porte quelques rares déserteurs qui avaient suivi la position interventionniste de Benito Mussolini et se prononce sur la tactique en temps de guerre d'une manière analogue à celle soutenue par l'extrême Gauche à Rome en 1917, à Florence en 1917 et à Rome en 1918. La Fédération de jeunesse et son glorieux journal l'Avanguardia malgré toutes les persécutions montrent la sensibilité la plus immédiate à l'événement grandiose de la Révolution russe, les jeunes socialistes se rangent bruyamment au côté des bolcheviks et prennent parti pour la position de Lénine sur la Dictature révolutionnaire et sur le défaitisme ouvert dans les pays en guerre. Le volume apportera une ample documentation également sur ces positions.

Quelques autres pas en arrière

Le rapporteur demanda pardon de faire quelques autres petits pas en arrière dans le temps, car il entend illustrer quelques-uns des textes qui ont été retrouvés et mis en lumière dans le travail de recherche développé par tout le Parti. Nous voulons donner un aperçu de seulement deux d'entre eux.

Le premier est important parce qu'il a été écrit non seulement avant la guerre mais également bien avant que l'on pût pressentir l'éclatement de la première guerre européenne. Il s'agit en effet du numéro de l'Avanguardia du 11 janvier 1914 et le titre en est " L'irrédentisme ". L'occasion en est une vile campagne nationaliste contre le camarade Todeschini, député de Vérone, qui soutenait vigoureusement le mouvement socialiste dans le Trentin voisin, alors sujet, comme on le sait, de l'Autriche. Déjà l'Avanti ! avait protesté contre la droite du Parti selon laquelle, dans les provinces du Trentin et de Trieste, l’on n'aurait pas dû appuyer le prolétariat en lutte contre ses patrons lesquels appartenaient à la race et à la langue italiennes et étaient à leur tour en lutte contre le pouvoir autrichien parce qu'ils étaient irrédentistes. Les camarades pourront déduire de cet article comment a été condamnée avec d'exactes raisons de principe et de méthode la thèse défaitiste selon laquelle on ne peut pas commencer la lutte de classe si n'est pas d'abord résolue la question nationale, et comment a été approfondie exactement la signification du rapport historique qui doit être correctement posé entre les luttes de nationalités et la lutte de classe internationale. Dans cet article le journal des jeunes, avant que la guerre ne menace, anticipe validement la critique de la vague opportuniste qui, à peine un an plus tard, devait prétendre étrangler le socialisme et son passé pour leur faire céder le pas devant la sainte guerre pour libérer leurs frères de Trente et de Trieste.

Le deuxième article date au contraire du temps de guerre, il paraît dans l'Avanguardia du 7 juillet 1917 et est intitulé " Humanitas ". Le camarade Frédéric Adler avait tué à Vienne, à coups de revolver, le chancelier autrichien Stürgkh en signe de protestation contre la guerre capitaliste et la trahison social-patriote de ses camarades autrichiens dont Victor Adler, son propre père, était le dirigeant. On put publier l'autodéfense courageuse de Frédéric avant sa condamnation à mort convertie par la suite en 18 années de prison. Adler explique son acte en répondant à l'accusation qui l'avait traité de vulgaire assassin en prétendant le mettre en contradiction avec ses principes de socialiste affirmant que le socialisme signifie amour, paix et non violence. L'accusé répond sur le terrain de la dialectique révolutionnaire en disant que nous, nous luttons pour une humanité dans laquelle, les rapports de classe étant abolis, même la violence entre les hommes sera supprimée ; mais il dit que tant que nous vivons dans cette société de classe ignoble le moyen dont nous devons nécessairement nous servir est également la violence, justifiant ainsi son acte individuel qui dérivait de l'indignation irrésistible pour l'absence d'action collective du Parti et du prolétariat.

L'article des jeunes socialistes développe l'idée d'Adler non tant pour magnifier un héros que pour réaffirmer la position théorique correcte qui permet d'établir que le socialisme révolutionnaire ne peut avoir aucune parenté avec le quiétisme, avec le pacifisme et avec la résistance au mal.

Dans les deux cas on tire le fil conducteur de la documentation qui est l'objet central de toute notre recherche : les positions de doctrine et de méthode sur des points centraux déterminés, et même sur tous ceux-ci, sont posés par les marxistes véritables dans le même mode dans les époques et les lieux les plus différents entre eux et dans les situations contingentes et historiques les plus différentes.

Vers le congrès de Bologne

L'exposition précédente, tant sous la forme qui a été publiée dans Programma que dans le texte qui sera contenu dans le premier volume annoncé, se termine par la référence à un article en défense de la thèse des communistes abstentionnistes du 21 août 1919 paru dans l'Avanti ! sous le titre " Préparation révolutionnaire ou préparation électorale ". Il lui fut répondu par un commentaire de la rédaction favorable au contraire à la participation du Parti aux premières élections de l'après-guerre et ce commentaire était justement dû à un excellent camarade de la Gauche révolutionnaire qui cependant ne partageait pas la proposition du courant abstentionniste de Il Soviet de Naples de ne pas présenter de candidatures socialistes aux élections imminentes.

Il faut maintenant mieux illustrer quels furent les points de dissension au sein du Parti à la veille du Congrès de Bologne. La droite du Parti, cohérente avec ses positions que nous avons déjà amplement illustrées dans ce travail, tout en se vantant d'être restée en dehors de la collaboration nationale lors de la guerre (malgré les nombreuses faiblesses et les hésitations très graves à son sujet rapportées par nous) , alors qu'elle excluait par principe qu'en Italie on dût et pût déclencher une action insurrectionnelle au moyen de laquelle le prolétariat socialiste sacrifié dans la guerre sanguinaire aurait pris les armes pour contre-attaquer la bourgeoisie dominante, se plaçait dans la perspective d'une petite revanche purement légalitaire, en calculant que le parti aurait largement exploité la grande popularité que lui avait donnée sa position anti-guerre en remportant une victoire électorale retentissante et en acquérant de grandes possibilités d'influer sur les orientations du gouvernement. Nous savons déjà au contraire que la traditionnelle fraction révolutionnaire intransigeante, laquelle avait en main la Direction du Parti et le journal, n'avait pas de perspectives claires dans la période de l'après-guerre. En paroles, on soutenait toujours que l'on n'aurait jamais pu remporter la bataille de l'émancipation du prolétariat à travers la conquête de majorités parlementaires, puisque cela aurait signifié former un bloc avec des partis petits bourgeois, lesquels, entre autre chose à cette époque, ne pouvaient recruter que dans les rangs des partisans de la guerre (républicains, social-réformistes de droite, radicaux, etc.) à moins de ne pas admettre non seulement la collaboration parlementaire mais l'extension de cette méthode révisionniste au moins aux partisans de Giolitti et au Parti Populaire italien naissant, le père de l'actuelle Démocratie Chrétienne. En outre, en paroles, les gauches admiraient la Révolution russe et Lénine, parlaient – comme nous l'avons dit, en ayant bien peu compris au processus historique de la révolution - de dictature du prolétariat et d'Internationale Communiste, mais quand on avança l'idée de refuser la participation aux élections ils firent, dans leur écrasante majorité, jusqu'à de bons éléments comme le commentateur cité plus haut, machine arrière précipitamment et prétendirent pouvoir parler aux masses d'un proche conflit à main armée et, dans le même temps, de leur insertion légalitaire dans le tourbillon des bulletins électoraux.

Continuons notre critique impitoyable de cette position qui était l'embryon d'un nouvel opportunisme beaucoup plus dangereux, mais avant tout il est nécessaire de montrer plus clairement quels étaient le sens et la motivation de la proposition de la fraction communiste abstentionniste et du journal Il Soviet, et de répondre aux interprétations les plus banales que les adversaires donnèrent de cette proposition, interprétations qui furent données à cette époque à l'échelle italienne et puis à l'échelle internationale, et qu'aujourd'hui encore on voit beaucoup rabâcher.

Points cardinaux de la proposition abstentionniste

La défense de la totalité du programme marxiste et révolutionnaire que la Fraction Abstentionniste avait diffusé dans tout le Parti après une réunion tenue en juillet 1919 continua en préparation du congrès de Bologne, ainsi que dans la série d'articles de l'hebdomadaire Il Soviet de Naples, et dans d'autres articles envoyés par les abstentionnistes à l'Avanti ! et dont la publication doit être désormais réservée à l'Appendice du deuxième volume. Un de ces textes du 2 septembre 1919 s'intitule " En défense du programme communiste " et développe non tant la question de savoir s'il faut faire ou ne pas faire les élections mais la question bien plus importante du passage de la domination de la bourgeoisie à celle du prolétariat en établissant clairement la distinction entre notre perspective historique et celle des social-démocrates d'une part et des anarchistes de l'autre. Un article suivant du 14 septembre s'intitule " Les contradictions du maximalisme électoral " et, en considérant que leur fait avait déjà été dit aux bourgeois et aux petits-bourgeois réformistes ou libertaires, il attaque de front le nouvel et véritable ennemi qui était, l'avenir devait le démontrer, le plus dangereux de tous, c'est-à-dire la Fraction qui allait devoir l'emporter à Bologne et remporter encore la majorité à Livourne, c'est-à-dire la fraction des faux révolutionnaires qui, tout en jacassant à propos du programme maximaliste, se montrent imprégnés jusqu'au cou du " crétinisme parlementaire " classique de Marx. Un autre article de l'Avanti ! du 23 septembre est intitulé " Vers le congrès du Parti ", et, alors qu'il réaffirme la défense du programme communiste en doctrine, il en fait l'application pratique à la situation italienne et démontre clairement comment la perspective de la victoire socialiste n'est pas autre chose qu'une perspective contre-révolutionnaire. Ce que l'avenir a démontré, et qui est clair comme le jour pour tous.

De nombreux articles de Il Soviet méritent d’être cités et de prendre place dans le deuxième volume. Cependant nous voulons exposer maintenant précisément les points fondamentaux de la Fraction Abstentionniste pour démontrer que les élections étaient le dernier souci de sa politique et de sa lutte en 1919. Le problème brûlant n'était pas d'espérer conquérir le Parti ni même sa majorité à une décision de ne pas présenter des candidats au parlement, mais c'était de discuter par quelles voies dans l'avenir l’on pourrait dégager une possibilité pour la classe prolétarienne italienne, partie de la classe prolétarienne européenne, de livrer sa bataille de classe et d'en sortir non pas défaite mais victorieuse. Les points fondamentaux étaient les suivants :

1. Affirmation des bases théoriques du marxisme révolutionnaire et de sa perspective du passage du pouvoir capitaliste au pouvoir ouvrier et, par un développement historique ultérieur, de l'économie privée au socialisme et au communisme ;

2 Affirmation que la doctrine et le programme de la Troisième Internationale de Moscou n'étaient pas un résultat nouveau et original de la Révolution russe, mais s'identifiaient avec les canons marxistes du point précédent ;

3. Affirmation de la nécessité que le nouveau mouvement, qui suivit la faillite de la Deuxième Internationale, devait naître sur le plan national et sur le plan international à travers une sélection impitoyable et une scission d'avec les éléments révisionnistes et social-démocrates ;

4. Prise de position de la Gauche contre les multiples et démagogiques énonciations erronées des maximalistes de l'époque et contre leur perspective ridicule de l'action révolutionnaire en laquelle en réalité ils ne croyaient pas et également contre la proposition prématurée de former artificiellement les Soviets et contre la propre construction non moins erronée des ordinovistes de Turin qui voyaient la société nouvelle déjà construite cellule par cellule dans les conseils industriels d'usine ;

5. Démonstration que, malgré les références banales à l'abstentionnisme des anarchistes, les communistes repoussaient et considéraient comme anti-révolutionnaires toutes les positions courantes des anarcho-syndicalistes, particulièrement parce qu'ils refusaient la dictature de l'État ;

6. Jugement sur le développement politique italien qui ne consistait pas dans la proposition brute de déclencher illico et immédiatement la révolution armée, justement parce que la phase historique préalable à cette révolution aurait dû être la constitution du véritable Parti communiste et une conquête adéquate de son influence sur l'avant-garde du prolétariat. Prévision que la perspective la meilleure pour la conservation du pouvoir bourgeois en Italie était la persistance dans les partis prolétariens d'une position indéfinie entre la préparation des moyens révolutionnaires et l'utilisation des moyens légaux, et la tentative – qui après des décennies a fini par triompher – d'attirer un large groupe de prétendus représentants de la classe ouvrière d'abord dans le Parlement et ensuite dans la machine gouvernementale d'Etat.

Il était évident que nous savions très bien, avant le congrès de Bologne, quelles étaient nos forces de même que nous savions que nous n'allions pas avoir la majorité pour nos propositions, mais il serait ridicule de penser que nous n'étions pas du tout préoccupés de la voie qu'allait prendre, dans la réalité historique, l'énorme majorité de nos adversaires dans son hybridisme effrayant entre extrémistes bruyants et même théâtraux et vieux réformistes pompiers et en pantoufles.

Il est banal de dire que si les maximalistes avaient accepté nos argumentations et si une majorité importante avait décidé de ne pas aller aux élections la minorité se serait détachée du Parti et aurait continué toute seule ; mais ceci aurait justement été un pas utile pour atteindre le résultat préalable auquel, après d'autres événements et de façon malheureuse, on devait parvenir à Livourne, mais surtout alors que les probabilités d'une bataille victorieuse s'étaient évanouies.

On nous dit depuis quarante ans que c'avait été être dogmatiques et talmudiques que de ne pas tenter de réaliser la scission même dans l'hypothèse où la majorité aurait été favorable à la participation à la bataille parlementaire. Mais une telle accusation n'a aucun fondement parce que la chronique de ces mois et ensuite des journées du congrès démontre que nous fîmes tous nos efforts pour pousser les maximalistes électionnistes à accepter le critère de l'élimination du Parti de tous ceux qui auraient refusé le nouveau programme communiste.

Nous fîmes la proposition aux maximalistes serratistes de mettre ce corollaire à leur motion qui, malgré leur désordre mental, avait fini par insérer, sous la pression de notre polémique claire et décisive, au moins une partie des thèses communistes correctes, et nous promîmes que, dans ce cas, nous aurions effacé de la nôtre le corollaire de l'abstentionniste aux élections. Ainsi nous aurions atteint l'objectif, certes moins brillant, du départ du Parti des réformistes à la Turati et avec eux d’un certain groupe de maximalistes, les plus vulgaires et plus incohérents.

Notre proposition électorale était loyale et allait au-delà de la promesse de respecter la discipline dans la campagne électorale ; ceci est d'autant plus vrai qu'après le vote qui nous fut contraire non seulement nous décidâmes de ne pas sortir du Parti mais nous acceptâmes de participer par discipline au travail électoral même dans le Parti resté tel qu'il était auparavant. On ne peut donc pas dire que nous commîmes une erreur par excès de dogmatisme, et la vérité pourrait être à l'opposé, c'est-à-dire que nous commîmes peut-être une erreur par défaut en ne sortant pas immédiatement du Parti en n'en constituant pas un nouveau.

Dans tous les cas la vérité historique est que nous fîmes la proposition et que les maximalistes la refusèrent, c'est-à-dire que la refusèrent non seulement Lazzari, qui alors penchait vers Turati, mais également Serrati, Bombacci, Gennari, Gramsci, etc. Une des conditions était naturellement que le nouveau programme ne restât pas à figurer dans les alinéas fragmentaires de la motion maximaliste, mais conclût avec l'affirmation que le vieux programme social-démocrate de Gênes de 1892 fût abrogé et remplacé. Gennari sembla un moment adhérer à cette position évidente mais les autres ne voulurent rien savoir : Turati et Lazzari imposèrent la persistance du programme de Gênes, alors que Serrati et les Milanais; Gramsci et les Turinois, Bombacci et les Emiliens, trouvèrent opportun de supporter également cette dernière imposition par peur de compromettre l'éclatante victoire électorale que l'on ne pouvait remporter qu'avec Turati.

La question du programme, qui s'identifiait techniquement avec l'exigence de rompre le parti, était pour nous la question politique centrale (et nous la confirmerons quand nous recourrons aux textes du deuxième Congrès de Moscou de 1920) et la question des élections n'était pas pour nous une question politique centrale, dans le sens où pour celui qui connaissait le fétide démocratisme occidental il fallait peu de secondes pour prévoir que, en effleurant simplement ses méthodes obscènes, la nouvelle force révolutionnaire naissante aurait sombrer dans la honte.

La campagne forte et cohérente du Soviet 

Les derniers mois qui précédèrent le congrès de Bologne furent consacrés par le Soviet de Naples à une campagne vigoureuse dans laquelle tous les points énoncés dans le paragraphe précédent et formant un tableau complet et organique de doctrine et d'action furent traités, avant tout le point de la lutte pour un nouveau parti qui aurait éliminé les social-démocrates réformistes et se serait libéré également des très nombreuses positions erronées dans lesquelles le " maximalisme " le plus vide et le plus bruyant s'enveloppait de plus en plus.

Plusieurs fois le Soviet dut avertir qu'il ne s'agissait pas de positions personnelles de quelque camarade, écrivain actif et propagandiste, ni de positions localistes ou dictées par les difficultés traditionnelles liées à la situation du socialisme napolitain. Il s'agissait d'un authentique courant collectif dans le parti qui réunissait partout des adhérents et collaborateurs à la propagande, à la rédaction du journal et à l'agitation et qui, pour commencer, s'était donné un réseau serré et organisé à l'échelle nationale. Beaucoup plus tard les gens de l’Ordine Nuovo ont reconnu leur défaut originel consistant à ne pas avoir su s'organiser à l'échelle nationale et d'avoir dû, après Bologne et avant Livourne, et même après Livourne, marcher dans le sillage du travail robuste fait en temps utile par les abstentionnistes immédiatement après la fin de la guerre. Mais pour dévaluer la tradition abstentionniste un quelconque de leurs écrivains post litteram a insinué que la doctrine abstentionniste, simpliste et infantile, était implantée seulement dans le Sud où il n'y avait pas de masses prolétariennes développées, alors que la doctrine ordinoviste se contentait de la seule Turin à l'industrie très moderne et ignorant le monde arriéré ! Il est facile de montrer le très mauvais goût de cette invention gratuite et peu heureuse en donnant la liste des forces de la fraction abstentionniste qui se déduit de la publication constante dans le Soviet des adhésions au programme de la fraction. Il résulte du vote officiel que seules 67 sections adhéraient à la fraction avec 3 413 votes contre le bloc énorme qui naquit du vote de Turati pour Lazzari et, au dernier moment, de Lazzari pour Serrati et compagnie. Mais 12 sections ne purent envoyer leur délégué surtout pour des motifs économiques, et nous calculerons que 84 sections avaient adhéré au Soviet. En voici la répartition entre les provinces italiennes d'alors : Alessandria 5 sections, Cuneo 2, Novare 14, Turin 5 (avec la très forte minorité du chef-lieu) , Bergame 1, Mantoue 1, Milan 1, Pavie 1, Porto Mauricio 1, Modène 2, Ravenne 1, Bologne 4, Arezzo 2 (avec le chef-lieu) , Florence 5, Lucques 2, Sienne 2, Ascoli 2, Macerata 1, Pérouse 1, Teramo 1; Aquila 1, Rome 2, Naples 6 (avec le chef-lieu) , Caserta 2, Salerne 2, Catanzaro 1 (chef-lieu) , Cosenza 3, Bari 5, Reggio C. 1, Girgenti 2 (avec le chef-lieu) , Palerme 1 (chef-lieu) , Syracuse 1, Cagliari 1.

Il y a deux considérations à faire. La première est que le mouvement, également en relation à la distribution des forces du parti, était plus fort au Nord et au Centre qu'au Sud et dans les îles. La deuxième est que, en dépit de la règle démocratique imbécile, ce n'est pas le nombre brut d'adhérents qui compte mais leur présence sur tout le territoire.

Nos lecteurs trouveront déjà, tant dans le texte narratif historique que dans l'Appendice de la partie traitée dans le premier volume, une série de citations de textes du Soviet qui montrent comment la lutte se développait sur un front multiple et non seulement sur le thème du boycottage de la méthode électorale. Tous les aspects de la lutte prolétarienne et communiste en Italie et dans le monde sont suivis bataille par bataille en donnant pleinement les raisons des victoires et des défaites (Russie, Hongrie, Bavière, Allemagne, etc.) La lutte et la polémique sont continues contre les partis de la démocratie bourgeoise et " populaire ", en Italie et à l'étranger, mais la distinction entre nous et les faux révolutionnaires syndicalistes et anarchistes n'est jamais oubliée ; la question des organisations économiques et de leurs rapports avec le parti de classe est traitée à fond. Les aberrations des maximalistes indigènes et des ordinovistes sont immédiatement découvertes et dénoncées, et parmi elles la proposition de la Constituante, celle de former immédiatement les Soviets, l'idée stupide de la grève expropriatrice, les premières apparitions du fétichisme de l'" unité " et du " front unique révolutionnaire " qui, avant même l'existence du parti communiste, sont avancées dans une confusion dangereuse d'idées qui conduit à une absence totale de programme, d'organisation sérieuse et de préparation révolutionnaire. Les gauches abstentionnistes voient de loin tous les dangers et toutes les menaces de l'opportunisme et de la contre-révolution. Dans le domaine international la suite de cette étude montrera pourquoi il n'y eut pas une fraction de gauche efficace en Europe et dans le monde, et quelles erreurs effectives, " infantiles " au sens de Lénine, traversèrent notre route avec les régurgitations d'influences anarchoïdes et syndicalistes, dont le filon doit être cherché en Italie dans le courant de l'Ordine Nuovo et qui, au cours de longues décennies, ne contribua pas peu à la débâcle dans le nouvel opportunisme.

Bataille avec l'hebdomadaire

Nous pouvons maintenant suivre brièvement les matériaux disponibles dans la période entre août et octobre 1919, en faisant un usage rapide du Soviet. Rappelons encore que tout l'ensemble de nos thèses fut déjà solidement et clairement formulé dans le programme adopté en juillet à Bologne et auquel par la suite seront ajoutées les thèses sur la partie " Tactique " et sur la " Critique des autre écoles ".

Dans le n°35 du Soviet du 24 août 1919 on donne le texte bref de la motion que l'on soumettra au vote à Bologne et qui présente le programme déjà rendu public depuis juillet. Le pivot de la motion, avant l'abstentionnisme électoral, est la déclaration d'incompatibilité avec le parti de quiconque admet l'émancipation prolétarienne par voie démocratique et repousse la dictature du prolétariat.

Dans le n°36 du 31 août l'hebdomadaire attaque la politique italienne bourgeoise de Nitti qui s'occupe d'inviter à la noce le groupe parlementaire socialiste, alors qu'il est complice de la bourgeoisie mondiale qui, en ces jours, se vantait d'avoir pris Odessa et Petrograd avec ses armées blanches. Il suit la vive polémique contre les thèses vulgaires des " maximalistes électionnistes " qui se révèlent toujours davantage pires que les réformistes classiques.

Dans le n°37 du 7 septembre il ne manque pas de notes politiques sur les manœuvres de la bourgeoisie italienne – mouvement des " arditi " qui annonçait le fascisme, campagne hypocrite sur les " responsabilités " de la défaite de Caporetto, qui nous donne l'occasion de revendiquer notre doctrine du défaitisme – et la polémique contre le programme maximaliste équivoque continue. Il ne s'agissait d'ailleurs pas d'une motion, une vague circulaire polémique comme nous le dîmes tant de fois, et la question brûlante de la division du parti se voyait réduite en ces termes insipides : " nous déclarons que le Congrès doit sanctionner le fait que ceux qui resteront dans notre parti ne devront en aucune façon se prêter à la tromperie envers les peuples ". Et le Soviet se faisait pressant : " Les camarades croient-ils vraiment que par ces formules vagues dans lesquelles la pensée socialiste n'est pas contenue dans toute l'intégralité de sa conception organique mais seulement en raccourci et de façon incomplète, l’on puisse réussir à obtenir une épuration du mouvement actuel et une unité claire et nette dans l'avenir ? Ne croient-ils pas plutôt que l'impossibilité à rester dans le parti doit être établie en rapport à l'acceptation rigoureuse d'un programme organique qui indique non pas une aspiration vague à réaliser dans le futur mais une finalité concrète et claire à atteindre, et qui indique une discipline tactique strictement adaptée à cet objectif ? ".

Ici l’on voit clairement comment les maximalistes électionnistes évitaient volontairement le problème central de la préparation du parti aux heures terribles de l'histoire, et seuls les abstentionnistes posèrent la question en termes tranchés, la question de la division en deux partis opposés qui vivaient sous le nom d'un seul.

Dans le n°38 du 14 septembre parmi de nombreuses autres polémiques contre les maximalistes de la majorité un article éditorial relève que notre programme, qui entendait tracer toute la voie de la révolution ouvrière et communiste, n'est pas discuté sur des points vitaux mais que l'on fait beaucoup de bruit sur la seule question des élections " que nous avons indiquée sobrement ". Il était clair que les milieux électoralistes du gros parti, plus suspects encore dans le courant maximaliste que dans le courant réformiste de toujours, se sentaient piqués au vif. Notre article discute au contraire du système de représentation que le prolétariat exerçant sa dictature substituera dans l'État transitoire au parlementarisme bourgeois détruit, il démontre qu'il ne s'agira pas d'un échafaudage économico-productivo-syndical, et il polémique avec les idées désordonnées de tous les maximalistes en la matière.

Le n°39 du 31 septembre sous le titre de " Pour une solution courageuse du conflit entre les tendances ", après avoir protesté contre le renvoi du congrès aux 5-8 octobre, formule la prévision facile qu'il en sortira une pagaille pitoyable parce que la droite et le centre ne sauront pas être sincères. Permettons-nous une citation tirée du texte : " La préoccupation unitaire, excitée et raffermie par l'imminence de la lutte électorale à laquelle tous se sentent solidement liés, servira de liant pour l'union et la confusion. "

" Le parti maintiendra une unité formelle résultant d'une série de compromis, de renoncements, d'hypocrisies, tous également délétères parce qu'ils se répercuteront sur l'action à venir qui sera incohérente, décousue et discordante, comme le seront les parties constituantes du parti lui-même.

" Seul, contre ce mélange, restera le groupe maximaliste anti-électionniste à insister sur la nécessité de contraindre le parti à la véritable révision du programme laquelle signifie en conséquence la scission entre social-démocrates et communistes. "

" Nous ne voulons pas maintenant dire si le parti se scindera ou non, bien que de notre point de vue nous croyons qu'il y a une trop profonde antithèse de conception programmatique entre les deux, et non quatre, tendances fondamentales, c'est-à-dire la tendance social-démocrate et la tendance communiste, pour qu'elles puissent continuer utilement à cohabiter.

" Si la scission est évitée aujourd'hui (et si elle l'est ce sera un mal) , elle adviendra inévitablement demain. "

Il ne faut pas d'autres preuves de notre claire évaluation du parti d'alors, de sa droite connue, et de son centre équivoque que, à l'époque, Lénine lui-même mettait le dos au mur dans toute l'Europe, et de notre décision de lutter pour le point que Moscou et Lénine montraient vouloir clairement : la scission du parti qui ne pouvait être prorogée et qui était imposée par la situation brûlante d'Italie.

Le n°40 du 28 septembre est intéressant parce qu'il ne réserve pas beaucoup d'espace à la polémique du congrès désormais traitée de façon exhaustive par nous. Il y a en deuxième page la convocation de la fraction pour le 4 octobre à Bologne et des notes mineures. Il est bon de dire que l'hebdomadaire est toujours de quatre pages mais il n'a pas le caractère d'une revue parce que les deux dernières pages au moins sont consacrées à la chronique du mouvement militant du parti et des syndicats ouvriers. La première page de ce n° 40 établit notre position originale sur la perspective politique italienne. Il y avait en quasi " signal d'alarme " : D'Annunzio (que nous n'avions jamais vraiment trop pris au sérieux) s'en était allé à Fiume et Nitti agitait pour abêtir le socialisme parlementaire l'épouvantail de la dictature que l'on appelait encore militaire et non fasciste. Les fascistes de Mussolini faisaient semblant d'applaudir D'Annunzio et ils appelaient Nitti Cagoia (2) . L'attaque prévisible d'une droite fasciste contre Nitti et en général contre les garanties démocratiques " sacrées " ne nous faisait pas trembler. La dictature de classe capitaliste est toujours là et l'épouvantail d'une situation pire a toujours eu l'effet d'une tromperie contre-révolutionnaire et d'une chute du prolétariat dans la pieuvre opportuniste, elle vraiment pire. Le fascisme est venu, il s'en est allé, et à la fin nous sommes encore là.

Que l'on nous permette une autre brève citation : " Le vernis parlementaire de la dictature de classe que le capitalisme exerce avec le sabre de ses gigolos pourrait bien tomber ; et ce serait un avantage pour la cause de la révolution prolétarienne. En jetant le masque, la bourgeoisie renoncerait à toutes ces ressources que lui offre encore l'emploi habile du piège démocratique et électoral.

" Le prolétariat et le parti socialiste seraient ainsi libérés par la classe dominante elle-même des entraves de l'électoralisme soporifique, et donneraient immédiatement ou à très brève échéance une réponse adéquate en se lançant à l'assaut révolutionnaire pour la dictature prolétarienne. Salutem ex inimicis ! "

Dans ces quelques lignes est condensée la position de la gauche marxiste pour les cas où la " menace fasciste " plane sur les " institutions libres " du monde contemporain.

Une occasion historique favorable, à accueillir avec des propositions viriles, et non avec les pleurnicheries ignobles sur la liberté violée.

Le titre que ces symptômes " terribles " nous dictaient était : " Alors que la crise du régime bourgeois se développe ".

Mais le parti prolétarien, malheur à lui, ne songeait qu'à l'orgie des bulletins de vote !

Le n° 41 sort le 5 octobre. Il a pour titre : " A la veille du congrès socialiste de Bologne ". Et dessous, un mot d'ordre lapidaire signé Lénine : A bas le capitalisme ! A bas le mensonge de la démocratie bourgeoise ! Vive la république universelle des Soviets ! Voilà, ô jeunes qui lirez ces lignes après 45 années, ce qu'était le léninisme. Il n'en existe pas un autre qui sauverait la démocratie, qui sauverait les pays capitalistes !

Rapportons ce simple petit morceau :

" QUESTIONS AUX CAMARADES MAXIMALISTE ELECTIONNISTES.

Nous sommes désireux d'avoir des camarades de la Fraction Maximaliste Électionniste une réponse précise aux questions précises suivantes :

" 1. Voteront-ils pour la rénovation du programme du parti approuvé à Gênes en 1892, comme on peut le déduire du programme de la fraction maximaliste signé par Gennari, Serrati, Bombacci et Salvatori ? Et quel est le nouveau programme qu'ils proposent en remplacement de l'ancien ? 

" 2. Voteront-ils pour l'élimination du parti de ceux qui se trouvent dans les conditions prévues par la deuxième des thèses de Lénine, comprises intégralement dans le programme en question ? "

Il s'agissait des thèses de Lénine au premier congrès de la Troisième Internationale fondée en mars de cette année 1919 à Moscou. Elle excluait de la nouvelle Internationale les social-démocrates et les négateurs de principe de la dictature prolétarienne.

Le congrès répondit. Dans celui-ci nous étions peu nombreux mais nous livrâmes notre bataille à fond. La majorité obscène qui ne put nous débloquer par aucun moyen, ne put ni nous intimider ni nous écraser. Nous avons dit tout ce qu'elle méritait !

Le congrès de Bologne

Au congrès et lors des décennies qui l'ont suivi on spécula sur le fait que Lénine était contre nous. En fait il fut clair au Deuxième Congrès de l'Internationale Communiste de juin 1920 que Lénine et les bolcheviks russes étaient pour la participation aux élections parlementaires. Mais avant tout cette dernière était prescrite aux partis devenus communistes après les scissions et avec une méthode qui était aux antipodes de la méthode indécente et indigne à laquelle se préparait le parti socialiste italien, fausse section de la Troisième Internationale, au congrès de Bologne. Et nous avons le droit de dire que nous étions les seuls à être alors sur le terrain purement léniniste et bolchevik, nous pouvons dire à 95 pour cent des positions théoriques et tactiques, alors que la divergence sur les élections - même si nous la rapportons non à l'Italie de 1919 (qui était sacrosainte) mais à la politique générale communiste mondiale sur laquelle nous nous étendrons longuement dans la suite où nous traiterons peu de la province italienne (comme la Gauche ne s’y intéressa pas dans les congrès de Moscou, en demandant que l’on s’intéresse à l'Europe et au monde) – pouvait correspondre à 5 pour cent. Seul l'avenir a pu dire qui posait mal le problème non fondamental que nous traiterons largement par la suite.

Il existe une lettre de Lénine à Serrati écrite à l'occasion du congrès le 28 octobre 1919, elle fut publiée dans l'Avanti ! seulement le 5 décembre 1919. Lénine écrit alors qu'il a des nouvelles " extrêmement maigres " d'une victoire " communiste " au Congrès (l'adhésion à la Troisième Internationale avait été votée par acclamation, donc aussi par ceux qui, à Livourne, jetèrent leur venin contre l'Internationale et Lénine ! trucage sinistre et grave responsabilité historique des maximalistes d'alors et des faux communistes d'aujourd'hui) . Avant de reporter la lettre, rappelons que dans le fameux opuscule sur l'Extrémisme (auquel nous avons consacré dans ces pages des gloses profondes) Lénine écrira, peu de mois après avoir connu le Soviet, qu'il n'approuvait pas le boycottage du parlement, mais qu'il donnait raison au journal, le seul à soutenir la scission d'avec les social-démocrates. L'étude ultérieure de la politique italienne conduira Moscou à se séparer des maximalistes eux-mêmes et de Serrati.

Avant tout, rappelons également que, en 1918, Lénine s'exprime avec un sérieux optimisme sur les nouvelles en provenance d'Italie. En août 1918 : " Tous les signes indiquent que l'Autriche et l'Italie sont à la veille de la révolution : la décomposition du vieux régime dans de tels pays marche à grands pas. " En octobre il se réjouit des sifflets terrifiants avec lesquels les ouvriers italiens accueillent le traître Gompers et il s'amuse : on dirait que les ouvriers italiens auraient permis de voyager en Italie seulement à Lénine et à Trotsky (discours au congrès panrusse) .

Ces citations de Lénine vont au-delà de la question secondaire des élections, mais servent à démentir le faux gigantesque de Staline : Lénine s'intéressa toujours, jusqu'à sa mort, au cours de l'incendie allumé en Russie pour l'Europe et le monde ; toute chose différente n'est que mensonge infâme.

Donnons le texte de la lettre.

" Au camarade Serrati et aux communistes italiens en général. Cher ami, les nouvelles que nous recevons d'Italie sont extrêmement maigres. C'est seulement dans les journaux étrangers non communistes que nous avons appris la nouvelle du Congrès de votre parti à Bologne et la brillante victoire du communisme. De tout cœur je vous salue, vous et tous les communistes italiens et je vous souhaite les plus grands succès. L'exemple du parti italien aura une grande importance pour le monde entier. En particulier la décision de votre Congrès de participer aux élections pour le parlement bourgeois est, à mon avis, totalement juste, et elle aidera, je l'espère, à réaliser l'union du parti communiste allemand qui a fait la scission pour une telle question (entre K.P.D. et K.A.P.D.)

" Il n'y a pas de doute que les opportunistes ouverts et cachés, qui sont si nombreux dans le parti italien parmi les parlementaires, s'efforceront de passer outre aux décisions du congrès de Bologne, de les réduire à néant. La lutte contre ces courants est loin d'être terminée. Mais la victoire de Bologne facilitera les victoires ultérieures.

" Le prolétariat italien, en vertu de la position internationale de l'Italie, aura à affronter des tâches difficiles. Il est possible que l'Angleterre et la France, avec la participation de la bourgeoisie italienne, tentent de provoquer le prolétariat italien en le poussant à une insurrection prématurée pour qu'il leur soit plus facile de l'écraser. Le travail brillant des communistes italiens donne la garantie qu'ils réussiront avec succès à conquérir la totalité du prolétariat italien et la totalité du prolétariat agricole (italiques dans le texte) ainsi que le petit paysan ; alors, en choisissant le moment juste au niveau international, la victoire de la dictature prolétarienne en Italie sera solide. De ceci les succès des communistes en France, en Angleterre et dans le monde entier se portent également garants.

" Saluts communistes.

Lénine ".

On ne peut pas reprocher à Lénine que sa lettre soit trop optimiste sur le congrès italien ainsi que sur les communismes français et anglais. Le révolutionnaire a le devoir d'être optimiste, et l'on ne doit pas oublier que l'on était à l'époque des plus grands efforts criminels de la France et de l'Angleterre dans leur tentative vaine de briser la révolution d'Octobre. Mais la lettre dit clairement qu'il fallait couper le parti de sa droite même si c'est seulement plus tard que Lénine vit qu'il fallait aussi le couper du centre serratien et qu'il le voulut inexorablement.

Lénine en écrivant cette lettre ne sait pas encore combien est vaine la démagogie des maximalistes qui osaient dire : peut-être l'insurrection éclatera-t-elle avant les élections et alors tant mieux ! Ici Lénine donne une leçon de la façon dont un communiste marxiste calcule et choisit le moment de l'insurrection. Comme en Russie en 1917 ce peut être une question de jours et d'heures ! En Italie il convenait en 1919 de ne pas faire de faux pas. Le grand passage de la lettre est celui sur la provocation possible des démocraties de l'Entente. Il semble consacré au maximalisme fanfaron dont Lénine ne connaissait pas les chefs-d'œuvre démagogiques.

La lettre, en 1963, est également un document contre le stalinisme et le khrouchtchévisme escrocs. Dans l'esprit de Lénine la dynamique de la révolution internationale était présente à tout moment. Paris et Londres auraient dû sauter peut-être avant Berlin et Rome, et avec eux la discrète mais la plus infâme de toutes l'Amérique quaker, pacifiste et hypocrite, bourreau alors et toujours de l'Europe avancée et révolutionnaire qui depuis des décennies se déshonore et s'est déshonorée jusqu'à Moscou dans son étreinte avec cette Amérique. A cette échelle, que comptent les saloperies parlementaires des Turati du passé et des Togliatti et compagnie d'aujourd'hui (les premiers ayant une plus noble cohérence que les seconds) ?

Le débat à Bologne : le rapporteur abstentionniste

Le congrès se déroula à Bologne entre le 5 et le 8 octobre 1919. Sur la question de la tactique du parti des accords furent passés entre les rapporteurs des trois tendances pour qu'ils parlent à l'ouverture et à la clôture du débat, mais pas trop longuement pour ne pas étouffer la discussion des délégués. Le rapporteur de la fraction communiste abstentionniste commença en déclarant qu'il allait exposer le programme de la fraction en se réservant de répondre à la fin aux objections qui auraient été soulevées.

Il admit que, comme l'avait dit Treves, étant donné les mandats impératifs des sections le résultat du congrès était déjà évident et l'on savait très bien que rien n'aurait pu empêcher l'entrée du parti dans la bataille électorale.

Mais ce n'était pas une question pour ne pas soutenir le programme communiste intégral, " parce que nous nous promettons d'obtenir dans la vie à venir de notre parti la confirmation de la méthode que nous vous montrons même si pour vous le moment de l'appliquer n'est pas encore advenu. "

Il semblait clair que la totalité du parti avait adhéré à la Troisième Internationale étant donné que quand, dans le rapport de la Direction, Lazzari y avait fait allusion, tout le congrès avait applaudi. Mais le rapporteur abstentionniste, pour prouver sa peu de foi en cette attitude, dit partager l'avis de Modigliani. Selon ce dernier un acte aussi important aurait été de la compétence du Congrès plus que de la Direction " justement parce qu'ainsi le programme de la Troisième Internationale de Moscou serait accepté plus consciemment, programme duquel provient avec certitude la méthode permettant de recueillir toutes les énergies du parti pour la conquête révolutionnaire du pouvoir, en abandonnant définitivement la méthode social-démocrate et patriotarde de la Deuxième Internationale qui consiste à pénétrer dans les institutions représentatives, avec telle ou telle motivation. "

La suite, nous ne disons pas de ce discours parmi tant d'autres, mais du cours historique en Italie et dans le monde, a montré qu'alors, pour la grande partie des socialistes, cette motivation était entièrement légaliste et pacifiste et que la tentative d'une motivation " révolutionnaire " avait failli.

De façon très synthétique, le rapporteur rappela que le fondement du programme de la fraction était le marxisme révolutionnaire de Marx et Engels et que les abstentionnistes communistes n'avaient aucune parenté avec les écoles anarchistes et syndicalistes. Il rappela comme point fondamental que le marxisme s'opposa à l'utopisme comme à l'illuminisme philosophique et juridique de la révolution bourgeoise par sa critique et sa condamnation, comme un quelconque justicialisme social banal, surtout de l'égalitarisme bourgeois mensonger et du principe démocratique dont le contenu affirme qu’après la révolution bourgeoise l'histoire ne verra plus de révolutions violentes. La thèse fondamentale est que dans tout Etat fondé sur la démocratie élective les intérêts de la classe dominante et du capitalisme exploiteur prévalent toujours dans le pouvoir.

Il rappela la déviation révisionniste de ces lignes lumineuses et la fausse théorie que le grand Engels désavoua avant de mourir selon laquelle le prolétariat pouvait, même dans un seul pays, prendre le pouvoir politique avec une majorité parlementaire.

A la date de 1919 la fausse conception de la voie au socialisme avec des moyens démocratiques et sans lutte armée avait été démentie par la révolution en acte ; tant par la victoire immense de Russie que par les défaites d'Allemagne et de Hongrie.

Sans s'arrêter sur la réfutation des autres révisionnismes, comme le révisionnisme anarchiste ou syndicaliste, qui nient la fonction du parti politique et la Dictature du prolétariat dans le nouvel Etat révolutionnaire, le rapporteur affirma que la caractéristique de chaque école réside dans sa vision du processus futur du passage d'un pouvoir de classe à un nouveau. Quand la crise historique survient la lutte est conduite à la victoire par ce parti qui avait dans son programme la vision du cycle qui se déroule dans la réalité : nombreux sont ceux qui n'ont pas compris les affrontements de classe qui ont suivi la première guerre mondiale, mais l'on doit laisser aux traîtres de la conférence social-démocrates de Berne le fait d’affirmer que le bolchevisme n'est pas marxiste, mais une forme néo-bakouninienne, anarcho-syndicaliste ! Les idées n'étaient pas très claires alors en Italie. Le rapporteur affirma que les camarades russes étaient glorieusement au premier rang, mais qu'ils n'avaient pas du tout indiqué une nouvelle voie, ils avaient au contraire suivi l'ancienne voie de la grande doctrine commune " et c'est pour cela que nous récusons l'épithète d'imitateurs du phénomène russe. " La victoire des Russes est venue à point pour réaffirmer la justesse de notre position, position que nous avons adoptée avant la guerre quand nous avons combattu le réformisme révisionniste, et quand pendant la guerre nous avons repoussé les infâmes interprétations opportunistes et social-patriotiques de l'impérialisme capitaliste moderne.

Nous rappelons cette position qui est en continuité avec celle des époques très récentes contre la dégénérescence du mouvement qui se réclame aujourd'hui de Moscou et qui, depuis 1956, a ouvertement théorisé les différentes voies nationales, et réduit celle de la dictature à une contingence occasionnelle propre à la Russie d'Octobre 1917, déshonorant la plus grande transformation de l'histoire humaine.

Polémique avec le réformiste Treves

En se servant du rapport de Treves dont le texte avait déjà été donné dans l'Avanti ! le rapporteur abstentionniste continua la critique du réformisme qui a l'habitude d'interposer des étapes intermédiaires entre le prolétariat et sa victoire finale. De même que durant la guerre on fit croire qu'il était nécessaire sur le chemin du socialisme, avant toute chose, de se débarrasser du monstre de l'impérialisme teuton, de même aujourd'hui, le Treves réformiste italien, quoique non coupable de social-patriotisme honteux à l'instar des Français et des autres, prétend nous indiquer un nouveau danger et un nouvel ennemi à qui régler son compte avant de livrer la bataille finale contre la bourgeoisie et le capitalisme partout engendrés par l'histoire, et cet ennemi est le congrès de la paix des vainqueurs à Versailles. Mais n'est-ce pas justement l'œuvre de cette bourgeoisie qui demandait de l'aide dans sa lutte anti-allemande en promettant qu'en cas d'appui elle aurait donné une part du butin de la victoire au prolétariat ? N'est-il donc pas clair qu'entre les partis en lesquels l'ennemi bourgeois se scinde il n'y a pas de choix à opérer ?

Ce point soulèvera par la suite une réplique très vive de Treves au milieu de vifs désaccords dans la salle.

Mais le point auquel le rapporteur communiste veut parvenir dans sa condamnation de l'aile réformiste est le point vital. Quand le réformisme aura épuisé tous ses expédients dilatoires destinés à montrer qu'avant de faire la révolution il y a bien d'autres choses à faire et à organiser, et si malgré lui la lutte finale explose, alors – les faits de Russie, d'Allemagne, de Bavière, de Hongrie l'avaient prouvé – il changera de camp et luttera aux côtés de la bourgeoisie contre la révolution ouvrière.

C'est là que, pour la fraction communiste extrémiste, le danger principal réside : qu'une situation similaire se dessine en Italie dans un avenir non lointain. Alors une partie du parti sera avec les masses insurgées, l'autre passera du côté de leurs ennemis. Il est possible que nous soyons proches de cette situation pratique, voici que la question théorique n'est pas un vain luxe et ceux qui disent " Aujourd'hui il est urgent de décider que faire dans les élections et cela suffit ! " ont tort. Pour cette raison nous voulons qu'aujourd'hui le parti écrive dans son programme la méthode de l'insurrection et de la dictature " avec l'intention précise que ... celui qui n'accepte pas complètement le programme n'a pas d'autre voie que de sortir de notre organisation. "

Une fois arrivé ainsi au véritable point décisif, celui de la division du parti, le rapporteur, considérant les approbations de très nombreux " maximalistes électionnistes ", les invite à dire clairement s'ils veulent véritablement que le programme de Gênes soit remplacé par ce nouveau programme. Si le congrès applaudit à nouveau il est clair que c'était le jeu des chefs maximalistes qui, dans les coulisses, avaient décidé de ne pas éliminer le programme de Gênes ; s'ils l'avaient fait, ils auraient mis dehors les Turati, les Treves, les Modigliani et ils auraient renoncé à la plus grande partie de la fête électorale qu'ils goûtaient avant l'heure.

Le rapporteur défend vivement à cet endroit l'acte des bolcheviks russes consistant à avoir dispersé avec les armes l'Assemblée Constituante, contre les injures des réformistes et " centristes " comme contre celles des anarchistes du monde entier.

Le rapporteur se demande quel désastre adviendra pour notre cause lorsque, en ce moment décisif, une partie du parti se tournera contre nous parce qu'elle sera sous l'emprise des arguments de toutes ces théories bourgeoises. Tout cela est bien au-dessus des vicissitudes d'une quelconque bataille électorale. Avec l'accord du congrès il demande à la loyauté réformiste de discuter maintenant ce thème, même si la situation n'est pas immédiate, c'est-à-dire non pas le problème de la liberté pour le prolétariat, mais celui de sa faculté et sa volonté d'ôter la liberté aux adversaires bourgeois. Espérons, dit-il, que nous échapperons à la prudente question réformiste préalable selon laquelle on discute seulement de ce qui est possible aujourd'hui. Il craint, dans une prophétie facile, que de nombreux camarades maximalistes ne trébuchent sur cet obstacle, à cause de la phobie habituelle de la théorie académique alors que l'on n'accorde de l'importance qu'à l'action ... Il rappelle la vie du parti qui s'est sauvé en des moments cruciaux parce qu'il avait su prévoir des situations qui approchaient et il rappelle à Lazzari qui l'a reconnu le cas de la lutte contre la franc-maçonnerie, lutte à laquelle on doit la résistance victorieuse contre la corruption interventionniste de 1914, danger qui n'était pas en vue quand l’on discuta en doctrine le point de l'incompatibilité de la franc-maçonnerie et du parti.

On a encore posé cette question tranchée aux maximalistes électionnistes : laisserez-vous la carte du parti à ceux qui demain pourront s'en servir comme arme contre la révolution ? On leur rappelle la très grave responsabilité qui pèsera sur eux plus que sur les réformistes eux-mêmes.

Nous nous sommes étendus longuement dans cet ample résumé pour prouver que le point central était l'élimination du parti des social-démocrates.

La discussion se tourne ensuite contre les arguments des maximalistes électionnistes qui prétendent notamment que Moscou aurait conseillé la participation aux élections. Moscou, ce fut notre réponse, devra se prononcer sur la divergence d'opinions dans le parti italien. Mais nous soutînmes aussi hautement que le patrimoine de l'expérience passée du mouvement italien devait être mis sur le tapis et que des lumières particulières sur l'effet néfaste des déviations parlementaires en découlaient. La question des élections à la Douma fut discutée en faisant les différences opportunes entre la Douma du tsar et les séductions des parlements d'Occident. On discuta la question de la période révolutionnaire et du moment révolutionnaire en en reportant la solution au domaine européen international.

Les maximalistes s'élèvent contre le rapporteur quand il soutient que dans la situation pratique de l'Italie de 1919 participer aux élections avait valeur de collaboration de classe, et que la vieille intransigeance, utile jusqu'en 1913, ne suffisait plus à exprimer le niveau historique de la lutte de classe.

Il est clair qu'une position semblable blessait les propositions de ceux qui voulaient jouir du triomphe électoral et passaient pour révolutionnaires prolétariens et ennemis de la bourgeoisie. Le heurt des courants fera vite dire au rapporteur que développer la partie théorique avait été la chose la plus facile. Mais maintenant il devait dire sans précaution que de même que le groupe parlementaire avait, une fois la guerre finie, flirté avec le ministre Nitti en diverses occasions, de même Nitti désirait la participation victorieuse du parti socialiste aux élections qui aurait ouvert la voie à une collaboration, y compris au pouvoir, contre toute tradition de notre parti.

Nitti et le fascisme

Les époques où le prolétariat et son parti se trompent sont celles au cours desquelles la classe bourgeoise et la politique bourgeoise se présentent divisées en deux camps parfois en apparence fièrement adverses.

Dans la vieille chambre sortie de la guerre et non renouvelée durant six ans le parti fasciste n'avait pas de groupe. Cependant Nitti avait des difficultés avec une vague droite puisque les partisans de la guerre en faisaient partie alors que le très habile homme politique se vantait avec Giolitti d'avoir été un neutraliste, et il s'efforçait de s'appuyer sur les socialistes et sur les populaires-catholiques. Durant certains moments d'orage les socialistes avaient eu peur que les fascistes - non encore organisés dans le sens électoral mais qui, beaucoup plus sérieusement, étaient en train de s'organiser sur le plan de l'action de rue qui les conduirait au pouvoir contre le jeu idiot " de la majorité " - n’eussent tenté d'ôter à Nitti la manœuvre des élections. Et déjà à ces moments les parlementaires de notre parti avaient approuvé et à moitié appuyé le gouvernement Nitti.

On parlait alors non pas encore de dictature fasciste mais de danger d'une dictature militaire puisque l'on pensait que les officiers supérieurs de l'armée auraient pu assumer la tâche de l'avant-garde contre-révolutionnaire.

On parlait pareillement d'un danger de guerre avec la Yougoslavie, pour Fiume où D'Annunzio s'était retranché lors de sa fameuse expédition.

Notre position sur ce point semblait être scandaleuse : la dictature bourgeoise et militaire n'est pas un danger, parce qu'elle existe déjà. Si le capitalisme italien est intéressé par la guerre, Nitti fera cette guerre.

Dans tous les cas, une fois admis que Nitti, comme tous le croyaient naïvement, voulût s'opposer au nom de la démocratie tant à la guerre qu'à la dictature de droite, comment pouvait-on l'aider dans le parlement ? Seulement en votant pour lui, c'est bien clair. Mais les maximalistes d'alors feignaient de croire qu'il était bon d'aller au parlement mais en conservant la formule démagogique de ne pas voter pour un cabinet bourgeois. Formule très commode en cette époque pour capter de nombreuses voix.

La position de la gauche consistait à voir dans la démocratie de Nitti ou d'autres la même force de classe que dans le fascisme nationaliste. C'était donc une illusion que de croire pouvoir favoriser avec des forces parlementaires l'une ou l'autre forme ou fraction de la classe dominante, dans tous les cas celui qui croyait cela devait être prêt à voter pour ce gouvernement dont la formule donnait satisfaction comme objectif intermédiaire ou comme solution moins mauvaise. Le déroulement de la lutte fasciste montra que, de même qu'un vote parlementaire n'est pas un facteur déterminant, il ne pouvait pas l'être pour une action éventuelle de l'État votée à la Chambre contre les fascistes.

Nitti avait, en lançant la réforme électorale (scrutin de liste) , voulu suivre le style de Giolitti qui accorda le suffrage universel en 1911 lors de la guerre avec Libye. Il avait déclaré, rappela le rapporteur, qu'une entrée d'un courant socialiste puissant dans la Chambre aurait été utile à la cause de l'ordre justement parce qu'elle aurait éloigné les masses des exigences révolutionnaires. En ce temps-là la menace fasciste en était à ses premières manifestations. Admettons que Nitti voulût l'éviter, il le faisait en évitant ce que, depuis toujours, l’on montrait comme la cause et l'explication du fascisme : les excès des révolutionnaires de gauche. C'était la position même de l'habile droite du parti.

Admettons cependant qu'il fût évident que le fascisme allait tenter avec des moyens extra-légaux la conquête du pouvoir. Nous verrons en son temps qu'il l'obtint par des voies légales et parlementaires, et son action dans la rue l'emporta seulement à cause de l'appui de l'État bourgeois qui, selon le souhait de Nitti, de Giolitti et de Bonomi (futurs champions de l'antifascisme !) , intervint pour étrangler les énergies des mouvements prolétariens. C'était donc folie que de penser comme nos réformistes et, en substance, comme les maximalistes équivoques et de mauvaise foi, que l'on aurait pu arrêter l'avancée noire en faisant ordonner à une majorité parlementaire que les forces de l'État repoussassent l'assaut. Celui qui pensait ou espérait cela avait à partir de cet instant renié le marxisme et sa vision de la tâche de l'État. Dans tous les cas, il pensait qu'il fallait être disposé à voter au parlement pour cet illusoire gouvernement de répression.

Nous étions donc dans notre bon droit en disant qu'opter, dans cette situation, pour la carte parlementaire voulait dire avoir des visées légalitaires jusqu'à l'appui à un ministère de gauche bourgeois, c'est-à-dire anticiper dans le parlement ce que l'on verra plusieurs années plus tard lors de l'épisode de l'Aventin et ensuite lors de la Libération Nationale, la seule issue de la pratique parlementaire étant la collaboration de classe – terme qui, envoyé à la face des maximalistes de 1919, les faisait s'indigner, piqués au vif qu'ils étaient.

Après ce remue-ménage le compte rendu sténographique dit que le rapporteur des communistes abstentionnistes conclut ainsi au milieu d'applaudissements bruyants, surtout ceux de ses partisans (!) .

" Voilà les causes de notre désaccord avec vous, voilà pourquoi nous voulons vous arracher à cette ambiance pour vous reconduire près de notre prolétariat, pour faire la propagande tenace de la méthode soviétiste, pour la préparation de l'affrontement final qui permettra au prolétariat de construire, sur les ruines de cette institution pourrie de la démocratie bourgeoise, le nouvel ordre social, conquête suprême de la révolution communiste. "

Vive réplique de Treves

L'habile orateur provoqua dès le début de violents incidents avec les abstentionnistes parce qu'il affirma que l'on voulait renier toute l'histoire du socialisme que l'on devrait effacer parce qu'une nouvelle méthode, un tout nouveau verbe, serait venue du nord, de l'" immense et glorieuse " Russie. Evidemment l’on protesta à gauche contre ce travestissement de nos déclarations et il en naquit un long incident.

La thèse de Treves en 1919 est simple ; aujourd'hui elle est devenue très connue (après sa mort et sa liquidation politique, et alors que Treves était un marxiste mieux formé que beaucoup de ses successeurs) et elle n'est ni plus ni moins celle soutenue par les Khrouchtchev et les Togliatti : les voies pour la conquête du pouvoir de la part du prolétariat sont nombreuses et toutes sont valables, l’on ne doit exclure ni la voie révolutionnaire, ni la voie légale mais étudier chaque cas particulier. Une fois descendu sur ce terrain il sera toujours facile de dire que ce n'est pas le moment pour la victoire de l'action insurrectionnelle ou que les conditions ne sont pas réunies (même si l’on a derrière soi un gros parti de masse !) .

Treves dit : la conquête du pouvoir ? Vous ne l'avez pas inventée, nous l'avons déjà dans le programme de Gênes de 1892. Le lecteur sait que l'on parlait de conquête des pouvoirs publics ; mais le point historique qui nous importe ici est que Treves (absolument cohérent) propose que le programme de Gênes et l'unité du parti subsistent, et que les maximalistes électionnistes le suivent.

Audacieusement Treves affirma que Lénine en envoyant son message de solidarité " ne nous demandait pas la révision du programme. " Les faits ultérieurs démontreront à Treves et à tous que Lénine voulait non seulement la modification du programme mais la séparation d'avec ceux qui s'y opposaient.

A ce point l'orateur, qui souligne habilement à tout moment le caractère international de la lutte, en vient à défendre son " mot d'ordre " de lutte contre Versailles avec l'argument que l'article 11 du traité prévoit l'intervention de la Société des Nations à la demande d'un pays menacé dans sa constitution et il dit que ceci se vérifia quand on envoya les baïonnettes roumaines pour écraser la révolution hongroise sur ordre de Paris.

Les interruptions se répètent et l'orateur dit que tout mouvement doit être international, il dit que la Direction a fait son devoir lors de la grève du 21 juillet et que la faillite internationale de cette grève fut la faute des Français. L'argument est toujours le même : vous portez la propagande, l'organisation, l'éducation internationale à ses ultimes conséquences. Treves se corrige et envoie une bonne pique aux maximalistes : " en disant cela je n'entends pas éluder la révolution, comme le font les maximalistes, mais la montrer dans sa pleine réalité. "

Il dit ensuite qu'il ne parlera pas pour ou contre la participation aux élections. Il renvoie à l'extrême gauche abstentionniste opposée la louange de cohérence faite aux députés de droite, il le fait dans la mesure où les abstentionnistes ont dit : faites attention, le parlementarisme est ainsi fait que si vous y mettez un doigt, il vous prend la main, puis le bras. Les maximalistes électionnistes répondent : " Nous allons au parlement pour faire seulement acte de protestation et de sabotage et pour lancer les avertissements apocalyptiques de la révolution imminente. " Illusion ! s'exclame Treves, quand vous serez dans cette ambiance vous subirez, comme nous honnêtement, la loi de cette ambiance (on applaudit) . Vous choisirez entre les adversaires comme nous, à certains moments, nous avons dû choisir. Il dit que la Direction a approuvé quand il s'est agi de repousser la menace de la réaction militariste belliciste " pire que celle du gouvernement ". C'était la confirmation de l'appui à Nitti. Comme toujours, c'est ici le réformisme qui fait l'apologie du peuple, des masses, avant et avec plus de sérieux que les communistes pervertis liés à la Russie d'aujourd'hui. Le peuple, grand organisme vivant, demande une satisfaction à chacun de ses besoins, il demande une défense immédiate contre toute menace de sa liberté, pour chaque avantage il demande la méthode la plus rapide, la moins coûteuse et la moins douloureuse. Ce n'est pas un langage stupide dans la bouche d'un réformiste classique, ça l'est aujourd'hui pour qui a prétendu jadis dénoncer le réformisme, en Italie ou dans le monde.

Le rapporteur réformiste touche un autre point scabreux quand il veut reporter la défense actuelle de la violence aux suggestions de la guerre.

Enfin, il recourt à un autre point sur lequel il sait que les maximalistes céderont : comment rompre avec la puissante Confédération du Travail ? Quand, comme selon lui les extrémistes le veulent, on se jettera dans la bataille pour monter aux barricades, la Confédération ne pourra pas vous suivre, et nous verrons un prolétariat travailliste s’opposer au prolétariat de l'aristocratie révolutionnaire. Ce serait une très grave erreur. L'argument était un chantage distingué que les maximalistes étaient prêts à subir.

La conclusion du rapporteur réformiste ne peut être plus nette : Nous sommes et nous resterons dans le Parti Socialiste, avec le programme de 1892.

La réponse de l'énorme majorité du congrès devait être : oui, que soit conservé le programme du congrès de Gênes et restez vous aussi, avec tous vos papiers en règle !

Les conclusions des maximalistes

Nous ne ferons pas toute l'analyse du meilleur discours : celui de Gennari. Son point d'arrivée fut tel qu'il plut aux maximalistes de Turin, au courant de l'Ordine Nuovo. Il dit : si nous ne sommes plus le groupe de conspirateurs favorables aux barricades romantiques, nous devons agir sur les organisations économiques du prolétariat.

La fin est très faible. " Donc, pour cet ensemble d'idées et pour ces deux points fondamentaux, en réservant spécialement aux organisateurs une entente dont on parlera dans des conversations privées (!?) et pour la formulation d'un ordre du jour, nous nous réservons dans tous les cas d'appuyer l'ordre du jour qui reconnaît les deux points fondamentaux : Unité du Parti et valorisation de l'organisation économique, dans le sens où l'on ne cristallise pas l'objectif du parti dans une organisation politique, et sans ostraciser tous ceux qui travaillent avec nous pour le prolétariat et pour le socialisme. "

Nous voulons donner son importance au compte rendu sténographique qui peut avoir des imprécisions quoique Gennari, dans la nouvelle direction, ait pu collationner son discours. Dans tous les cas il est clair que lui et sa fraction avançaient à tâtons dans le vide, cramponnés seulement à l'Unité du parti qui moins de deux années plus tard devait sauter sans honneur et, embourbés dans une position intermédiaire entre réformisme et ordinovisme, défenseur d'une équivalence stupide entre le parti politique et les syndicats, matière sur laquelle les directives de la fraction communiste étaient aussi nettes que celles de l'Internationale de Moscou, comme on le verra au deuxième congrès. Vraiment quelle misère que l'histoire du maximalisme italien !

L'abstentionniste Boero de Turin

Le camarade Boero dément le racontar selon lequel les abstentionnistes seraient tous des méridionaux, et il parle au nom des septentrionaux, des Turinois. Il oppose les nouvelles et grandes possibilités de cette époque historique à celles plus réduites qui justifiaient dans le passé une tactique moins audacieuse. Aujourd'hui que nous avons obtenu une première victoire, tout doit être mis au second plan derrière la défense de la Révolution russe et le renversement de toutes les bourgeoisies sorties épuisées de la guerre.

Le courageux camarade Boero, au nom de la fraction, non seulement répète que le programme de Gênes de 1892 doit être modifié mais il parle aussi de la dénomination du parti, c'est-à-dire de son nom. " Aujourd'hui, nous appartenons au Parti Communiste et le parti socialiste italien ne peut être qu'une section du communisme international ".

Il faut adopter et respecter le programme communiste. " Chacun de vous doit se faire sa propre conviction, mais nous croyons que l'on doit sincèrement dire devant le Congrès si nous entendons suivre ce programme jusqu'à sa fin ou si nous l'acceptons pour la forme pour ensuite le trahir au premier événement. " L'orateur discute la question des différentes conditions d'un pays à l'autre. Il parle de la Russie et de l'esprit révolutionnaire des dirigeants politiques et syndicalistes et explique justement la défaite en Allemagne, par la tradition d'une méthode excessivement légale et par la trop grande fidélité en des dirigeants indignes. Ne sommes-nous pas responsables des événements de la Hongrie ? Déjà au congrès de 1918, durant la guerre, nous entendîmes un appel du prolétariat russe à tout le monde ouvrier. Mais l'on consacra quatre jours à discuter de l'attitude de notre groupe parlementaire et l'on ne pensa pas à recueillir cet appel désespéré, à passer dans le camp de l'action.

Aujourd'hui, le moment est venu de ne pas s'arrêter à l'unité du parti, comme nous ne nous arrêtâmes pas devant elle à Reggio et à Ancône. Nous ne pouvons pas accepter que le programme de 1892 reste debout, ce programme est bon pour ceux qui admirent le bolchevisme et Lénine et qui dans le même temps en disent pis que pendre. Le camarade développe le programme communiste et montre comment il se développe en un programme pratique de préparation et d'action, pour arriver aux conseils ouvriers et aux commissaires révolutionnaires. Il faut noter l'importance de cette claire affirmation du délégué de Turin : ne sous-estimez pas la valeur politique des Conseils auxquels on attribue à tort une fonction seulement économique. Des rumeurs interrompent l'orateur et les abstentionnistes réagissent vivement pour qu'on le laisse parler. Il continue en lançant d'heureuses piques : Quelques camarades nous décrivent comme des barricadiers naïfs, la bombe en poche et le poignard à la main. Mais notre pensée est différente. Nous voulons gagner à nous le prolétariat en uniforme. Il rappelle quelques épisodes expressifs des luttes de Turin lorsque des régiments entiers durent être éloignés parce qu'ils étaient gagnés à notre cause par notre propagande. Il rappelle fort bien les conseils russes de soldats et la formation de la force militaire de l'armée rouge.

Les maximalistes cherchent à couvrir les paroles de Boero avec des hurlements bestiaux quand il passe à la démonstration de la nécessité d'agiter de façon révolutionnaire les paysans. Mais la position de notre camarade est excellente et il est étrange que les futurs gramsciens ne la comprissent pas : " On a dit que nos paysans ne se trouvent pas dans les conditions des paysans russes ; et que donc ils ne viendront pas à nous parce qu'ils veulent la division de la terre en propriétés. Il en sera ainsi si nous ne leur disons pas que ces petites propriétés auront plus d'inconvénients que d'avantages. "

Un incident très violent éclate dans la salle et les abstentionnistes crient que la masse maximaliste n'a jamais rien compris aux problèmes de la révolution dont elle a des idées stupides.

L'incident continua quand l'orateur déplora les formes viles de la pratique électorale et s'éleva encore contre la méthode parlementaire et ses innombrables turpitudes. Il ajoute que l'on doit apprendre de la révolution russe qui a su avoir un militarisme rouge.

Cette formulation importante nous fait revenir à la recherche actuelle de notre mouvement, 44 années après ces événements, sur la question militaire dans l'histoire et dans la révolution du prolétariat.

Le camarade Boero conclut en lisant un ordre du jour de la section de Turin sur la préparation des organes techniques de la révolution ouvrière qui doit remplacer la dégoûtante pratique électorale, il fut soutenu avec grande vigueur et avec des invectives contre les adversaires du groupe batailleur de notre courant.

Au congrès de Bologne en 1919 : Virgilio Verdaro

Nous résumerons aussi le discours que tint pour les abstentionnistes Virgilio Verdaro qui consacra une longue vie de persécutions à l'étude de l'histoire du mouvement prolétarien international puisqu'il mit encore en évidence que le premier point pour notre fraction n'était pas la tactique électorale mais la scission du parti socialiste.

Verdaro, Florentin plein de finesse, commença lui aussi par se moquer du racontar stupide selon lequel la thèse abstentionniste aurait seulement pris racine en des zones arriérées, aujourd'hui on dirait " méridionales ". En Italie un demi siècle ne suffit pas à changer les sottises à la mode, les fameux dépassements dont tous les crétins ont la bouche pleine. Il taquina également le congrès de candidats en disant que notre courant était sur ce sujet au-dessus de cette mêlée bien peu élégante. Il rappela notre programme marxiste révolutionnaire bien clair et dit que nous étions à notre place dans la Troisième Internationale et à l'avant-garde dans notre parti. Certes, s'exclama Lazzari ; et Verdaro : L'adhésion elle-même à la Troisième Internationale nie l'appartenance au Parti de cette arrière-garde extrême qui est restée derrière nous ! Et il demande que ce courant soit considéré comme en dehors du parti. Lui aussi, comme Boero, dit que le parti doit prendre le nom de communiste et il observe que ce n'est pas chose nouvelle en se référant à l'histoire des mots socialiste et communiste du Manifeste de 1848 à nos jours. Il explique que l'on peut utiliser le nom de maximalistes qui dérive cependant d'une équivoque des bourgeois sur le terme bolchevik qui signifie seulement " majoritaire ".

Il en vient ensuite à la question du programme et critique celui de Gênes de 1892 avec des références heureuses à l'histoire du parti italien et du parti allemand.

Il lit le programme de Moscou de 1919 : " La condition fondamentale de lutte est l'action de masse " Donc, déduit-il, la grève générale est la politique du prolétariat jusqu'au jour de l'action armée. Il discute donc le point de la participation des députés bolcheviks à la Douma tsariste qui équivalait à un envoi certain en Sibérie et il fait l'histoire de la Constituante russe pour laquelle les bolcheviks dirent en la convoquant : Voyons si nous aurons la majorité, dans le cas contraire nous l'enverrons au diable et nous nous débrouillerons sans elle. Ouverte à 3 heures de l'après-midi, elle était déjà dissoute le lendemain après 5 heures du matin : " Si vous, maximalistes, concevez l'action parlementaire sous une telle forme, vous ne trouverez pas de meilleurs partisans que nous. "

Verdaro esquisse bien la contradiction théorique et historique entre le socialisme de la Deuxième Internationale et celui de la Troisième (communisme, comme dans le Manifeste de Marx) . Nous voulons exclure les réformistes de la Troisième Internationale " non pas parce qu'ils ne sont pas socialistes mais parce que la place pour leur socialisme est dans la Deuxième Internationale ".

Il ironise sur la proposition de la lettre de démission en blanc entre les mains de la Direction pour se garantir des députés. Il cite un Etat sud-américain où une telle lettre est carrément entre les mains du président de la Chambre qui peut limoger quiconque fait de l'opposition. On rit aux dépens des maximalistes et l'orateur répète qu'il est absurde d'exclure des hommes comme Turati et Modigliani du parlement : c'est de nos rangs qu'ils doivent être exclus !

Ce n'est pas la scission ni l'amputation qui tue un parti : c'est l'équivoque parce qu'elle ralentit et tue l'action de tous.

Nous n'avons pas besoin de rappeler comment ce concept se trouve pleinement et à la lettre dans les paroles de Marx et de Lénine.

Réplique finale du rapporteur

Le rapporteur pour la fraction abstentionniste reconnaît que le programme de la fraction maximaliste tel qu'il fut voté par les sections ne diverge pas, sinon par des détails qu'il n'est plus le moment de relever, de celui des communistes abstentionnistes. Mais l'on votera le même programme divisés parce que l'on ne vote pas le nouveau programme (par la faute des maximalistes) , mais que l'on vote sur les motions.

Le programme maximaliste ne parlait pas de la question électorale. Malheureusement il ne parlait pas non plus de l'élimination des social-démocrates du parti.

Les motions à voter, au contraire, divergent " mais pas seulement sur la question électorale ; elles divergent sur une autre question substantielle : celle de l'unité du Parti. Pour cette raison nous voterons divisés. " (Nous avons rappelé que les maximalistes avaient repoussé notre offre : retirer la proposition abstentionniste, et qu'ils l’avaient renvoyée à l'Internationale à condition que l'on expulse les réformistes) .

Sur la question du programme : Celui de Gênes, dit le rapporteur, ne serait pas valable même s'il était vrai qu'il n'excluait pas la conquête violente du pouvoir. Maintenant nous voulons exclure la conquête pacifique comme voie au socialisme. Les maximalistes le reconnaissent, mais ils conservent le programme de Gênes pour sauver l'unité et la victoire électorale !

Désormais, dit le rapporteur, tous admettent la violence. Nous sommes à l'époque historique de la violence. Mais la question est de savoir dans quelle direction elle est appliquée. La bourgeoisie est prête à l'appliquer (fascisme) , les réformistes le sont par postulats démocratiques (antifascisme) . Mais nous nous posons le problème de classe. Quand les temps seront mûrs pour l'affrontement entre le prolétariat et l'État bourgeois, nous savons que les bourgeois de droite l'utiliseront, mais le danger est que les bourgeois de gauche ainsi que les socialistes de droite accepteront de l'utiliser contre nous, contre le prolétariat. Et il cite les exemples d'Allemagne et de Hongrie, il rappelle aussi que Lénine désapprouva les communistes hongrois qui mirent quelques ministres social-démocrates dans le gouvernement de la dictature, et vit en cela la cause de leur ruine et défaite futures.

La conception du rapporteur était celle-ci : non pas division entre socialistes qui admettent l'usage de la violence et socialistes à la Tolstoï, le socialisme tolstoïen étant une hypothèse hors de la réalité ; mais entre communistes qui ont dans leur programme la violence armée comme moyen décisif et exclusif, et socialistes qui l'utiliseront comme les Noske assassins mais contre la révolution rouge !

" Voilà pourquoi nous voulons l'exclusive. " Si les bolcheviks ont vaincu c'est parce qu'ils ont su liquider l’un après l'autre tous les partis opportunistes. Au nom d'un seul et lumineux programme : la dictature.

La division des deux camps doit advenir avant le moment du recours aux armes. Nous sommes assez marxistes pour comprendre que le congrès d'aujourd'hui ne le comprend pas, les élections l'aveuglent. Nous sommes dans la réalité et non en dehors. Nous n'annonçons pas que nous sortons aujourd'hui et que nous nous mettons à organiser la grève des électeurs. Mais nous travaillerons pour que vienne le moment où tant les masses que les partis brûlent derrière eux les ponts pour lutter et vaincre sans hésitations.

Le rapporteur confirme que la division d'avec les maximalistes repose sur la question de l'unité du parti. Il déplore le sentimentalisme affiché sur ce point par Bombacci qui entonna, quoique sur un ton lyrique, un hymne à la révolution. " Le sentiment peut être une faute. Au moment de l'action il faut passer au-delà. "

" Nous voudrions que le problème soit résolu autrement (par des expédients que les maximalistes renient désormais, pour désintoxiquer le groupe parlementaire) . Nous voudrions que soit exclue du parti toute personne qui n'accepte pas le programme de demain, celui que vous-mêmes avez imprimé et distribué au Congrès ce matin. La logique, la nécessité même, exigent qu'il puisse y avoir des minorités disciplinées opposées à une motion, à un ordre du jour voté par le Congrès, mais elles n'admettent pas que soient tolérés dans le parti ceux qui renient son programme. Voilà pourquoi, pour la sélection du Parti, votre formule théorique devrait suffire ; mais elle ne suffira pas. Il est facile de prévoir qu'elle ne suffira pas, non seulement parce que vous ne l'avez pas voulu, mais parce qu'effectivement il n'y avait pas la possibilité que cette affirmation suffît, dans la situation actuelle, du moment que vous avez décidé de vous noyer dans la bataille électorale. "

Il est tard, dit l'orateur. Le Parti ira à cette bataille. Mais, en jouant les prophètes, nous disons qu'il se scindera pour une autre question. Que cette crise que nous avons cherché à précipiter en vain ne traverse pas les voies grandioses de la révolution sociale !

La réalite italienne

Qui avait la claire vision de la réalité ? La scission arrivera, mais seulement à Livourne, en janvier 1921. La guerre civile arrivera mais elle sera perdue par les masses rouges. Quelle en fut la cause ? L’erreur colossale qui consiste à vouloir échapper à la défaite en influant sur les manœuvres électorales et parlementaires de l'Etat. Qui tailla les jarrets et l'âme du prolétariat en marche ? Le fascisme ? Et peut-être parce qu'il sut rompre dans les mains du prolétariat l'arme de carton-pâte que l'opportunisme réformiste centriste voulut lui confier ? Non, par dieu, la chance historique favorable à la révolution fut écrasée par la décision de recourir au moyen légal quand la terre et l'air brûlaient de combats sans pitié. La cause du prolétariat italien fut tuée par la foi en la démocratie, et pas seulement à ce moment. Une situation féconde fut compromise et l'on choisit une situation trouble et réactionnaire qui ne fut pas celle des vingt ans du fascisme mais celle d'aujourd'hui, toute nourrie de cynisme et de crétinisme parlementaire dont la fraction Turati-Treves, il y a de nombreuses années, n'avait pas laissé d'exemples.

L'alternative de l'histoire fut celle de Bologne : jeter les énergies des masses puissantes dans le dégorgeoir électoral parlementaire, plutôt que de les jeter dans la bataille guère lointaine à livrer aux forces unies du fascisme et de l'État démocratique bourgeois, deux aspects de la même honte historique.

Si l'on s’était dirigé en direction de l'alternative de la guerre civile, contre ces deux forces alliées, l’on pouvait tomber, comme Spartacus, sous les coups d'un bloc fasciste-démocratique. Mais avant tout l’on serait tombé sans honte. Et puis c'était justement le sang de Spartacus comme celui des valeureux insurgés de Munich et de Budapest dont nous devions apprendre à nous montrer dignes pour en préparer le rachat en consacrant nos forces, peu importantes ou nombreuses, à l'unique directive de la Dictature et de la Terreur. Seule une dictature rouge peut abattre une dictature noire.

Dans le congrès on hurlait désormais : aux votes ! aux votes ! Et nous ne fûmes que trois mille contre le monstre électoral, sans discrimination.

Nous apportâmes notre appel à Moscou alors que le prolétariat italien tombait déjà à genoux, tout en étant vainqueur à Montecitorio.

Le résultat immédiat de notre appel fut négatif. Comme nous avions obéi à la majorité de Bologne en 1919, nous obéîmes à la majorité de Moscou en 1920.

La suite du développement historique dira s'il n’avait pas été juste de demander (en admettant que l'histoire se fasse avec un petit si) que l'on désavoue non seulement les social-démocrates subis à Bologne mais aussi tous les centristes que l’on n'avait pas voulu liquider à Bologne.

La coupure de Livourne que, par obéissance à Moscou et à sa trop grande splendeur d'alors, nous exécutâmes comme il le voulut, aurait évidemment dû être plus profonde et plus sanglante. L'avenir nous l'a enseigné. Mais l'avenir n'a pas vu seulement le désastre italien, il a vu le désastre international, de bien loin plus noir et plus sinistre.

Pour cette raison la tradition de notre gauche fait absolument sienne aujourd'hui la thèse antiparlementaire de Bologne et rejette quiconque, à un moment, a cru à la farce suprême du parlementarisme révolutionnaire et saboteur, même si cette blague trompa un Lénine, qui savait tout de l'infamie dégoûtante de la démocratie, quelque soit l'adjectif qui lui soit accolé, et qui écrivit exhaustivement à son sujet.

Après le vote du congrès

Les chiffres officiels du vote furent les suivants : Motion maximaliste électionniste, 48 411 voix de 1 012 sections ; motion unitaire (Lazzari, avec les votes des réformistes turatiens) 14 880 voix de 339 sections ; motion communiste abstentionniste, 3 417 voix de 67 sections (nous avons déjà rappelé que 84 sections adhéraient à la fraction avant Bologne, leur nombre augmenta rapidement par la suite) .

Ce vote équivoque, au-delà du fait qu'il mettait en lumière ce que nous avons rapporté de la discussion, peut être mieux compris grâce au commentaire qui parut dans le Soviet du 20 octobre sous le titre " Après le congrès ", il annonçait une brève suspension pour se réorganiser comme organe national de la fraction et non plus de la fédération socialiste de Naples. Nous reportons la partie finale de l'article :

" Toutes ces différentes aspirations, ces différents sentiments, propositions, espérances, souhaits, convergeaient tous vers un même point : maintenir l'unité du parti intacte ce qui, en ce moment, veut dire maintenir intacte sa force électorale.

Pour obtenir ce résultat, que la divergence criante des programmes menaçait de compromettre, il a été nécessaire d'en arriver à quelque petite transaction qui pour le moment a été suffisante pour maintenir l'accord surtout entre l'aile droite, la plus faible dans le congrès, mais peut-être la plus forte dans le corps électoral, et le courant prépondérant maximaliste électionniste, lesquels auraient été tous les deux fortement affaiblis par une scission qui serait vraiment mal venue en ce moment.

L'aile droite, en effet, après avoir exprimé son idée de dévaluer théoriquement le maximalisme au moyen des plaisanteries et des répliques mordantes de l'honorable Turati et après avoir encore une fois désapprouvé l'avènement violent du bolchevisme, a au dernier moment renoncé à affirmer sa propre pensée par le vote pour s'accroupir à l'ombre pas très amicale du camarade Lazzari. Celui-ci, à son tour, en acceptant au dernier moment un ajout à son ordre du jour du maximaliste Maffi, tournait la proue à gauche, proue chargée de poids très lourds, et se rapprochait du maximalisme électionniste lequel, généreux et pléthorique vainqueur, tendait aux dispersés possibles une passerelle suspendue par enchantement par-dessus le gouffre profond de l'incompatibilité à coexister affirmée dans le programme et votée avec mandat impératif par les sections qui avaient accepté ce programme. Ainsi le congrès est devenu unanimement maximaliste au moins dans ses apparences formelles.

A cette harmonie universelle, le courant communiste abstentionniste, qui s'est révélé être non seulement beaucoup plus qu'un petit groupe mais aussi quelque chose de très différent d'une expression personnelle ou régionale, comme on avait cherché à le faire croire par intérêt de polémique, ne pouvait et ne devait pas participer.

Ce courant a le grave tort d'être cohérent avec son programme et avec sa méthode qui ne permet ni accommodements ni opportunismes ; pour cette raison il est accusé en même temps d'être utopiste et de pécher par excès de logique. Il continue à croire que la victoire du nombre obtenue au moyen de transactions programmatiques est éphémère et seulement apparente, de même qu'il croit que l'unité actuelle du parti est seulement formelle et destinée finalement à se briser le jour de l'action.

Cette scission naturelle, il avait tenté de la provoquer aujourd'hui, en l'anticipant sur un plan théorique, pour conserver au parti ce caractère homogène et révolutionnaire qu'il est en train d'assumer toujours plus et auquel les conservateurs de la social-démocratie qui s'obstinent à vouloir rester en son sein ne peuvent pas ne pas causer de dégât. Peut-être les épisodes pas très heureux des proches batailles du milieu parlementaire, qu'elles soient grandes ou petites, agiront comme dissolvants de l'amalgame. Conséquente avec son orientation anti-unitaire, la fraction abstentionniste ne pouvait pas prendre part à la Direction du parti sans se contredire. Une telle délibération strictement logique et cohérente ne devait donc pas influer sur la décision de la fraction de droite, laquelle, au contraire, ayant fait de l'unité du parti le fondement de sa motion, aurait pu donner des hommes à elle à la Direction comme elle en donne aux listes des candidats dans lesquelles, même, elle qui était en minorité dans le congrès, elle se rattrape largement et sans ces scrupules de proportion de tendances. La fraction communiste abstentionniste, constituée immédiatement après le vote du congrès, s'inspirant dans son action d'une bonne entente et d'une fière discipline, comme il en résulte des délibérations que nous publions, continuera à développer son œuvre, dans le sein du parti et à l'extérieur de celui-ci, en attendant l'heure où, une fois dépassées les petites dissensions tactiques entre les véritables révolutionnaires et éliminés les éléments adverses, on puisse avancer tous unis et serrés vers le grand objectif. "

Nous donnons du même numéro 42 du Soviet le communiqué de la fraction communiste abstentionniste dans lequel le texte de la motion que la fraction avait soutenue au congrès est inclus. Ce texte dévoile les pas faits avec la fraction maximaliste électionniste, même si à cette époque on ne croyait pas devoir rendre publique la proposition de retirer la clause de l'abstention dans les élections, clause déjà placée dans le dernier alinéa, au cas où, dans le même temps, les maximalistes auraient accepté l'expulsion des réformistes annoncée dans la première partie de notre motion. Tous (à la seule exception de la camarade Abigaille Zanetta de Milan) refusèrent l'accord et nous votâmes pour notre motion intégrale.

Un communiqué de la Fraction communiste abstentioniste

" Comme nous l'annoncions, samedi 4 octobre, à Bologne, a eu lieu la réunion des représentants au XVI° Congrès National Socialiste, ayant mandat pour la tendance anti-électionniste, et d'autres nombreuses réunions eurent lieu durant le déroulement du Congrès.

Dans les réunions tenues avant le vote, on examina l'attitude des autres tendances, et pour n'empêcher aucune voie d'une entente avec les maximalistes électionnistes on modifia légèrement non pas le contenu politique mais l'ordre des arguments contenus dans la motion qui devait être présentée, en même temps que le programme connu de la Fraction, au vote du Congrès.

Puisque la divergence entre les deux tendances allait en s'approfondissant et en s'étendant, au-delà de la tactique électorale, également à la question de l'élimination des réformistes et du nom du Parti, la fraction, tout en constatant que le programme présenté au dernier moment par les maximalistes ne différait pas du point de vue théorique de son propre programme, soutint de façon isolée sa propre motion dont le texte est la suivant :

" Le XVI° Congrès National du Parti Socialiste Italien déclare que le programme constitutif de Gênes de 1892 ne répond plus aux exigences de la vie et de l'action du Parti :

" décide que le parti fait partie intégrante de l'Internationale Communiste en acceptant le programme constitutif de Moscou et en s'efforçant d'observer la discipline des Congrès internationaux communistes ;

" déclare inacceptable la présence dans le parti de ceux qui proclament la possibilité de l'émancipation du prolétariat dans l'ambiance du régime démocratique et répudient la méthode de la lutte armée contre la bourgeoisie pour l'instauration de la dictature prolétarienne ;

" déclare que le parti assume le nom de PARTI COMMUNISTE ITALIEN; et adopte le programme qui suit dans lequel, sur la base des doctrines fondamentales proclamées par le Manifeste des Communistes de 1848 et des directives politiques d'où proviennent les révolutions contemporaines, les développements historiques du passage de l'ordre social actuel à l'ordre social communiste sont exposés, et il a été établi la tâche du parti dans les différentes phases d'un tel processus ;

" décide que le parti s'abstient des luttes électorales en intervenant dans les comités pour faire de la propagande et rendre publiques les raisons de cette position, et il engage tous les organes et toutes les forces du parti dans cette activité :

" a) à préciser et à diffuser dans la classe ouvrière la conscience historique de la réalisation nécessaire et intégrale du programme communiste ;

" b) à préparer les organes prolétariens et les moyens pratiques d'action et de lutte nécessaires pour réaliser tous ses fondements programmatiques successifs. "

Après le vote, favorable dans une grande majorité à la tendance Serrati, d'autres réunions des adhérents de la Fraction eurent lieu, réunions dans lesquelles dans la plus grande entente et le plus grand enthousiasme on affronta des questions politiques importantes et complexes. "

Les décisions suivantes furent d'abord adoptées après une ample discussion :

" Les délégués au XVI° Congrès National Socialiste adhérents à la fraction Communiste Abstentionniste ;

" considérant la décision avec laquelle la grande majorité du Congrès a adopté la tactique électionniste, et confirmant leur point de vue selon lequel une tactique semblable contredit le programme maximaliste, les méthodes de la Troisième Internationale et la préparation de l'action révolutionnaire du prolétariat italien et considérant qu'une séparation nette est inévitable entre les partisans de la méthode social-démocrate et ceux de la méthode communiste ;

" décident de proposer aux sections représentées par eux de rester au sein du Parti Socialiste Italien en renonçant par discipline à agiter dans la masse la préparation de l'abstention électorale ;

" déclarent constituée la fraction communiste abstentionniste dans le parti en invitant toutes les sections et les groupes qui en partagent le programme présenté au Congrès à y adhérer. "

" passent à la discussion sur les fonctions et sur la tâche que la fraction devra expliquer " ...

On examina la situation du mouvement de jeunesse en faisant des vœux pour que, au prochain Congrès de la Jeunesse Socialiste, vainque la tendance anti-électionniste, on exprima l'avis que les jeunes auraient dû, même dans une telle hypothèse, ne pas scinder les forces de la Fédération et ne pas retirer leur adhésion au P.S.I., en réclamant de n'être employés à aucune activité électorale.

On désapprouva l'attitude d'un groupe d'une soixantaine de jeunes socialistes bolognais sorti de la Fédération et constitué en Faisceau Communiste, laissant le champ libre aux électionnistes dans l'Union de Jeunesse de Bologne.

Après avoir constaté qu'aucune des organisations syndicales existantes ne reflète la doctrine et la méthode communistes, les adhérents de la Fraction s'employèrent à ne pas travailler à détacher les organisations ni de la Confédération ni de l'Union Syndicale, en cherchant à faire pénétrer dans les deux organisations les directives de la Fraction, au moins tant que la situation syndicale italienne ne changerait pas.

On donna mandat au Comité Central pour préparer tout un travail d'enquête et de préparation communistes en utilisant toutes les forces de la fraction ainsi que pour alimenter des rapports intenses avec les partis étrangers de la Troisième Internationale, surtout avec ceux qui sont antiparlementaires et abstentionnistes.

Les participants prirent donc congé en acclamant le communisme, très heureux d'avoir constaté la concorde la plus complète dans le domaine des doctrines et de la tactique parmi les défenseurs de l'abstentionnisme socialiste en Italie. "

Ces matériaux historiques ont une très grande importance puisqu'ils servent également à établir combien fut efficace le travail de la fraction abstentionniste dans la lutte contre le danger, non négligeable en Italie, d'une version anarchoïde et syndicaliste du bolchevisme, travail qui donna par la suite de larges résultats et qui manqua totalement, par exemple, dans la formation d'un parti communiste en France comme il en ressort d'une petite note du même numéro du Soviet qui se réfère à un entretien avec la camarade Louise Saumoneau.

Ce sont tous des données de base de l'histoire de l'Internationale Communiste.

Entre le congrès des " adultes " et celui des " jeunes "

La fin de l'année 1919 est caractérisée par le développement imposant des mouvements syndicaux du prolétariat qui, régulièrement, conduit à des affrontements violents avec les forces de l'État, avec les premières apparitions des " bandes " du fascisme, et par la grande campagne pour les élections parlementaires de l'après-guerre qui étaient fixées au 16 novembre.

Le parti ouvre sa campagne électorale le 14 octobre, et le titre de l'Avanti ! dit : Les phalanges prolétariennes mettront en déroute le fascisme bourgeois, et aussi : Ne désertez pas les urnes si vous ne voulez pas votre servitude. Nous subîmes alors cette position du parti, position totalement social-démocrate ; mais nous savions – et nos manifestations le dirent – que la décision pour l'action légale prise à Bologne aurait eu pour issue la victoire du fascisme et la servitude du prolétariat quoique ce dernier répondît à l'appel des urnes.

Selon une phrase de Nenni, le parti se révéla " une grande machine pour les élections ". Phrase juste mais qui contient la raison pour laquelle Nenni, républicain et interventionniste, se camoufla en socialiste.

La victoire fut au rendez-vous. Le parti socialiste eut 1 840 000 voix avec 156 sièges contre les 51 d'avant-guerre. Le parti populaire pour la première fois en eut 1 750 000 avec 100 sièges. 225 autres sièges allèrent aux partis traditionnels parmi lesquels les républicains et les socialistes réformistes. Les fascistes qui s'étaient infiltrés dans les partis bourgeois allèrent à la bataille avec leur propre liste à Milan : 4 975 voix et aucun élu ! Pouvions-nous, à Moscou en juin 1920, céder à l'autorité de Lénine qui trouvait que l'action parlementaire fournissait un indice qui permettait de prévoir les rapports de force ? Nous sentions dans nos propres chairs que ces votes si nombreux sonnaient un chant funèbre. Mais ne citons pas encore comment le Soviet jugeait la " grande victoire ".

Les luttes prolétariennes continuaient mais déjà la trouble atmosphère électorale commençait à les éteindre. La grande grève nationale des métallurgistes avait duré du 9 août au 27 septembre. Le 27 l’accord, avec pour conséquence d'importantes conquêtes, fut signé mais le 1° octobre à Bologne où le congrès se réunissait l’on était encore en grève. Le 15 septembre il y avait eu une grève des travailleurs du textile de Novare alors que dans cette même province batailleuse se préparait la grève des salariés et des journaliers agricoles qui allait s'avérer la plus grande de celles qui s'étaient déroulées jusqu'ici et qui impliqua 160 mille travailleurs des deux catégories, conduisant du 18 au 30 septembre à la victoire sur la question des huit heures et à un pacte entre les deux catégories en lutte.

Le 23-24 à Modène il y a un véritable soulèvement populaire contre la vie chère avec des violents affrontements de rue et des arrestations en masse. Le 5 octobre la grève agricole enflamme une autre province d'un authentique prolétariat de la terre : Piacenza. 70 000 salariés luttent pour les huit heures jusqu'au 3 novembre, avec des morts et des blessés dans les affrontements tout particulièrement avec les briseurs de grève et les forces fascistes engagés par les propriétaires fonciers. Les masses prolétariennes répondent par la force et ne tremblent pas. Dans toute cette période des grèves éclatent dans toute l'Italie contre l'entreprise de Fiume et en appui à la Russie, ces grèves sont spontanées et éclatent en dehors des décisions centrales du Parti ou de la Confédération du Travail.

Dès les premiers jours d'octobre les belliqueux travailleurs de la laine de Prato sont en grève. Le journal socialiste submergé de nouvelles électorales ne s'en aperçoit quasi pas ; et un correspondant proteste avec amertume : " la bataille électorale fait passer au second plan la merveilleuse grève des travailleurs de la laine de Prato. " !

Dans le mouvement de jeunesse

Le VII° congrès de la jeunesse socialiste était fixé à Rome pour le 26 et 27 octobre et dans les rangs des jeunes le groupe qui suivait la fraction abstentionniste était très fort. Mais l’on était en pleine lutte électorale pour les chefs du parti (non pas les droitiers mais justement ceux de la direction maximaliste) . La nouvelle direction s'était réunie à Bologne immédiatement après le congrès, en élisant Bombacci pour secrétaire et en ne s'occupant que de l'organisation des élections.

Malheureusement les manœuvres électorales réussirent et les abstentionnistes qui étaient très forts se firent jouer stupidement en se divisant en un courant qui se définit bêtement " abstentionniste unitaire " et un petit groupe qui dut se défendre d'arrache-pied.

Dans le Soviet du 20 octobre dont nous avons rapporté les commentaires au Congrès du Parti il y a seulement un appel de la Fédération de la Jeunesse Socialiste de Campanie qui invitait toutes les forces de la fraction à une entente avant le Congrès des jeunes. Le numéro suivant du Soviet sortira le 4 janvier 1920 et nous n'y pourrons trouver que les commentaires amers à la fin mesquine du congrès des jeunes, un des plus insignifiants de toute l'histoire de cette Fédération.

Cependant, il y avait eu auparavant quelques difficultés. Parmi les jeunes prolétaires le dégoût pour la méthode électorale était si fort que l'on arrivait à des propositions extrêmes, comme celle dont nous avons déjà parlé, la position des Bolognais qui étaient sortis de la fédération en la laissant devenir la proie des électionnistes. Des faits analogues étaient advenus dans les Pouilles où le mouvement de gauche avait toujours été très vigoureux, et le Soviet avait longuement insisté avec les camarades d'Andria et d'autres localités de la région de Bari et de la région de Foggia pour qu'ils abandonnent leur proposition de scission immédiate, également parce que ces courants conservaient une sympathie marquée pour les mouvements anarchoïdes qui ne correspondaient pas à la ligne bien connue du Soviet.

Nos forces allèrent donc au congrès de Rome sans une bonne préparation, et le déroulement de ce dernier fut déplorable.

La manœuvre des grands hommes du maximalisme, qui devaient par la suite tourner leur veste à Moscou, fut celle qui était prévisible : un maximum de démagogie dans les éloges de la Russie, de Lénine et de la dictature révolutionnaire, mais tout cela avec pour but de ne pas provoquer une réaction des jeunes ouvriers à la confusion électorale.

L'ordre du jour fut préparé avec fourberie : 1. expulsion des réformistes hors du Parti (à laquelle on ne fit par la suite plus la moindre allusion mais qui faisait partie de la comédie à réciter dans le but de passer pour extrémiste en parole) ; 2. constitution du Parti Communiste d'Italie (dont on ne parla pas non plus, il s'agissait de choses qui auraient brisé les œufs dans le panier électoral) ; 3. transportisme : mot idiot pour désigner la tendance à porter l'Avanguardia hors de Rome (avec cette illusion on séduisit les jeunes Turinois de bonne étoffe révolutionnaire mais qui, joués à leur tour, abandonnèrent le transportisme laissant tout comme avant) .

Dans les numéros du Soviet postérieurs au congrès, nous trouvons la chronique peu édifiante de ce congrès qui, s'il ne fut pas le congrès de candidats, fut cependant celui d'aspirants.

Dans le numéro du 4 janvier le Soviet ouvre la discussion avec un commentaire à l'article de Giuseppe Berti (alors à gauche, il y a longtemps, vraiment longtemps) . Le commentaire dit " Dans le mouvement de jeunesse la tendance abstentionniste est très forte. Au dernier congrès cependant, à cause de la faiblesse d'une partie des camarades abstentionnistes et à cause des systèmes peu louables des dirigeants électionnistes, la question a été évitée à travers des manœuvres peu sympathiques, surtout parmi les jeunes. Certains camarades de notre tendance ont cru bon de s'unifier, au moins pour le moment, à la majorité. D'autres ont réagi vigoureusement, mais ont été battus et joués. "

L'Avanti ! de l'époque et l'Avanguardia elle-même parlent peu de ce congrès ; tout est consacré aux gens occupés à bien d'autres affaires.

L'article de Berti se réfère au congrès. Il parle d'absence de sérieux, de confusionnisme, de vacuité, d'indifférence aux problèmes fondamentaux. Il fait allusion aux péroraisons retentissantes sur la Russie qui en ce moment conduisait une lutte extrême et aurait eu besoin de bien d'autres appuis. Les camarades de Turin, qui étaient indubitablement parmi les mieux préparés, ont engagé la lutte pour le transportisme, une lutte mesquine à laquelle celui qui écrit dit avoir assisté le cœur serré.

Le Comité Central a donné raison à tous et aussi au transportisme, en acceptant toutes les critiques y compris celles faites au journal. Mais il a dévié la salve.

Il a fait de même quand " un petit courant a tenté d'agiter la question mesquine de l'abstentionniste dans le frémissement de la discussion ", avec des paroles de l'Avanguardia dans le compte rendu haché.

Le C.C. avait déjà prêt, sur cette question également, un ordre du jour unitaire en feignant d'être d'accord aussi avec les abstentionnistes !

Ces derniers mordirent à l'hameçon et votèrent presque tous en masse la " question préalable unitaire " ! Une autre chose que la scission promise d'avec les réformistes !

Ce fut donc discours, applaudissements, bravos et le congrès se termina.

Il s'agissait d'une question préjudicielle de Moschelli qui disait ne devoir discuter non de méthodes mais de programmes. Donc on ne vote ni pour l'électionnisme, ni pour l'abstentionnisme. Et les abstentionnistes tombèrent dans le piège, renonçant à se compter.

Mais le groupe abstentionniste pur avait proposé justement de voter le même programme que celui présenté à Bologne ! Et il ressortait de ce dernier l'incompatibilité des social-démocrates avec le parti. Au contraire le C.C. choisit justement le programme maximaliste avec l'hypocrisie d'en ôter le point électionniste.

L'article dont nous parlons s'arrête ensuite sur la question de la réduction de la tâche des jeunes à la simple éducation socialiste, dépassée depuis le temps du fameux culturisme, et il revendique pour les jeunes la place de première ligne contre l'opportunisme, le collaborationnisme et toutes ces authentiques " vieilleries ". Il propose que le programme communiste soit au contraire, en accord avec la Fraction et le Soviet, agité parmi tous les jeunes.

Avant de parler d'un autre article et d'un autre commentaire dans le Soviet du 11 janvier, nous nous arrêterons sur l'ordre du jour présenté par Terracini qui était jeune alors, ordre du jour qui, pour confirmer la confusion générale, fut voté par tous. Avec unanimité les Turinois transportistes et les abstentionnistes furent roulés ...

" Le Congrès ... convaincu que l'adhésion à la Troisième Internationale pour le moment l'emportera puisque le programme maximaliste aura une actualisation rapide et sûre ; attendu que la période de la critique doit déboucher finalement dans la période de la création ; reconnaissant dans les conseils ouvriers, paysans et soldats la forme du pouvoir prolétarien qui doit remplacer le système parlementaire bourgeois ; charge le nouveau C.C. de diriger son activité, tout spécialement au moyen de l'organe fédéral l'Avanguardia, vers la diffusion des éléments pratiques de leur constitution et de leur fonctionnement, puisque la meilleure culture révolutionnaire s'acquiert, plus que dans les livres et par les leçons, en assistant et en participant avec la conscience des moyens et des fins au fonctionnement de ces organismes, destinés à actualiser le droit du prolétariat. "

Cet ordre du jour touche un point que nous affronterons sous peu en rapportant comment à partir de ce moment les directives de notre fraction furent ouvertement en opposition avec celles des Turinois " ordinovistes ". C'est déjà significatif pour cette position, même si elle fut par la suite soutenue totalement par Gramsci. Il est remarquable de noter que l'on croit que la critique et la théorie doivent être remplacées par une pratique d'" encadrement " organisative qui, par vertu quasi magique, classant les ouvriers un par un, les transformera en révolutionnaires et, comme nous le verrons, sans besoin non seulement de la doctrine du parti et dans le parti (ce qui ne veut pas dire dans l'individu ni dans la personne singulière) , mais même sans besoin du parti politique et de l'insurrection pour le pouvoir central. C'est le vieux sophisme syndicaliste-réformiste auquel, depuis ces années, la gauche marxiste répondit avec Lénine que la révolution n'était pas une question de forme d'organisation mais de force politique armée. Sans compter le fait que l'on faisait une confusion atroce entre le Soviet politique et le conseil d'usine, dernière formule stérile du corporatisme économique.

Autre article du Soviet

Dans le Soviet du 11 janvier, le même camarade consacre à la critique du peu brillant congrès un autre article. Il critique justement la tendance des camarades des Pouilles pour leur position favorable à une scission immédiate et pour leur sympathie envers les syndicalistes et les anarchistes. On trouve une bonne critique du simplisme barricadier et la réplique suivante " Le problème – dit le camarade Miskyne avant de monter sur l'échafaud – n'est pas de créer ou de provoquer la révolution, mais d'en garantir le succès. " Pareillement l'article combat la tendance unitaire. De quelle unité s'agissait-il au congrès ? Avec tous, y compris avec les abstentionnistes, comme avec les Turinois ordinovistes ; et unité dans la Fédération de Jeunesse que personne, à ce moment, ne proposait de rompre, mais en effet c'était l'unité voulue dans le gros parti entre maximalistes et social-démocrates confédérés et parlementaires. Il est connu que, en ce temps-là, les Turinois n'avaient pas encore compris ce point vital. Le rédacteur de l'article écrit : " Le conseil d'usine fut le bourreau choisi pour étrangler le programme communiste. " En effet, relevions-nous, il s'agissait du même syndicalisme non marxiste dans les Pouilles ou à Turin, parmi de généreux prolétaires agricoles et industriels. Il y avait du travail à faire en Italie pour arriver au parti révolutionnaire ! Et il y en avait de la gale à gratter !

La conclusion de l'article n'est pas très claire. " Une fois éliminée toute possibilité de scission, une fois éliminée toute alliance dangereuse, une fois ôtés de nos pieds les abstentionnistes unitaires ... le problème est celui-ci : former une fraction ou seulement une tendance ? " Et la réponse est non pas une fraction mais seulement une action pour les idées du Soviet appuyée sur le journal.

Il est bon de rapporter le chapeau que le journal mit en tête de l'article :

" Nous sommes d'accord avec l'article et également avec les propositions du camarade Berti de Palerme. Nous devons cependant avertir que l'article lui-même ainsi que le précédent ont été écrits quelque temps avant la reprise de nos publications. Par la suite nous avons eu un entretien avec les jeunes camarades abstentionnistes de Rome à propos de leur attitude au Congrès, laquelle fut un peu hésitante, comme Berti s'en lamente vivement. Ils nous ont assurés de leur solidarité avec la tendance abstentionniste pour l'avenir. Le Soviet sera pour le moment heureux de développer une œuvre de propagande continue parmi les jeunes socialistes, pour diffuser toujours plus parmi eux nos directives. "

Les rares belles manœuvres au congrès de Rome et les faible forces des nôtres qui naïvement se laissèrent tromper firent si bien que, encore au II° congrès de Moscou, le bien connu Luigi Polano put parler pour une Fédération de jeunesse entièrement électionniste alors qu’au contraire la Fédération était entièrement opposée aux élections.

La fin de 1919 : le Conseil National de Janvier

Les hauts faits des troupes de choc fascistes commençaient : à Lodi le 12 novembre il y eut un mort et plusieurs blessés.

La Chambre s'ouvrit le 1° décembre 1919. Alors que le roi s'apprêtait à lire le discours de la Couronne habituel, tous les députés socialistes abandonnèrent la salle ; geste considéré comme grandiose par la direction du parti qui l’ordonna. Au cri de " Vive la république socialiste ! ", les 150 députés sortirent et se placèrent à la porte principale de Montecitorio. Mais à cet endroit une manifestation non prolétarienne était prête, manifestation de petits officiers national-fascistes et d'étudiants qui frappèrent quelques députés ... Le 2 et le 3 décembre les travailleurs ripostèrent en se mettant en grève à Rome, à Milan, à Turin, à Naples et dans d'autres villes. Il y eut des morts et des blessés à Milan, à Bologne et à Mantoue.

Les mouvements syndicaux continuèrent partout, quasi tous avec succès. Le 4 à Andria les ouvriers agricoles étaient " maîtres de la ville ". A Turin les ouvriers de l'industrie chimique s'agitèrent, à Gênes ce furent les électriciens, et partout les employés des postes, les cheminots et les traminots. Nous nous rappelons avoir vu plusieurs fois le beau centre agricole des Pouilles libéré des bourgeois et des policiers, hérissé de drapeaux rouges. En ce mois de décembre les mouvements des travailleurs des services publics se préparaient, ils devaient éclater en janvier, faisant capituler Nitti. Le mouvement était irrésistible parce que la dévaluation de la lire suscitait les luttes pour l'augmentation des salaires des travailleurs du privé et du public. Le 21 décembre Nitti, combattu mollement par les socialistes, obtint la confiance de la Chambre par 242 voix contre 216.

Le Conseil National du Parti fut convoqué à Florence pour le 11-13 janvier 1920. En une situation si riche en possibilités d'action de classe un grave problème préoccupait la direction du Parti. Le Congrès de Bologne avait établi l'incompatibilité entre la charge de membre de la direction et le mandat parlementaire. Or il y avait bien huit membres de cette direction qui avaient été élus députés sur douze (!) et parmi ceux-ci le secrétaire général du parti Bombacci. Il était logique que l'on remplaçât les députés et non les membres de la Direction, mais ce ne fut pas l'avis des intéressés, qui formaient la majorité de la direction elle-même. Prenons dans le Soviet du 11 janvier ce court morceau :

" Le Conseil National du Parti. A l'ordre du jour de la convocation du Conseil National du Parti, le premier alinéa est rédigé ainsi : Désignation des camarades choisis pour occuper les postes de la direction laissés vides par les camarades députés. Observons que, le Congrès National ayant établi l'incompatibilité entre la fonction de député et celle de membre de la Direction du Parti, le Conseil National devrait maintenant décider avant tout si ces camarades qui assument les deux charges en même temps doivent démissionner de l'une ou de l'autre. La Direction donna au contraire comme assuré qu'ils doivent restés députés et être remplacés par de nouveaux membres à la Direction. Cela ne nous semble ni très régulier ni conforme au sens des responsabilités que devraient posséder ceux à qui le Congrès a cru devoir confier la tâche élevée de diriger le Parti. "

Les maximalistes électionnistes dominants avaient à cette époque pour plus grande préoccupation, non pas d'épurer le parti des social-démocrates et des antibolcheviks, mais plutôt de combattre à fond les abstentionnistes. Le même jeu qui avait si bien fonctionné au congrès des jeunes sera joué à nouveau pour les conseils nationaux dans lesquels l'étroitesse du maximalisme parlementaire se signala et l’on y craignait les réprimandes bien dirigées de la gauche communiste.

A Naples on fit un petit jeu pour nommer un électionniste sur une base régionale et non provinciale, comme le veulent nos statuts, et la Direction n'intervint pas malgré les protestations du Soviet et d'un groupe de sections de tendance abstentionniste.

Le Conseil eut un déroulement misérable comme on le déduit d'un rapport de Verdaro au Soviet. Le compte rendu du même événement dans l'Avanti ! du 12 et 13 est plus que vide. L'habituel Bombacci " parlant avec grande chaleur et grande sincérité affirme qu'il ne restera pas au Parlement parce que l'ambiance est contraire à son tempérament " ! Mais à la fin de la réunion, après quelques critiques des intervenants parmi lesquelles celles de Tuntar de Trieste et de nombreux autres, il y a un ordre du jour de Baccali qui décide que Bombacci reste secrétaire et démissionne de son poste de député. Mais, à la grande majorité, un ordre du jour Rinaldi-Romita l'emporte, il invite les députés à rester tels et les remplace dans la direction par d'autres camarades. Bombacci et son tempérament se taisent totalement.

A cette réunion, Modigliani ne manque pas de passer à l'offensive, en montrant combien les réformistes ont pris du courage après Bologne, et il propose même un congrès ; sa thèse est claire : faire une politique parlementaire qui soutienne la gauche bourgeoise contre la droite, et justifier le groupe qui a favorisé Nitti " avec l'accord des maximalistes ". Serrati et les autres répondent de façon tortueuse et avec des arguments ressassés. Bombacci se venge en lançant son fameux projet pour la constitution des Soviets en Italie ; il s'ensuit une discussion confuse qui montre l'absence totale de préparation chez les cadres du parti, et l'on vote à la majorité un ordre du jour qui approuve le projet de Bombacci contre un autre de Rinaldi qui voudrait le renvoyer à la Direction.

Nous reviendrons immédiatement sur ce thème pour montrer l'opposition du courant du Soviet tant à la manie bombaccienne de la " construction des Soviets " qu'à la manie turinoise des Conseils d'usine, toutes deux symptômes de la rechute à venir dans l'opportunisme que notre tendance avait annoncée largement avant sa réalisation.

Pour l'instant disons brièvement quelques mots de l'article de Verdaro. Mais avant tout nous avons une note du Soviet du 18 janvier qui part du compte rendu de l'Avanti !

" Au sujet de la réunion de Florence nous ne possédons pour l'instant que le compte rendu de l'Avanti ! S'il est fidèle, cela veut dire que l'on n'a fait qu'avancer à tâtons dans le brouillard et que les différentes thèses n'ont pas réussi à se dessiner. Cela d'ailleurs ne peut pas nous étonner parce que ce n'est qu'une autre preuve de la crise interne et des contradictions incurables d'un parti au sein duquel vivent et collaborent des éléments incompatibles entre eux. Le Congrès de Bologne, n'ayant pas eu le courage des séparations, ne résolut rien. La réunion actuelle a eu l'impression de cet état de chose équivoque, oscillant entre demander un nouveau Congrès et voter comme un Congrès ; contredisant ainsi son caractère statutaire et mettant en circulation des chiffres de votes par représentants qui falsifient les rapports des tendances qui vivent dans le parti. Nous traiterons une prochaine fois de tout cela et de la valeur intrinsèque des propositions et du débat. "

Et voici un extrait de Verdaro, tiré du n°5 du 8 février.

" J'ai eu la chance d'assister, le seul parmi les communistes, à la réunion clandestine du Conseil National de Florence. En fait je ne dis pas la chance car vraiment il ne pouvait pas y avoir un rassemblement plus mesquin, tant pour le ton de la discussion que pour les résultats pratiques que l'on pourrait en déduire.

" Et pourtant qui pourrait méconnaître l'importance que, au contraire, il aurait dû avoir au lendemain du fracassant triomphe électoral ? Il lui incombait de fixer pratiquement les bases de cette action pratique que, théoriquement, l’on avait affirmée au Congrès de Bologne, dans la nébuleuse de ce maximalisme électoral désormais en décomposition complète. "

Verdaro fait allusion au bon jeu laissé à Modigliani et aux droites toujours plus mieux placées de la majorité pléthorique de Bologne qui se divise en courants opposés . Il montre ensuite combien la discussion sur les Soviets était tombée bien bas.

" Conseils d'usine, Commissions internes, Conseils d'ouvriers, Soviets, étaient pour nos camarades d'élites, réunis pour discuter des plus grands intérêts du parti, des mots qui ne revêtaient aucune différence particulière entre eux ... "

Verdaro critique ensuite âprement le projet de Bombacci riche en détails mais privé de toute notion claire des directives de base. " L'ignorance caractéristique de nos dirigeants maximalistes saute de plus en plus aux yeux ... la léthargie acéphale dans laquelle ils ont laissé tomber le parti qui subit les événements historiques qui l'entourent et qui ne saura pas imposer sa propre histoire s'il ne sait pas se sauver avec des moyens les plus énergiques ".

La Gauche et la situation italienne

Nous avons rappelé quelle fut notre position après la victoire socialiste écrasante aux élections de 1919. Le 4 janvier il y avait dans le Soviet un article sur la situation italienne et le socialisme. On relevait les conditions objectives de la crise bourgeoise en cet après-guerre difficile, et la bonne disposition, au moins négative, des masses dont la gêne, le mécontentement et la nervosité croissent de jour en jour.

" Mais les conditions révolutionnaires positives qui résident dans la préparation de l'avant-garde du prolétariat et dans sa conscience de la période historique qui se prépare, ces conditions dont dépend le succès de la classe travailleuse dans la lutte contre la bourgeoisie, et dans la lutte par la suite contre les difficultés de l'organisation d'un nouvel organisme social, dans quelle mesure existent-elles, et se sont-elles accrues ou diminuées ? ".

Nous ne voyons pas un avantage en ce sens dans le succès électoral et dans le fort groupe parlementaire socialiste : seuls les socialistes les plus poseurs et les bourgeois les plus superficiellement pusillanimes peuvent le voir ainsi. "

La condition essentielle, dit le Soviet, est la formation d'un véritable et grand parti politique communiste qui concentre et ravive les meilleures énergies de la classe ouvrière. Le texte en vient à démontrer que la présence de 150 députés du parti, c'est-à-dire de 150 socialistes, démocrates et communistes n'est pas une condition défavorable pour la défense bourgeoise. Après avoir rappelé la fonction de la tromperie démocratique dans l'État bourgeois, organisme de force et d'oppression de classe, le Soviet polémique avec l'Avanti ! qui dit à Nitti qu'il est un inconscient qui ne sait pas se résoudre à choisir entre la manière douce et la manière forte : il n'y a pas deux méthodes mais une seule et le Nitti de la répression de la grève en faveur de la Russie et de la Hongrie du 20 et 21 juillet 1919 est le même que celui qui ouvre les portes à la vague socialiste. L'article, que nous avons vu cité par l’un de nos adversaires, est celui qui pronostique que l'adversaire de la révolution sera le bloc classique des démocrates bourgeois de gauche et des socialistes renégats. On voyait quel était l'adversaire d'un lendemain même lointain mais non quelle était la réponse du parti du prolétariat. Déjà, depuis la fin de 1919, il était clair que les cartes du jeu les meilleures n'étaient pas entre nos mains mais dans celles de la bourgeoisie italienne. Un peu plus tard la gauche dira encore : fascistes et social-démocrates ne sont que deux aspects aujourd'hui du même ennemi de demain.

En 1919 et dans les années suivantes les parties se divisèrent ; d'abord les social-démocrates nous paralysèrent puis les fascistes nous assaillirent. Le jeu continua, et aujourd'hui c'est encore le bloc avec la bourgeoisie de gauche et les couches petites-bourgeoises qui tient esclave, à l'échelle nationale et ultra-nationale, le prolétariat.

Dans le n°2 du premier janvier 1920 le Soviet contient un article sur la lutte communiste internationale qui salue les victoires définitives de l'armée rouge soviétique qui a dispersé la soldatesque de la contre-révolution. Il y a une imprécation contre la force réactionnaire de l'Amérique de Wilson où " la police la plus féroce et la plus vexatrice jouit de la plus grande impunité ", et où " la magistrature est la plus asservie au capital ". Constatant qu'en Italie on est en retard et que l'on attend encore le salut de manœuvres parlementaires (elles devaient arrêter le fascisme !) , on y fait cette proposition tranchante : " La réaction capitaliste est logique quand elle se défend de toutes ses forces ; on ne peut opposer à ses coups que les coups également formidables d'autres forces. "

Voilà ce qu'était notre formule devant la " menace fasciste ".

On trouve ensuite un article qui fait le bilan de la victoire trépidante : " Le maximalisme parlementaire en action. "

On relève que depuis Bologne nous étions restés devant une énigme mystérieuse : l'action révolutionnaire de l'intérieur du Parlement. A Moscou, en juin, les marxistes valables qu'étaient Lénine et Boukharine ne seront pas plus convaincants dans l'illustration de ce sabotage, très abstrait, du parlement par des députés communistes. C'est le Soviet qui, en janvier 1920, voit cette question de façon tout à fait concrète. Nous nous excusons de reporter un extrait dans son entier.

" La solution du logogriphe de l'intérieur a consisté dans la sortie de la salle à la première séance. Tous attendaient une espèce de fin du monde : les députés maximalistes qui empêchent violemment le déroulement du discours de la Couronne, le gouvernement contraint d'employer la force pour expulser du parlement les révoltés et, à partir de là, toute une série de violences plus ou moins catastrophiques. En fait rien de cela ne s'est produit : quelque cri et la sortie en masse qui a perturbé pour un moment l'habituel et convenable sérieux de la cérémonie. L'accouchement d’une souris par la montagne encourage les voyous enrôlés par la bourgeoisie, quelques camarades députés ont des égratignures, le prolétariat intervient pour protester et le petit acte de la sortie, moitié à l'intérieur et donc moitié à l'extérieur, provoque un certain nombre de victimes prolétariennes inutiles et donne toute facilité au gouvernement bourgeois pour sauver encore une fois les institutions, justement au moment où personne ne pense à les mettre en danger. "

L'article ironise par la suite sur la proposition du supermaximaliste Modigliani qui, à la fin de son discours falot sur la politique internationale, avait osé lancer le mot de république… " bourgeoise pour le moment, mais qui finira bien par devenir socialiste ". Et l'Avanti ! avait applaudi.

" Le maximalisme parlementaire voudrait donc nous offrir pour l'heure une république bourgeoise à travers une constituante qui est derrière les coulisses prête à se montrer au moment propice. "

Aujourd'hui nous savons que le moment propice est venu. Le fascisme asséna une gifle puissante sur le visage du prolétariat et il le désarma pour vingt ans. Le prolétariat aurait pu répondre : ah, la constituante ne t'a pas convenu ? Tu as toutes les raisons, maintenant le sang a coulé ; et bien prends-toi maintenant la dictature et la terreur rouges ! Au contraire après la faillite éclatante de la proposition de 1919, les nouveaux traîtres de la classe ouvrière lui ont administré une autre période de vingt ans ... de constituante rassise et rance ! Par Dieu, vive Modigliani, seul maximaliste de l'intérieur !

Evidemment nous tirons les conclusions après les deux périodes de vingt ans ; mais nous sommes en train de prouver que notre courant les avait tirées sans se tromper dès ce moment.

L'article dont nous parlons note que l'utilisation des députés pour l'agitation dans le pays en fermentation ne peut pas non plus justifier la méthode parlementaire ; le secrétariat du groupe et l'Avanti ! lui-même ordonnent la présence de tous à Montecitorio ! Le directeur de l'Avanti ! étant " le plus acharné de tous les parlementaires pris ensemble ". Evidemment on devait rester là pour la défense des libertés sacrées du prolétariat !

Mais il y eut le vote pour la reconnaissance de la Russie ! Mais ce fut pour tous les gouvernements, c'est-à-dire de Lénine à Koltchak et semblables canailles ! " Le gouvernement continuera malgré le vote unanime du parlement la politique qu'il est en train de mener contre la Russie en accord avec les brigands liés à l'Entente sans changer une seule ligne de ses directives ". On sait que Mussolini devait être le premier dans le monde à faire le fameux pas, celui de la reconnaissance de facto à la reconnaissance de jure !

L'article conclut que le maximalisme parlementaire, monstre difforme, est mort avant de naître. " Ou bien ... ils devront faire appel à la masse ... pour la sauvegarde de l'organe parlementaire, en l'appelant à l’une des habituelles actions incomplètes, parcellaires, décousues, et pour cette raison incapables de produire d'autre résultat que celui de faire des victimes parmi le prolétariat et de renforcer la résistance bourgeoise. "

Ce fut justement ce qu'il advint. Alors que l'on voyait que la défense légale était inutile et qu'il s'agissait d'affronter le fascisme les armes à la main, il était trop tard et l'on voulut le faire au moyen du bloc des révolutionnaires avec les légalistes ; la bataille fut perdue. Quand des forces non nationales défirent le fascisme on répéta l'erreur des constitutionnalistes de 1919 et l'on tomba dans l'inceste entre démocratie et révolution qui signifie contre-révolution.

La portée historique de la contre-révolution blocarde est pire que celle de la contre-révolution fasciste parce que, dès ce moment, elle avait assuré la victoire de la classe capitaliste et la faillite des énergies de la classe travailleuse.

Ce fut la peste opportuniste qui nous abattit et non la force des chemises noires, ni celle beaucoup sérieuse des défenses armées de l'État de classe. Une orientation politique différente du prolétariat aurait fait, dans le premier après-guerre, davantage trembler sur ses fondements l'édifice ignoble de la civilisation bourgeoise qui domine encore aujourd'hui, au moyen des mêmes ressources, et que nous avons devant nous.

Même une défaite aurait été moins désastreuse que la retraite ignominieuse qui a la même signification que celle que l'on a appelée libération nationale et insurrection démocratique, et le long de laquelle le prolétariat se traîne encore déshonoré et reculant.

Le mouvement turinois des conseils d'usine

A la fin de 1919 ce mouvement important était déjà en plein développement. Au congrès d'octobre à Bologne on n'en parla que marginalement : le problème électoral étouffait tout et il prit le premier plan. La gauche des socialistes turinois était en grande partie abstentionniste, et d'un autre côté elle était à la remorque des maximalistes électionnistes et ne ressentait pas encore le problème de la formation du parti politique communiste ; de plus certains pensaient de façon confuse que ce problème serait contourné, sous-tendu par la création d'un nouveau type d'organe prolétarien : le conseil d'usine qui, en se répandant, aurait éliminé le danger du réformisme niché dans la Confédération Générale du Travail, dans le groupe parlementaire socialiste, et dans une bonne partie du parti.

Beaucoup plus tard, les Turinois se rendront compte que ces problèmes nationaux et internationaux sont à la base de tout : alors seulement la section de Turion votera les thèses de juin 1920 dues à la pression et à l'influence de la fraction abstentionniste qui la dirigeait en " bloquant " avec le groupe de l'Ordine Nuovo.

A la fin de 1919, nous avons un mouvement important dans lequel se traduit l'enthousiasme révolutionnaire du prolétariat ; mais il se limite au seul Turin, à la seule catégorie des ouvriers métallurgiques, et même, peut-on dire, à ceux d'une seule grande entreprise : la FIAT. En parallèle à ce mouvement la revue dont Antonio Gramsci était le secrétaire de rédaction était née, elle était écrite par un groupe appréciable de jeunes intellectuels et étudiants universitaires, liés de sympathie étroite avec les ouvriers d'avant-garde.

Le 31 octobre 1919 se tint une assemblée quasi totalitaire (dans les limites fixées de Turin et de la FIAT) des Commissaires d'atelier qui vota un Programme publié par l'Ordine Nuovo. Les Commissaires d'atelier étaient des ouvriers, pour la plupart socialistes de gauche et inscrits à la Fédération syndicale (F.I.O.M., section de Turin) , élus par tous leurs camarades pour chaque atelier de l'usine, sur les traces des commissions internes déjà existantes (lesquelles sont élues aujourd'hui par un vote unique pour toute l'usine sur listes de commissaires) . Dans la conception de 1919 l'ensemble des commissaires formera le conseil d'usine, mais la désignation sera unique, atelier par atelier, dans chaque atelier on choisira un seul nom (nous ne disons pas on votera parce qu'en pratique on désignait communément un des ouvriers les plus actifs et les plus courageux, connu des camarades par le contact quotidien) .

Le programme qui est évidemment de la plume de Gramsci a une introduction, une première partie en sept points, et une deuxième partie analytique qui est le Règlement général.

Nous ferons une remarque sur certains points importants pour que l’on comprenne bien le système que nous appelons ordinoviste. Nous n’en ferons pas tout de suite une critique radicale parce que dans le cours de cette exposition nous rapporterons la position prise par la fraction communiste abstentionniste sur ces problèmes dans des articles du Soviet et dans les thèses de la fraction qui complétèrent le Programme que nous avons déjà donné puisqu’il était inclus dans la motion des abstentionnistes à Bologne.

Dans le même temps, il nous intéresse de mettre en évidence l’accueil que les thèses des Turinois eurent dans le parti et dans la confédération syndicale puisque ces résistances, en partie logiques, en partie tendancieuses et dictées par le désir de conserver d’anciennes influences, induisirent les Turinois au congrès de Moscou de juin-août 1920 à rectifier le tir, sans cependant renoncer à leurs traditions qui, comme nous l’exposons maintenant, apparaissent naïves et qui, dans l’histoire des années suivantes et dans l’histoire du parti formé à Livourne, reprirent une influence prédominante, conduisant à l’involution longue et douloureuse du parti lui-même qui a rendu " actuelles " les divergences d’alors entre communistes du Soviet et ordinovistes.

Dans l’introduction il y a un point intéressant qui est caractéristique de la pensée de Gramsci : On ne croit pas que le programme est définitif ; il n’est qu’une première ébauche puisque le temps le formera selon la " réalité ". Le programme " ne doit pas et ne devra jamais être définitif ".

L’introduction fait allusion à la distinction entre syndicat traditionnel et Conseil d’usine, puis elle aborde une question délicate : les non organisés dans le syndicat votent pour le Commissaire, mais le Commissaire doit être inscrit au syndicat. Il en naîtra une longue polémique. L’assemblée vote un ordre du jour dans lequel on se propose de tenir des congrès régionaux et nationaux des Conseils d’usine, et d’en " étudier l’application dans les différentes industries " pour sortir de la limitation de départ que nous avons signalée, celle de la FIAT.

Selon l’introduction " le principe du mandat démocratique doit prévaloir dans tout pouvoir … " " Le suffrage dans notre système n’est pas encore universel, et cela pour des raisons contingentes ... "

Dans la déclaration de principe il y a des points importants. " Les commissaires d’usine sont les seuls et vrais représentants (économiques et politiques) de la classe prolétarienne parce qu’ils sont élus au suffrage universel [dans le sens où les non organisés votent également, voir plus haut] par tous les travailleurs dans le même lieu de travail. " (nous n’anticipons pas la critique, mais qu’est-ce que cette idolâtrie du lieu de travail ? En régime salarié, c’est le lieu d'esclavage !) .

On admet donc, avec des limitations, la fonction " commerciale " des syndicats dans les tractations avec le patron. Mais ce sont les Conseils qui " incarnent au contraire le pouvoir de la classe travailleuse organisée par usine, en antithèse avec l’autorité patronale qui s'exerce dans l’usine elle-même ; socialement (ils) incarnent l’action du prolétariat entièrement solidaire dans la lutte pour la conquête du pouvoir public, pour la suppression de la propriété privée. "

Il est conforme à la pensée de Gramsci que l’on ne parle pas de parti et d’État comme organes uniques pour l’ensemble du territoire …

En conclusion, l’assemblée des commissaires de Turin affirme représenter " la première affirmation concrète de la Révolution Communiste en Italie ".

Nous ne suivrons pas plus longtemps la partie analytique. Elle est en fait terriblement concrète, sans que la réalité qui devait venir soit passée par elle. Mais il y a certains passages qui sont utiles pour montrer comment le système des conseils était totalement perméable au minimalisme, comme nous le craignîmes dès le début. Le conseil d’usine est une localisation des intérêts ouvriers encore plus étroite que la catégorie et l’industrie, bases du syndicat. Plus le cercle est petit et plus les raisons d’identité d’intérêts peuvent, en des situations données, l’emporter sur les raisons d’opposition, et l’histoire du mouvement turinois, comme elle donnera des exemples de lutte aiguë, donnera quelques exemples de rencontres étranges (campagne pour les victoires des voitures FIAT dans les courses européennes d’où naquit un prix pour l’entreprise qui peut intéresser ouvriers et patronat) . Citons seulement quelques passages sur les tâches du Commissaire d’atelier. Outre le fait qu’il contrôle que l’ouvrier n'est pas mal traité, il doit se préoccuper d’autres choses d) pour connaître de façon précise 1) la valeur du capital engagé dans son propre atelier 2) le rendement de son propre atelier en rapport avec toutes les dépenses connues 3) l’augmentation du rendement que l’on peut obtenir. Et même : e) pour empêcher dans tous les cas les aliénations de la part des capitalistes du capital investi en biens immobiliers de l’usine !

Il y a plus : "  … étudier les innovations techniques internes proposées par la Direction et ne pas se prononcer sans en avoir discuter avec les camarades, en les invitant à les accepter, car si elles doivent apporter des ennuis passagers aux ouvriers, elles entraînent également des sacrifices de la part de l’industriel et elles permettent dans tous les cas d’être utiles aux procès de la production ". C’est ici qu’il nous semble voir apparaître le nouveau mythe, la PRODUCTION, devant laquelle doivent s’incliner patrons et serviteurs ! Et c’est en ce sens qu’aujourd’hui le réformisme et la collaboration de classe triomphent.

Un enthousiasme, pas entièrement justifié, accueillit ces nouvelles (ou apparaissant comme telles) orientations et méthodes. Très tôt l’on mit en discussion le rapport avec les formes traditionnelles, et il sembla facile, à l’intérieur de Turin, de l’emporter dans la section du parti et dans celle du syndicat F.I.O.M.

Voici, tiré d’un résumé du compte rendu de l’Avanti !, la discussion dans la section turinoise de la F.I.O.M. Nous le commenterons seulement brièvement après l’avoir rapporté.

Le débat de la section syndicale

L'Avanti ! du 3 novembre 1919 publie un résumé sous le titre Les " conseils des ouvriers " approuvés par les métallurgistes turinois, à propos d’une assemblée importante de la section turinoise de la Fédération des ouvriers métallurgistes qui s’est tenue le 1° novembre.

Le thème de la discussion, lors de la réunion dont nous avons parlé, concerne la transformation des organismes syndicaux en relation à l'institution des commissaires d'atelier et des conseils d'usine qui se sont formés dans les derniers mois en de nombreuses usines turinoises.

Uberti développe le rapport introductif en soutenant le point de vue du conseil de direction. Les points de son rapport peuvent se résumer ainsi :

1) il est nécessaire d'examiner à fond les nouveaux principes sur lesquels l'organisation syndicale veut se fonder ;

2) les commissaires d'atelier sont nés pour faciliter les tâches des commissions internes ;

3) la fédération n'est pas opposée par principe à leur institution ; de même qu'elle n'est pas non plus opposée à ce que les commissions internes ne deviennent le véritable comité exécutif des ouvriers d'usine ;

4) mais le mouvement des commissaires a assumé des caractères plus vastes ; dans une assemblée des conseils d'usine on a proposé que le comité directeur des sections syndicales devienne une émanation des conseils des commissaires ;

5) ce fait impose à l'organisation syndicale de discipliner ces nouvelles institutions ;

6) les conseils d'usine ont été formés à Turin sur le présupposé – présupposé à repousser - de la possibilité de l'extension du droit de vote aux organisés et aux non organisés ;

7) l'acceptation de ce présupposé constituerait la négation de la raison d'être des fédérations et des Chambres du Travail ;

8) l'actuel conseil de direction accepte le principe des commissaires d'atelier, mais il veut faire en sorte que ces derniers agissent dans l'orbite syndicale ;

9) il propose donc que l'on nie le droit de vote aux non organisés et que les commissaires élisent les commissions internes en leur sein ;

10) quant aux organes de direction de la section, il propose l'élection d'un conseil général avec le suffrage étendu à tous les membres ;

11) Uberti conclut : cette ligne peut être acceptée seulement par ceux qui sont socialistes, non par des libertaires comme ceux qui ont avancé les propositions de transformation radicale de l'organisation.

Après le rapport d'Uberti, trois groupes d'intervenants suivirent, ils reflétaient trois tendances :

a) la première est partisan de l'adhésion à la ligne du conseil de direction. Les orateurs de cette tendance sont Scaroni et Castagno.

b) la deuxième, appelée extrémiste, est dirigée par le comité exécutif des conseils d'usine déjà élus, et a comme représentants Garino et Boero. La pensée de ce courant, comme on le déduit des interventions de Garino et de Boero, peut se synthétiser ainsi :

1) Une nouvelle histoire de l'organisation ouvrière de classe a commencé. Le mouvement des conseils n'est pas une particularité de l'industrie métallurgique ; il doit s'étendre à toutes les usines.

2) Les propositions du conseil de direction se réduisent à une modification superficielle et exécutée par le haut des organismes fédérés. Le mouvement révolutionnaire doit partir du bas. Les conseils doivent favoriser la croissance de la volonté rénovatrice au sein de la masse.

3) Les conseils constituent les organes de la dictature du prolétariat en tant que dictature de toute la classe.

4) Sous cet aspect on ne peut faire aucune distinction entre organisés et non organisés, inscrits ou non.

5) L'organisation par usine est la seule qui permette de créer et de maintenir solide l'unité de toute la classe.

6) Les conseils sont l'organe du pouvoir ouvrier et donc ils se fondent sur tous les ouvriers.

En conclusion de l'intervention de Boero on présenta l'ordre du jour suivant (déjà approuvé par le comité de direction des conseils en activité) :

" Les ouvriers Turinois de la F.I.O.M., réunis en assemblée générale le 1° novembre 1919 ; convaincus que l'organe syndical doit être l'expression directe de la volonté des organisés ; que cette volonté peut s'exprimer de façon organique au moyen d'institutions qui naissent sur le lieu de travail ; que les conseils d'usine, tels ceux qui sont nés à Turin dans les usines métallurgiques, sont la forme embryonnaire de ces nouvelles institutions ; décident d'étendre et d'intensifier l'action pour la création des conseils lesquels, à peine seront-ils prêts, seront convoqués à dessein pour fixer les rapports qui doivent exister entre l'organisation syndicale et les conseils d'usine ; décident de plus que sur la base des directives exécutives de la section de la F.I.O.M., provisoirement, jusqu'à l'achèvement des travaux des conseils ouvriers, l’on nomme une liste de onze noms, laissant cinq places à la minorité, qui formeront le comité exécutif provisoire. "

c) le troisième courant dit " centriste " représenté par Caretto et Chiavaza, dans le même temps où il reconnaît la constitution des conseils, est cependant pour le refus du droit de vote des non organisés. Il se prononce pour une transformation partielle de l'organisme syndical, de telle façon qu'il englobe le nouveau sans détruire l'ancien.

La longue discussion ne permet pas au rapporteur de répliquer. On passe au vote de la motion. La priorité donnée à la motion de gauche est approuvée par la majorité des voix.

La motion de gauche est approuvée à une grande majorité.

La thèse d'Uberti est celle de la centrale de la F.I.O.M. et de la Confédération du Travail, d'orientation ouvertement réformiste.

La thèse de Boero est celle des communistes abstentionnistes et du groupe Ordine Nuovo. Nous ne pouvons pas répondre du compte rendu de l'Avanti !, mais il paraît indiscutable que l'on tombe dans la confusion plusieurs fois dénoncée par le Soviet, avant et après, entre conseils d'usine et Soviets ouvriers, organes de pouvoir. Nous trouvons au contraire que l'ordre du jour de Boero, qui eut la grande majorité, est dépourvu d'erreurs de principe et qu'il ne ferme pas la porte à une clarification saine des méthodes d'organisation.

Le courant centriste voudrait refléter les idées de la direction du parti et de l'Avanti !, il reste dans son indétermination habituelle.

Vive protestation de Serrati

On pourrait expliquer l'indignation des chefs confédérés de droite par leur crainte que le mouvement des conseils n’eût pour résultat leur perte du contrôle de l'organisation ouvrière ; et ce fut en effet l'illusion généreuse des gauches de Turin.

On s'explique moins la protestation de Serrati. Il manifeste déjà son erreur qui consiste à se solidariser avec les bonzes syndicaux de droite, comme il le fera par la suite également avec les réformistes parlementaires.

Il lui paraît que le vote accordé aux inorganisés ôte de la valeur au parti et aux syndicats, alors dits rouges. Même Gramsci, dans son texte, avait limité la reconnaissance aux syndicats confédérés, en excluant les syndicats jaunes et religieux. Quelque chose de bien différent de ce qui advient aujourd'hui à la FIAT et partout !

Personne n'envisageait correctement la question parti-syndicats-conseils et elle deviendra clair, comme nous le dirons à la fin, en illustrant la position des communistes marxistes non infectée, à aucun titre, par l'ouvriérisme, de droite et de gauche.

L'Avanti ! du jour suivant, le 4 novembre, publie, sous la signature de Serrati, un article critiquant sévèrement le débat syndical et l'approbation de la motion dite de gauche, sous le titre : " Pour que l'on ne se méprenne pas ".

Dans cet article Serrati relève la confusion des partisans des conseils ; en observant avant tout que l'on a commencé par rechercher des organismes plus souples, répondant aux nécessités du contact avec la masse, et que l'on s'est déterminé à admettre le droit de vote en faveur des inorganisés.

Il exprime son énorme étonnement face à la mise en doute de tout un long travail du parti, mise en doute implicite dans l'admission du droit de vote en faveur des inorganisés. A ce propos il s'exclame : " Voici vraiment une façon très caractéristique et totalement ''libertaire'' d'interpréter la révolution russe et le régime des Soviets ". " Oui, les conseils d'usine – poursuit Serrati – doivent être comme les atomes du nouveau monde. Après eux on doit créer les conseils d'industrie, puis les conseils de ville, et ensuite les conseils de région et les conseils centraux, chacun d'entre eux réparti dans les différentes branches, tous coordonnés et harmonisés dans un conseil central unique pour que dans la Société Nouvelle l'administration des choses dans la communauté socialiste remplace réellement la dénomination politique de la classe à l'intérieur de l’État bourgeois. Et tout le pouvoir doit être donné à ces conseils dont les membres sont responsables et révocables. "

Et il réplique : " Mais quand le premier anneau, le plus facile, n'est pas encore forgé ... quand le conseil d'usine, seulement en tant que commission interne, est créé en quelque établissement ... la construction nouvelle est plus une ébauche mentale qu'un fait concret ... il s'agit une preuve évidente de manque d'attachement pour l'ancienne forme et d'intérêt excessif pour la nouvelle. C'est une preuve de simplisme grandement périlleux pour l'avenir du prolétariat. "

" Les camarades de Turin se trouvent, ajoute Serrati, face à une grande équivoque théorique et pratique. " L'équivoque dérive en partie, selon Serrati, d'un amour excessif pour leurs propres choses qui les a portés dans la contradiction étrange qui fait que, en voulant imiter l'exemple lointain (la Russie des Soviets) , ils ne commettent que des contrefaçons piémontaises.

" Lénine – dit Serrati – a, à plusieurs reprises, conseillé aux camarades de tous les pays de ne pas singer la Russie ". Serrati explique une telle considération de la façon suivante : " cela signifie que – alors que tous, nous devons nous mouvoir dans la même direction et pour le même objectif – chacun doit le faire avec ses propres jambes et sur son propre terrain. " Il conclut en posant la question suivante : " Peut-on être alors contre le mouvement organisé qui constitue le noyau de la société future et être en faveur de cette masse amorphe, inorganisée, incapable de comprendre même ses propres intérêts ? La réponse ne peut être douteuse, répondit-il.

" Celui-là représente réellement la lutte de classe, celle-ci n'est la classe que théoriquement : c'est la classe souvent en lutte contre son propre intérêt. Lui faire confiance, contre tout notre passé, pourrait signifier, nous ne disons pas revenir à des formes inférieures et dépassées, mais nous fourrer nous-mêmes dans le chaos. "

La question dans le parti

Avant de rapporter les textes des discussions sur les conseils d'usine, comme celles qui eurent lieu dans les assemblées syndicales de Turin et, en décembre, dans la section du parti socialiste, il sera bon de clarifier en quels termes la gauche que dirigeait le Soviet avait posé cette question, même sans traiter encore, comme cela adviendra en 1920, du programme des conseils, mais en prenant une position - strictement fondée sur les principes marxistes – sur le fameux slogan de l'unité prolétarienne puis sur celui du front unique révolutionnaire ; slogans destinés alors et toujours à de grands succès démagogiques. Ce fut le mérite de la gauche italienne de les dénoncer, en percevant par une grande anticipation historique le danger de la nouvelle avancée de l'opportunisme qui se serait greffé sur ces erreurs, atteignant des sommets criminels non moins graves que ceux auxquels, depuis 1914, le front national des partis et des classes avait conduit. Nous verrons Gramsci et les autres présenter la nouvelle forme : le conseil d'usine, comme porteur quasi automatique et miraculeux de l'unité de tous les prolétaires que les partis et les syndicats divisaient. Rêve noble et généreux certes, mais auquel on ne pouvait pas ne pas répondre dès son apparition qu'il cachait en lui une erreur ruineuse. Marx avait dit : travailleurs de tous les pays unissez-vous ! et ce mot d'ordre était celui de l'internationalisme intégral trahi en 1914 quasi partout. Mais Marx, pour qui l'avait compris, avait enseigné que dans la lutte révolutionnaire une partie (pas toujours peu importante) des travailleurs, dans chaque région géographique, aurait subi les influences durables de la classe dominante et aurait lutté même sous un autre drapeau que celui de la révolution. L'ordinovisme n'était, à sa naissance, qu'un nouvel et très infantile utopisme. A la fin de son évolution il a bien fait d'appeler son organe Unità.

Le 1° juin 1919 le Soviet avait publié un article dont le titre était " L'erreur de l'unité prolétarienne. Polémique sur plusieurs fronts. " Cet article parle des incitations à l'unité organisative de tous les syndicats, et la polémique se déploie dans deux directions puisque d'un côté elle s'en prend à l'unité avec l'encadrement des syndicats réformistes, et de l'autre à celle avec l'encadrement des syndicats philo-anarchistes. Le deuxième article du 15 juin parlera contre la fusion ou même contre le " bloc " avec ces deux tendances ou écoles politiques, énonçant le principe selon lequel les marxistes devront, par nécessité historique, combattre seuls, justement pour parvenir à guider l'émancipation prolétarienne.

Le premier des dits articles commence par réduire la proposition de la fusion syndicale à celle du bloc purement politique duquel nous venons de parler. Reportons-en un morceau :

" Un faisceau des forces syndicales du prolétariat en dehors des désaccords politiques ne serait facteur d'aucune efficacité révolutionnaire parce que la dynamique de la révolution sociale sort des limites du syndicat professionnel.

" Les crises de développement de la société se présentent sous l'aspect évolutif ou révolutionnaire, et ont pour acteurs les partis politiques dans lesquels se reflètent les classes sociales.

" Dans les organismes syndicaux ne se reflètent au contraire que les catégories professionnelles. L'homme participe à la vie sociale à l'intérieur de limites beaucoup plus larges que celles de son activité professionnelle et même ses rapports strictement économiques ne se limitent pas à sa position de producteur mais ils s'étendent à ses autres activités de consommateur, directement intéressé à toutes les autres branches de la production et de l'administration sociales.

" Particulièrement dans les moments de convulsion sociale l'homme fait valoir avec son action politique ses intérêts, non pas en tant que membre d'une catégorie de producteurs, mais d'une classe sociale.

" La classe doit se considérer non comme un simple agrégat de catégories de producteurs mais comme un ensemble homogène d'hommes dont les conditions de vie économique présentent des analogies fondamentales.

" Le prolétaire n'est pas le producteur qui exerce des métiers donnés mais c'est l'individu qui se distingue par le fait qu'il ne possède aucun instrument de production, et par la nécessité dans laquelle il se trouve de vendre pour vivre son propre travail. Nous pourrons avoir également un ouvrier régulièrement organisé dans sa catégorie et qui est en même temps un petit propriétaire agraire ou capitaliste ; et il ne serait plus un membre de la classe prolétarienne. Un tel cas est plus fréquent qu'on ne le croit. "

A ce point l'article en vient à mettre en relief comment, dans les révolutions prolétariennes en cours, c'est le parti politique révolutionnaire qui, en battant tous les autres, même les partis " ouvriers ", a formé le gouvernement de la révolution et puis l'a soutenu avec l'accord d'une nouvelle forme de représentation des masses travailleuses.

" Dans les documents sur les constitutions des républiques socialistes on relève que ces représentations ne se fondent pas sur le syndicat, la catégorie professionnelle, l'usine, comme beaucoup s'obstinent à le rabâcher, mais bien sur les circonscriptions territoriales qui élisent leurs propres délégués indépendamment de la profession des électeurs et des élus. "

" Dans la nouvelle organisation économique, la propriété et son administration passent à la collectivité et non aux catégories de producteurs. "

Le texte souligne que les syndicats sont beaucoup moins maîtres de leurs propres entreprises que, en régime capitaliste, les coopératives de producteurs, et il signale qu’en Russie on socialise en principe également celles-ci.

" Une caractéristique essentielle du régime des Soviets n'est donc pas d'être un gouvernement des catégories ouvrières [erreur alors très diffusée], mais un gouvernement de la classe ouvrière, et les membres d’icelle ont l'exclusivité du droit politique nié en revanche aux bourgeois. Un ouvrier qui serait en même temps un petit propriétaire ou un petit rentier (3) ne serait pas un électeur.

Ce concept du gouvernement de classe, de la dictature du prolétariat, est la clé de voûte de toute la vision marxiste du processus révolutionnaire. "

 

L'article conclut en réaffirmant qu'unité syndicale prolétarienne signifie bloc entre tendances politiques discordantes, lequel bloc aurait une valeur négative. " C'est justement dans la période révolutionnaire que les différences de programmes ne peuvent et ne doivent pas être dépassées par des coïncidences transitoires dans certains postulats d'action. "

L'autre article est du 15 juin, il s'intitule " Le ‘‘front unique révolutionnaire’’ ? "

Cette formule contre laquelle la gauche luttera longuement dans les années qui suivirent est saluée avec toute la méfiance qu'elle méritait : " Nous ne croyons pas que ce nouveau ''front unique'' ait une plus grande raison d'être et une plus grande fortune que celui ... des alliés [de la première guerre mondiale] qui n'a pas avancé d'une heure la défaite de l'Allemagne et, peut-être, l'a retardée, et n'a pas évité au lendemain de la victoire le conflit entre les vainqueurs. "

" Le système consistant à s'associer dans l'action en négligeant les différences de programmes est un lieu commun qui rencontre beaucoup de faveurs, surtout s'il est associé aux déclamations habituelles contre les théories, mais il ne s'agit que d'un argument démagogique, pire que de nombreux autres et susceptibles d'introduire dans l'action une plus grande confusion, mais non une plus grande efficacité. "

Et plus loin :

" Ce qui importe pour le triomphe de la classe travailleuse, pour l'élimination la meilleure de tous les éléments négatifs internes qui pourraient lui faire obstacle, c'est la concentration des forces prolétariennes en un parti politique dont les développements programmatiques et l'orientation tactique ne présentent pas de contradictions avec le développement historique de la lutte. "

L'article développe ensuite la critique de la méthode du réformisme et celle du syndicalisme libertaire qui réduisent les deux à des utopies antimarxistes. Limitons-nous ici à la conclusion pour revenir à la question des conseils d'usine comme elle fut traitée six mois après :

" Nous voyons la solution du problème dans le fait de rendre l'efficacité du prolétariat maximale (c'est-à-dire d’accélérer la chute de la bourgeoisie et même de rendre impossible la faillite du nouveau régime) et non dans la création d'un bloc de courants qui se déclarent révolutionnaires, dans la formation au contraire d'un mouvement homogène qui dégage un programme précis, concret et réalisable dans toutes ses phases successives – nous sommes disposés à considérer comme révolutionnaire seulement un programme qui réponde à une telle caractéristique. "

En quel sens usâmes-nous, nous aussi, l'adjectif concret dont on a tant abusé ? Un passage précédent le dit : " Le problème est théorique, c'est-à-dire que c'est un très grand problème pratique de demain. " Les italiques sont dans l'original.

Débats dans la section socialiste de Turin

Ce que nous avons rappelé sert à juger le débat dans le mouvement turinois du parti, mouvement dans lequel on trouve de nombreux éléments du courant du Soviet mais qui étaient, eux aussi, un peu sous le charme de la recette mirobolante du conseil d'usine. Maintenant on peut mieux lire le compte rendu, tiré de l'Avanti ! du 14 décembre 1919 :

L'assemblée de la section socialiste de Turin a voté sur la question des conseils d'usine des " thèses " dont le but est de démontrer que :

" 1) le conseil d'usine est un organisme original, comparé au syndicat, parce que l'ouvrier dans le conseil se considère soi-même comme producteur, nécessairement inséré dans le processus technique du travail, dans l'ensemble des fonctions productives qui sont, en un certain sens, étrangères au mode d'appropriation privée de la richesse produite et indépendantes de ce mode d'appropriation - alors que dans le syndicat l'ouvrier est continuellement porté à se considérer seulement comme un salarié et à considérer son travail non comme un moment de la production ou comme une source de souveraineté et de pouvoir, mais comme une pure source de gain ;

" 2) que pour cette raison le conseil d'usine peut se considérer comme la cellule de la société communiste fondée sur la souveraineté du travail et représentée non par territoires linguistiques, militaires ou religieux, mais selon les distinctions de la productivité et des ensembles de production – il peut se considérer comme l'instrument adapté à cette transformation de la psychologie et de la coutume des masses populaires qui déterminera un avènement plus rapide du communisme intégral ;

" 3) que le conseil d'usine tel qu'il est né à Turin représente la réalisation historique de ces institutions prolétariennes pré-révolutionnaires que le congrès socialiste de Bologne avait appelées de ses vœux. "

On trouve ensuite un texte différent dans l'Ordine Nuovo du 20 décembre 1919 :

Motion approuvée à l'unanimité par la section turinoise sur proposition de la commission exécutive (sans date, mais parue en même temps que l'ordre du jour de Boero sur les conseils d'usine) :

" ... La masse des travailleurs manuels et intellectuels, en votant pour le parti socialiste, a manifesté sa volonté que le pouvoir des travailleurs soit instauré et que soit créé l'État des ouvriers et des paysans. Ce pouvoir ne peut pas être une émanation du parlement, il ne peut être que l'émanation d'un appareil d'État fondé – dans tous ses ordres : législatif, judiciaire, exécutif (bureaucratique) – sur un système de conseils de travailleurs manuels et intellectuels nés dans les lieux mêmes de production et qui sont en mesure de contrôler : 1) le procès de production et d'échange ; 2) les instruments de production et d'échange ; 3) la discipline du travail et le gouvernement industriel. Un pouvoir socialiste qui serait purement politique et qui ne s'enracinerait pas fortement dans un contrôle énergique et un pouvoir économique de fer exercés directement par la classe ouvrière et paysanne avec ses moyens et à travers ses organisations de classe exploitée sur les lieux mêmes de la production industrielle et agricole, un tel pouvoir se transformerait à brève échéance en une farce tragique, durant laquelle la puissance de la classe travailleuse et du parti socialiste serait broyée par la puissance économique de la classe des exploiteurs capitalistes.

" Une fois considéré cela, la section turinoise propose à ses propres adhérents la discussion et la définition des problèmes suivants purement actuels :

1) quels sont les modes et les formes les meilleurs pour que les masses travailleuses – dans leur totalité – soient encadrées dans un système de conseils d'usine, d'entreprise agricole, de village, de mine, de laboratoire, de bureau, de chantier, adhérant aux procès de travail et de production, de telle façon que de la masse se manifeste une hiérarchie de fonctions qui reproduise la forme de la hiérarchie industrielle capitaliste jusqu'à son sommet, l'État et le gouvernement, pour la remplacer organiquement et réaliser le gouvernement économico-politique des producteurs ?

2) comment pourrait-on obtenir que les charges de cet appareil de représentation directe des travailleurs soient confiées aux travailleurs socialistes adhérents ou sympathisants avec la tactique et les objectifs de la III° Internationale ?

3) comment pourrait-on obtenir que les syndicats ouvriers deviennent des syndicats d'industrie, dans le sens où ils comprendraient tous les travailleurs (manuels, techniques et intellectuels) d'une branche d'industrie déterminée, et pourraient devenir les centrales d'organisation du travail de contrôle que les travailleurs exercent directement sur les lieux de production. " (Dans un tel but une commission d'étude est nommée) .

Il n'est pas facile de reconstruire la façon dont la discussion qui a conduit à ses deux textes s'est déroulée. Peut-être pourra-t-on remonter à l'édition turinoise de l'Avanti ! si l'on se décide à pousser l'enquête plus à fond. S'agissait-il seulement d'un accord entre la gauche abstentionniste et le groupe de Gramsci, ou, comme il apparaît de l'unanimité, les réformistes s'y associèrent-ils également ? Il est certain que dans les deux textes la confusion des thèses est évidente et son origine réside dans un excès d'ouvriérisme ou d'économisme d'un côté et, de l'autre, de l'influence importante du groupe des intellectuels petits-bourgeois de la revue sur la masse des camarades, certes due à une activité brillante et à une bonne culture générale – mais pas trop classiste et encore moins marxiste – des rédacteurs, dirigés par trois hommes qui ne furent pas trop d'accord par la suite – et on le verra rapidement - : Gramsci, Terracini et Tasca.

Limitons-nous à quelques remarques sur ces deux textes. L'erreur de base est que l'ouvrier sur son lieu de travail et non à la Chambre du Travail ou dans la section du parti se considère comme producteur et non seulement comme salarié ou citoyen. Il était bien certain que dans le syndicat dominé par les réformistes, et dans le parti dominé par eux et par les maximalistes, brouillons encore pires, le camarade n'était pas amené à se sentir un révolutionnaire, mais seulement à tendre à améliorer sa position de salarié, avec quelques lires de plus, et sa position de citoyen avec quelque loi réformatrice bourgeoise. Sortir de cette dégénérescence jaune du syndicat et du parti était une lutte longue et très dure qui avait commencé il y a des décennies à l'aide de l'arme théorique de la critique, et qui devait se conclure au moyen de la critique sanglante des armes. Mais résoudre le processus douloureux au moyen du mot vide de producteur n'était une preuve d'abstratisme déplorable et de la pire espèce puisque l'on récitait la comédie dégoûtante de la manie du concret. Certes nous, marxistes révolutionnaires, avons démoli les superstitions bourgeoises qui considèrent le serf économique comme émancipé depuis qu'il est citoyen et électeur et qui considèrent avoir fait les comptes avec équité quand le serf est devenu salarié. Avant le capitalisme, certaines catégories – l'artisan, le paysan propriétaire - pouvaient représenter l'idéal du producteur, pour ses pans de propriété sur ses instruments de travail et ses produits. Mais le producteur peut-il devenir un idéal, une utopie socialiste ? Peut-il y avoir un producteur non salarié et non citoyen de l'État bourgeois tant que celui-ci n’est pas tombé au cours de la lutte armée et tant que l'économie ne s’est pas dépouillée des formes mercantiles, monétaires et d'entreprises ?

En quel sens est producteur l'ouvrier d'usine (bagne chez Marx) qui adhère à un procès qui débouche sur le produit qui reste entièrement entre les mains du capital (ou de l'État) et qui sera entièrement échangé par le non producteur contre de l'argent dont une petite partie sera versée au travailleur ? Il est un esclave, non émancipé, tant qu'il est un producteur parce que son produit est MARCHANDISE. Quand il ne le sera plus, le réseau du procès de production, c'est-à-dire le réseau des entreprises, aura depuis longtemps été brisé en morceaux et il ne restera pas un lambeau de la classification des lieux de production telle qu'elle est aujourd'hui. Le salarié ne laissera pas la place au producteur, mais à l'HOMME !

Etant donné que le processus historique est long et non pas bref, il s'agit, par l'acte révolutionnaire, d'en poser la prémisse puissante. Cette dernière n'est pas économique mais politique, elle n'est pas locale mais centrale, elle ne naît pas d'une nouvelle forme, soudée à la forme capitaliste infâme, mais d'une force armée qui a vaincu sur le terrain de la guerre civile la force bourgeoise. Cet acte politique vient en premier, il est accompli d'urgence, il est la nouveauté à réaliser, il est le seul problème pratique et concret.

Le système ordinoviste n'avait de nouveau que le vieux travaillisme et la vision immédiatiste, banale et ressassée, du rapport de classe.

On parle ensuite de " gouvernement industriel " et de " pouvoir économique ". Nous ne ferons pas une plus longue analyse de cette " grande thèse " malheureuse.

D'autres mois et d'autres fascicules de la revue, certes brillante, des Turinois, passèrent. Palmiro Togliatti y écrira, il était encore plus dur à transformer en marxiste que les Gramsci, Terracini et Tasca, et plus enclin à glisser très vite dans le sens opposé. Dans chacune de ses colonnes les adjectifs nouveau et concret apparaissent vingt fois, comme en cette année 1963.

Auprès de lui même la double présentation du conseil d'usine, économique et politique, ne trouvera plus grâce. Pour lui, il faut éviter " les rappels continuels du caractère politique des nouveaux organismes, les rappels à leur objectif qui devrait être celui de préparer la révolution en élaborant des projets et des mesures ''révolutionnaires'', tendant à l'apogée de l'action révolutionnaire directe : l'insurrection ". Pour Togliatti, " est révolutionnaire l'acte de l'ouvrier qui, sans se définir comme tel, élit un chef et lui obéit volontairement, ...[et est révolutionnaire] l'organisation qui naît sur le lieu de travail, AU CONTACT DES ORGANES DE L'ECONOMIE PATRONALE. "

Togliatti maintient aujourd'hui ce qu'il promettait en 1919. Qu'il en soit loué, mis à part le fait que la nouveauté que l'on découvre à chaque moment aujourd'hui n'est qu'une vieillerie de 1919, et alors c'était une chose plus vieille encore. L'erreur de base de l'ordinovisme fut établie par Charles Marx en 1847 quand, dans la Misère de la philosophie, il enterra, avec Proudhon, tous ses épigones à venir.

Dans la flamboyante page finale de son écrit Marx anticipe le Manifeste. Le passage fondamental – constitution du prolétariat en classe et donc en parti politique – devient clair à la lumière de ce texte écrit quelques mois avant.

Engels, dans sa préface de 1884, établissait déjà que Marx avait liquidé, parmi tant d'autres, Rodbertus, le père du réactionnaire socialisme d'État prussien. Mais combien d'autres immédiatistes ne savaient pas qu'ils étaient morts il y a 116 ans ! Et ils végètent en déblatérant toujours sur les nouveautés.

Marx traite de la question des organisations économiques et explique comment elles prennent, à un certain point, un caractère politique.

" Les conditions économiques avaient tout d'abord transformé la masse du pays en travailleurs. La domination du capital a créé pour cette masse une situation commune, des intérêts communs. D'où le fait que cette masse EST UNE CLASSE PAR RAPPORT AU CAPITAL MAIS ELLE N'EST PAS ENCORE UNE CLASSE POUR ELLE-MÊME. Dans la lutte dont nous n'avons signalé que quelques phases, cette masse se réunit, se constitue EN CLASSE POUR ELLE-MÊME. Les intérêts qu'elle défend deviennent des intérêts de classe. MAIS TOUTE LUTTE ENTRE CLASSES EST UNE LUTTE POLITIQUE. "

Que le lecteur veuille suivre la page jusqu'à la fin, avec les vers connus : ou le combat ou la mort ! Il pourra sans avoir besoin que nous le guidions comprendre le secret de l'ordinovisme turinois.

Une grande impulsion, certainement spontanée, fut renversée dans la direction du mouvement des conseils. Quel en est le résultat ?

Selon la doctrine de Palmiro les ouvriers turinois, par les pages qu'ils ont écrites, glorieuses jusqu'à l'héroïsme, n'ont pas été organisés POUR EUX-MEMES mais POUR LE CAPITAL. Le parti révolutionnaire de classe a été misérablement liquidé.

Palmiro n'a pas pu organiser la classe ouvrière de Turin, en stricte adhésion au procès de production, pour elle-même et pour la révolution italienne et mondiale. Sa nouveauté datait de 1847. Il en a fait une classe pour la FIAT.

Par objectivité, nous laisserons au lecteur qui nous suit la critique ultérieure des documents turinois. Faisons place au compte rendu du congrès de la chambre du 14 décembre 1919, dans lequel on verra la position des différentes tendances.

Le mouvement des conseils se vantera d'être à gauche à cause de la conduite étrange de la direction maximaliste et de la confédération réformiste qui tentèrent de le freiner et de le désavouer, là où il fallait expliquer au prolétariat que le parti et le syndicat devaient se libérer des contre-révolutionnaires ; question qui aurait été la même pour un mouvement national des conseils qui n'eut pas lieu mais qui n'aurait pu revendiquer aucune immunité vis-à-vis de la peste opportuniste. Toute l'histoire des faits démontre que les Turinois et Gramsci citaient la théorie bolchevique totalement à tort ; mais ce n'était certes pas l'entreprise Gennari-Bombacci-d'Aragona qui pouvait donner des leçons en la matière !

Notes:

(1) Ce texte est le compte rendu de la deuxième séance de la réunion de Milan du 4-5 mai 1963 dont le titre général était " Marchandise, monnaie, libre entreprise (d'autant plus vile qu'elle est petite) , hontes sociales bourgeoises, objet de haine séculaire de la part de la gauche communiste, avec les idéaux d'Église, de nation, de démocratie, de possibilisme et de paix ".

(2) Cagoia est le surnom méprisant que les fascistes donnaient à Nitti. Il est formé sur " cacca ", merde, et signifiait

(3) En français dans le texte.

Traduction et notes par François Bochet

Source Il programma comunista, n° 16 - 20 / 1963.
Author Amadeo Bordiga
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